Alors que la Guinée Conakry est suspendue des instances régionales depuis le coup d’état militaire de septembre 2021, le 66e sommet ordinaire de l’organisation sous régionale de la CEDEAO semble s’être concentré sur la Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois juntes dont les investitures sont, pour deux d’entre elles, plus récentes.
Si l’enjeu du putsch guinéen consistait à purger le paysage politique civil des dérives individuelles d’un politicien friand d’un troisième mandat, le chronogramme transitoire annoncé semble avoir été mal calculé : en effet le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) s’était engagé auprès de la CEDEAO à remettre le pouvoir après quarante mois donc, au plus tard, le 31 décembre 2024, date qui aujourd’hui semble avoir été annoncée à la légère, d’autant plus que le Président de la transition, Mamadi Doumbouya, avait annoncé dans un discours prospectif sur 2024 qu’elle interviendrait après la tenue d’un scrutin référendaire destiné… à valider une nouvelle constitution. Or le temps a manqué pour le réaliser!
A quand le retour de l’ordre constitutionnel ?
Le porte-parole du gouvernement de transition a déclaré récemment que la Guinée se trouvait actuellement dans une « phase qui est mentionnée dans l’article 2 de notre charte de la transition, c’est la refondation de l’Etat » laissant planer la perspective d’une prolongation de la transition au-delà de 2024.
Or certains responsables politiques ont d’ores et déjà affirmé qu’ils ne reconnaîtraient plus la légitimité du régime après la fin du mois de décembre, trois ans après la chute d’Alpha Condé.
L’inquiétude d’une partie de la société civile
Le 15 décembre dernier, plusieurs organisations de la société civile, réunies au sein de l’Union Citoyenne pour l’Émergence de la Guinée, ont publié une déclaration commune traduisant leur inquiétude face aux modalités de la transition. Leur communiqué s’insurge aussi de l’interdiction des partis ou des manifestations de l’opposition, des disparitions forcées de leaders d’opinion, de la fermeture de certains médias et donc du risque de prolongement du calendrier de la transition.
Conscientes du fait que la date butoir du 31 décembre risque de ne pas être respectée, ces organisations, à travers la déclaration du 15 décembre ont demandé au régime militaire d’organiser au moins un nouveau dialogue politique « inclusif et sincère » tout en rappelant au Président de transition Mamadi Doumbouya qu’il en va de sa crédibilité, en ces termes : « à votre prise de pouvoir, vous avez pris des engagements forts. Nous vous invitons à rester sur cette voie car cela y va de votre crédibilité et d’une fin paisible de la transition.»
Le 18 décembre 2024, le Front National pour la Défense de la Guinée, derrière lequel se profile notamment l’ombre de l’ancien président Alpha Condé, a appelé à des manifestations massives au cours des premières semaines de l’année 2025. Nul ne peut savoir ce qu’il adviendra de ce très large appel à la mobilisation pour « restaurer l’ordre constitutionnel ». L’annonce d’un dialogue politique inclusif suffirait-elle encore, à ce stade, à calmer les esprits qui s’échauffent?
Le bilan de la transition apparaît globalement positif
Pour autant, malgré ses indéniables zones d’ombre, le bilan de la transition s’avère globalement positif : ces trois années écoulées dans la stabilité ont permis à la Guinée de renouer avec une forme de dynamisme économique, sur fond de répression des pratiques de corruption qui sévissaient antérieurement, les deux derniers condamnés emblématiques étant l’ex Ministre de la Défense Mohamed Diané et l’ex Président de l’Assemblée nationale Amadou Damaro Camara, tous deux condamnés à de lourdes peines après avoir été convaincus de détournements massifs d’argent public aux fins d’enrichissement personnel. Par ailleurs la récente tragédie du stade de N’Zérékoré qui a entraîné 3 jours de deuil national a détourné les esprits du calendrier politique. Par ailleurs, la Guinée a tourné la page d’une autre tragédie historique, celle du massacre du 28 septembre 2009, par un verdict marquant qui a vu la condamnation de l’ancien Chef de l’Etat Moussa Dadis Camara.
Une manière de tourner la page après des dérives sécuritaires ou financière majeures, qui a été accompagnée de certains succès diplomatiques ou économiques significatifs, qui sont à mettre au crédit de l’actuel Président de la transition : ainsi de la réintégration de la Guinée au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie, et de la reprise de l’économie guinéenne, dont le mensuel Jeune Afrique soulignait justement en 2024 que « tous les indicateurs économiques sont au vert« , une exception notable parmi les États ouest-africains engagées dans des processus de transition.
Ainsi de nombreuses voix s’élèvent, en particulier parmi les acteurs économiques guinéens, pour souhaiter que la transition guinéenne bénéficie, à l’instar des gouvernements établis dans plusieurs pays voisins, d’une prolongation qui serait le gage de la poursuite des efforts de bonne gouvernance engagés… En particulier dans la gestion du secteur minier, véritable poumon de l’économie guinéenne.