Tandis que l’International Crisis Group (ICG) remet en question la volonté du gouvernement guinéen d’organiser des élections en 2008, comme prévu, les bailleurs de fonds et les membres des partis d’opposition affirment qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question de volonté politique : d’autres considérations pratiques remettent en doute ces élections, notamment le manque de fonds.
« Les conditions ne sont pas encore réunies pour organiser des élections en 2008 : elles ne sont pas réunies d’un point de vue technique, les listes n’ont pas encore été revues, il n’y a pas eu de recensement, et il n’y a pas encore assez de fonds à disposition », a déclaré à IRIN un analyste de Conakry.
Depuis la nomination surprise, en mai 2008, d’Ahmed Tidiane Souaré au poste de Premier ministre, à la place de Lansana Kouyaté, il n’est plus certain que le président Lansana Conté exécutera son décret, portant sur l’organisation d’élections indépendantes d’ici à la fin de l’année 2008, en vue des élections présidentielles de 2010.
Pour bon nombre de Guinéens, les élections, que le gouvernement avait promis d’organiser en octobre, puis en décembre 2007, à la suite des manifestations civiles qui avaient eu lieu aux quatre coins du pays sur des questions de justice et de gouvernance, sont la seule solution à l’instabilité politique et économique du pays.
« La seule solution démocratique claire aux problèmes actuels de la Guinée, c’est un organe élu de manière transparente », a estimé Cheikh Fantamady Condé, directeur de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Mais compte tenu du manque de consultation qui avait précédé la nomination de M. Souaré, l’ICG doute que ces élections auront lieu.
« Les discours pacificateurs du nouveau chef du gouvernement sur l’inclusion et la quête du changement ne devraient leurrer personne », selon un rapport publié par l’organisation le 24 juin. « Si des fortes pressions internes et externes ne sont pas exercées, le gouvernement risque fort de ne pas tenir sa promesse d’organiser des élections législatives crédibles en décembre 2008 ».
Or, un report des élections, craint l’ICG, risquerait de « compromettre le renouveau économique et d’enterrer la commission d’enquête indépendante, chargée d’identifier et de poursuivre les auteurs des actes de répression de 2007 ».
M. Condé, directeur de la CENI, créée en novembre 2007 pour aider le ministère de l’Intérieur à organiser les élections, est plus positif.
« Les partis politiques et le gouvernement ont signé un décret présidentiel portant sur la tenue prochaine des élections. Je suis convaincu que l’objectif sera respecté pour 2008, sauf cas d’urgence », a-t-il noté, ajoutant : « Nous ne pouvons pas attendre indéfiniment ces élections ! ».
Selon M. Condé, la CENI et le ministère de l’Intérieur sont en train d’inscrire les électeurs de l’ensemble du pays, par le biais de 303 autorités locales, pour remettre à jour les listes électorales, qui seront achevées d’ici au mois d’août 2008, selon ses prévisions.
Mais à en croire l’analyste de Conakry, le temps manque pour mener à bien ces activités.
Des progrès ont toutefois été accomplis à certains égards. Pour la première fois, un système biométrique, qui exigera des électeurs qu’ils fournissent leur photographie et leur empreinte digitale, sera utilisé dans le cadre des élections.
A ce jour, 977 des 1 000 kits d’inscription biométrique requis ont été livrés dans le pays et des équipes sont formées à leur utilisation par le ministère de l’Intérieur.
Trouver les fonds
Malgré tout, un « manque de fonds considérable » demeure, selon un bailleur de fonds. Et certains bailleurs, excédés par la réticence du gouvernement à consacrer assez de fonds aux élections, ne sont pas disposés à combler ce manque.
Le gouvernement guinéen a injecté 26 pour cent des fonds, tandis que l’Union européenne a donné 6,2 millions de dollars, la CEDEAO, 500 000 dollars et la France, 155 600 dollars, selon M. Condé. L’Allemagne s’est également engagée à verser des fonds.
« Les autorités guinéennes ont dépensé davantage pour envoyer leur équipe de football nationale à la Coupe d’Afrique des Nations, que pour organiser leurs propres élections. Pourquoi les bailleurs de fonds devraient-ils payer pour cela si le gouvernement lui-même n’est pas disposé à le faire ? », a demandé à IRIN un bailleur de fonds excédé, ajoutant : « ce n’est pas à la communauté internationale d’insister pour que ces élections aient lieu : cela doit venir de l’intérieur ».
M. Condé de la CENI abonde dans ce sens. « Pour respecter la souveraineté de ce pays, nous Guinéens devons, nous aussi, contribuer financièrement [à ces élections] ».
Assurer la crédibilité des élections
En supposant que les fonds arrivent, le plus grand défi, pour M. Condé, consistera à s’assurer que les populations vont aux urnes et que les partis d’opposition participent au processus électoral, en garantissant que celui-ci soit crédible.
« Nous devons motiver les populations à voter si nous voulons que ces élections soient crédibles : beaucoup de gens n’ont plus la volonté de voter, à cause des fraudes électorales qui ont eu lieu par le passé ; nous devons pouvoir garantir la transparence de ces élections », a déclaré M. Condé à IRIN.
Un peu d’argent a été mis de côté pour financer une campagne médiatique destinée à encourager les populations à voter. Et la CENI prévoit de coopérer avec les observateurs internationaux pour surveiller le processus électoral.
« Nous faisons tout ce que nous pouvons pour tenter d’empêcher les fraudes et autres problèmes », a assuré à IRIN Ibrahima Touré, responsable électoral au ministère de l’Intérieur.
Pour ce faire, l’administration doit renforcer son rôle d’acteur impartial, selon M. Condé, mais c’est précisément ce que l’ICG remet en doute. « Nous sommes loin d’être dans la situation à laquelle nous aspirons », admet d’ailleurs M. Condé.
Même si les élections ont lieu, de nombreux partis d’opposition n’y participeront pas, anticipe Mohamed Dianne, du Rassemblement du peuple de Guinée, parti politique guinéen.
Mais si les élections n’ont pas lieu, de nombreux Guinéens perdront l’espoir de voir le pays se sortir du marasme dans lequel il se trouve plongé aujourd’hui, a souligné M. Dianne.
Des craintes d’instabilité ont été suscitées dernièrement par les manifestations qui ont eu lieu dans des camps militaires du pays en mai, et par la séquestration du chef d’état-major adjoint de l’armée, suivies des manifestations des forces de l’ordre, qui avaient fait plusieurs morts et des centaines de blessés.
Pour M. Dianne, « les élections doivent être la priorité ». « Si elles sont transparentes, elles seront les premières à l’être. Si nous ne pouvons pas changer notre système gouvernemental, nous ne pouvons rien changer ».
En attendant, les bailleurs de fonds ne s’emballent pas. « En ce qui concerne les élections, on attend de voir ce qui va se passer », a déclaré à IRIN l’un d’entre eux, qui a requis l’anonymat.