En Guinée, le meurtre et le viol de civils par des soldats faisant irruption lors du rassemblement de protestation contre la junte, le 28 septembre dernier, a choqué la nation et la communauté internationale. Mais cette agression a surtout mis en évidence la totale impunité des forces de sécurité, dont la population supporte les exactions depuis des années, affirment des enquêteurs sur les droits de l’homme.
« En Guinée, ce n’est pas le premier incident avec des militaires qui implique le meurtre de plus de 100 civils» a indiqué Corinne Dufka, enquêteur à Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Ouest, à IRIN.
Et les détentions et les exécutions arbitraires se poursuivent a-t-elle ajouté.
Dans un rapport publié le 17 décembre, l’organisation Human Rights Watch (HRW) affirme que le meurtre et le viol de centaines de manifestants peuvent être vraisemblablement qualifiés de crimes contre l’humanité.
Selon le droit international, précise HRW, les crimes contre l’humanité sont « le crime contre l’humanité comprend le meurtre, le viol et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre une population civile. »
HRW affirme que l’agression des militaires contre les manifestants, laquelle, selon cette organisation a causé la mort de 150 à 200 personnes, était organisée et préméditée ». Il y a de « preuves solides » que l’armée a agi de manière systématique pour dissimuler ses crimes, ajoute le HRW.
La junte militaire a annoncé que 57 personnes étaient mortes le 28 septembre, succombant avant tout à des crises d’asphyxie causées par la panique.
Dans plus de 200 interviews réalisées entre le 12 et le 22 octobre, la population a affirmé aux enquêteurs de HRW avoir vu des enfants tués à bout portant, comment leurs vêtements étaient ensanglantés alors qu’ils étaient étendus sous des corps et qu’ils assistaient aux viols collectifs perpétrés par les soldats.
Les viols étaient particulièrement brutaux, commis dans beaucoup de cas avec des bâtons, des fusils et des baïonnettes, a indiqué HRW.
Une femme a rapporté aux enquêteurs de HRW : « [Cinq bérets rouges] ont déchiré mes vêtements avec un couteau dentelé. Au bout de la manche, il y avait du crin de cheval. Ils me donnaient des coups de pieds et me battaient. L’un m’a violée alors que les autres me tenaient au sol. Je me débattais et ils me frappaient de plus en plus. »
Elle a ajouté qu’elle a vu une femme se faire violer à 10 mètres d’elle. « Il y avait près cinq Bérets rouges autour d’elle. L’un d’eux, après avoir fini de la violer, prit son fusil, le fourra le canon dans le vagin de sa victime et tira. »
Une femme de 57 ans a rapporté à HRW que les soldats l’ont mise toute nue, lui ont donné des coups de couteau sur les fesses puis l’ont violée.
Des témoins ont rapporté que des femmes ont été emmenées dans des camions militaires – dans certains cas, depuis des centres de santé- et ont été retenues dans des maisons où elles ont été violées pendant des jours.
Pas de viols
Une commission nationale désignée par le chef de la junte Moussa Dadis Camara pour enquêter sur les événements du 28 septembre a déclaré le 16 décembre qu’il n’y avait pas de preuve de viols. Le rapport final de la commission doit paraître dans environ un mois.
Lors d’une conférence de presse, un membre de la commission, Pierrette Tolno, a indiqué qu’il n’y avait pas de cas confirmé de viol selon l’hôpital national Donka. Le président de la commission, Siriman Kouyaté, a précisé aux journalistes qu’il était difficile de prouver un cas de viol quelque temps après que l’acte soit commis.
Mme Dufka de HRW a précisé que la commission nationale devait aussi enquêter auprès des personnes qui avaient vu et qui avaient subi les agressions. « La commission nationale d’enquête ne devrait pas se fonder uniquement sur des preuves médico-légales mais plutôt sur le nombre de témoignages et les témoins oculaires. Nos équipes ont trouvé quantité de témoins qui ont vu les soldats violer les femmes à l’intérieur et aux abords du stade. Si [la commission] ne peut pas justifier ces éléments indiscutables, cela implique qu’il y a d’autres mobiles en jeu. »
La réaction internationale
HRW relève la condamnation unanime des événements du 28 septembre par la communauté internationale, en ajoutant que les puissances internationales doivent insister sur la notion de responsabilité.
« Nous sommes satisfaits de la ferme condamnation et de la réaction rhétorique – embargos sur les armes et interdictions de voyager- que la violence des événements de septembre a déclenché au sein de la communauté internationale » a dit Mme Dufka.
« Mais ça ne doit pas diminuer. La longue culture de l’impunité dont ont joui les membres des services de sécurité guinéens et qui a conduit aux violences de septembre doit tout simplement être éradiquée pour que la stabilité et le développement puissent s’enraciner. »