Fatigués par des années de crise économique et sociale, les Guinéens ont fait flancher leur gouvernement après cinq jours de grève générale, le 4 mars dernier, la plus importante de l’histoire du pays. La syndicaliste Rabiatou Sera Diallo, qui avait appelé ce mouvement pour de meilleures conditions de vie, revient sur ses causes et sur les difficiles conditions de vie dans le pays.
Propos recueillis par Jules Ernoux
« Quand j’allume le feu, c’est en dessous de la marmite, pour préparer à manger pour ma famille. Or, je n’allume plus le feu parce que la marmite est vide. » C’est en ces termes que Rabiatou Sera Diallo, Secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), accusée de « mettre le feu au pays », a répondu aux députés qui l’avaient convoquée. Avec son partenaire Ibrahima Fofana (Union syndicale des travailleurs guinéens, USTG), ils avaient appelé le 27 février dernier à une grève générale, pour des meilleures conditions de vie, qui a paralysé le pays durant cinq jours. Jusqu’à ce qu’un Protocole d’Accord de négociation entre le Gouvernement, le Patronat et l’intersyndicale soit trouvée le 4 mars.
« Comme la population, je ne sais plus rien acheter, a poursuivi la syndicaliste. Tout est devenu trop cher. L’inflation est galopante, le franc est glissant. Ce n’est pas à cause des travailleurs, de la population, des syndicats. C’est à cause de vous, les ministres et les députés. La corruption, c’est vous. Le blanchiment d’argent, c’est vous. La mauvaise gouvernance, c’est vous ! » Des ministres ont voulu me donner de l’argent pour que je me taise. J’ai dit non. A quoi peuvent servir des millions si je perds la confiance des travailleurs » ? (…)
Un pays aussi riche que le nôtre, le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, ne peut même pas nous donner de l’eau potable ! L’électricité ne fonctionne que deux heures toutes les deux nuits : les frigos ne servent plus à rien. Le prix du riz a été multiplié par trois, le pain par deux, le poisson par quatre. Nous sommes en mauvaise santé et nous mourons à l’hôpital, faute de soins. Nos enfants ne vont plus à l’école parce que les professeurs ne savent plus payer les frais de transport pour se rendre à leur travail. Les jeunes deviennent des brigands (…) Depuis le 1er mai 2005, vous connaissez nos revendications. Trois fois, nous avons appelé au dialogue en frappant à vos portes. Vous fermez les yeux et bouchez vos oreilles. (…) la grève commencée depuis 4 jours était inévitable !
Afrik : Rabiatou, expliquez-nous cette intervention.
Rabiatou Diallo : Mon collègue Fofana et moi avons été convoqués à l’Assemblée Nationale. Nous n’avons même pas eu le temps de préparer notre intervention. J’ai fait parler mon cœur et j’ai dit tout haut ce que la population vit et pense. Nous ne savons d’ailleurs pas pourquoi nous avons été convoqués ? Est-ce que des ministres voulaient que les députés nous demandent de terminer la grève, ou des députés nous ont-ils utilisés pour s’opposer au gouvernement ? Mon collègue Fofana n’a pas mâché ses mots non plus. Ancien professeur d’économie à l’université, il a eu plusieurs ministres actuels comme étudiants. Il a dit devant l’Assemblée Nationale qu’ils n’avaient rien compris et rien retenu des cours donnés ! Donc, nous avons été écoutés et cela a servi à quelque chose pour discuter avec les ministres…
Afrik : Il y a également eu une fabuleuse mobilisation…
Rabiatou Diallo : Extraordinaire, oui. Ce ne sont pas seulement les travailleurs, toute la population était à l’arrêt. Les marchés du secteur informel n’ouvraient que la nuit parce que les ménagères devaient quand même acheter du manioc et d’autres produits de première nécessité. Tout était mort : les mines, les banques, les ministères, les bureaux. Aucun véhicule ne circulait. Les rues toujours bondées de monde étaient désertes. Depuis 40 ans, notre pays n’avait jamais connu une telle mobilisation. Même les mendiants des mosquées sont venus me dire qu’ils faisaient la grève avec nous parce qu’ils comprenaient que les gens n’avaient plus d’argent. La consigne, chez nous, quand nous faisons la grève, c’est de rester chez soi. On ne fait pas de piquet de grève comme en Europe puisqu’il n’y a que très peu d’entreprises. En plus, quand tu es dans ton domicile privé, les forces de l’ordre ne t’emmènent pas en prison.
Afrik : Vous avez effectué un important travail de sensibilisation depuis des mois…
Rabiatou Diallo : Depuis mai 2005, nos revendications sont connues. Il y a eu une grève d’avertissement en novembre. Un rendez-vous avec le gouvernement a été fixé… non tenu. Les bases syndicales de tout le pays, réunies en janvier, nous ont stimulées. Elles étaient déterminées. Elles nous ont encouragé aussi à faire front commun avec l’USTG. Ce 2e syndicat, en terme de représentativité, partageait nos revendications. A deux, nous étions aussi plus forts pour nous opposer aux trois syndicats qui ont été payés par les patrons et les ministres pour nous diviser. Ils ont échoué, la population voit clair !
Afrik : Que retires-tu de ce grand évènement ?
Rabiatou Diallo : Seule la lutte amène un progrès social. Pour cela, il faut s’organiser. Depuis 4 ans, on a renoué les contacts avec les bases à l’intérieur du pays. Ce sont les délégués, les femmes et les hommes, qui font le syndicat. C’est grâce à elles et à eux que nous avons avancé. Le travail avec l’autre syndicat a été aussi important. C’est un syndicat correct : on se met d’accord et les deux partenaires tiennent parole. Notre succès est dû aussi aux messages écrits de la CMT, de la CISL, l’OUSA de la CSC, de Social Alert, de la CGT, de nos partenaires hollandais et évidemment des camarades des syndicats africains. Les lettres expédiées au Président de la République l’ont fait sûrement réfléchir. Pour nous, c’était important : dans la bagarre, on est épaulé. Ce qui nous a aidé aussi, ce sont les bêtises des ministres. S’ils sont malins pour se faire de l’argent, ils ne sont pas intelligents. Leurs provocations ont renforcé la mobilisation. En plus, ils n’étaient pas d’accord entre eux et cela s’est vu tout de suite.
Afrik : Quoi, après cette victoire ?
Rabiatou Diallo : La chose essentielle, c’est que la population a relevé la tête durant cinq journées et y a mis le prix. Nous, les dirigeants des deux syndicats, nous sommes crevés. Durant 5 jours, 5 nuits, nous avons logé sur des mousses au secrétariat, mais une fois le protocole d’accord signé, nous nous sommes senti défatigués !
Disons que cette victoire nous a apporté 40% pour mieux vivre. Restent les 60%. Il nous faut continuer à travailler : des commissions sur des sujets précis (index et inflation, filières industrielles, déblocage des salaires…) avec des représentants des ministres, des patrons et 2 syndicats se sont engagées à faire des propositions. Des échéances sont fixées et des décisions doivent être prises. Nous avons l’espoir.