Les syndicats guinéens ont décidé dans la soirée de mercredi de lever le mot d’ordre de grève illimitée lancé, contre l’avis des partis d’opposition et du gouvernement, pour ce jeudi. Ils souhaitaient dénoncer une tentative de l’entourage du président Conté de regagner du pouvoir, face au Premier ministre, après les concessions faites début 2007.
Les quatre principales centrales syndicales de Guinée ont décidé mercredi de suspendre jusqu’au 31 mars le mot d’ordre de grève générale illimitée lancé vendredi dernier pour ce jeudi. « Nous avons obtenu la mise en place de deux structures, l’une d’évaluation et l’autre de suivi du protocole d’accord signé en janvier 2007 », a déclaré Yomodou Touré, secrétaire général de l’Organisation nationale des syndicats libres de Guinée (ONSLG). Après plusieurs mouvements de protestation réprimés qui avaient fait 186 morts, ce protocole avait établi un partage du pouvoir entre le président Lansana Conté, au pouvoir depuis 1984, et son chef de gouvernement, Lansana Kouyaté, le premier de l’histoire de la Guinée à disposer d’autant de prérogatives.
Lansana Kouyaté : « c’est ici que je vais me battre »
Or, selon l’« intercentrale » syndicale, ce partage a été violé par le président lorsqu’il a démis de ses fonctions Justin Morel Junior, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, par un décret présidentiel lu à la télévision le jeudi 3 janvier, sans raisons officielles. Le fait qu’il a été remercié « sans l’avis du chef du gouvernement (…) constitue une violation de la feuille de route du Premier ministre », estimaient les syndicats à travers un communiqué. Dans le même sens, ils reprochaient au président Conté « un décret du 5 décembre dernier portant restructuration des départements ministériels qui attribue l’essentiel des pouvoirs au secrétaire général [de la présidence] au détriment du Premier ministre ».
Après avoir calmé le jeu, Lansana Kouyaté lui-même s’est élevé vendredi dernier contre le limogeage de Justin Morel, qui était un membre important du gouvernement de consensus : « Mon ministre a été limogé sans que l’on m’ait] préalablement consulté, je ne suis pas d’accord et j’exige qu’il soit rétabli dans ses fonctions. En tout cas, je ne vais pas m’asseoir autour d’une même table en conseil des ministres avec le nouveau ministre [Issa Condé (ex-directeur de l’Agence guinéenne de presse) nommé à la place de Morel Junior », a-t-il déclaré à l’AFP. Avant d’ajouter : « si le président le veut, qu’il me démette, car je ne démissionnerai pas (…) je resterai ici et c’est ici que je vais me battre ».
L’appel à la grève dénoncé
Au terme d’un conseil extraordinaire, réuni vendredi dernier à la Primature, en présence de Justin Morel Junior, le gouvernement a demandé à l’unanimité au président Conté de rétablir le ministre limogé. Néanmoins, il a de nouveau demandé mercredi aux syndicats de lever leur mot d’ordre de grève. Les partis politiques de l’opposition eux-mêmes ont rejeté l’appel à la grève lancée « sur des bases qui sont d’ordre purement politiques et non syndicales », et prévenu qu’ils « n’entendent pas demander à (leurs) militants de descendre dans la rue ».
Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Guinée, Me Boubacar Sow, ne comprend pas non plus l’intervention des syndicats dans cette passe d’arme politique : « les syndicats ne sauraient valablement contester un décret du président de la République limogeant un ministre, à plus forte raison déclencher une grève », a estimé Boubacar Sow, ce lundi, à la télévision publique. Pierre Fofana, président du Conseil supérieur des Guinéens de France, qui avait soutenu l’année dernière les citoyens guinéens dans leurs revendications économiques et sociales, estime comme Me Sow que la Constitution autorise le président Conté à démettre un ministre, et que les accords tripartites signés en début d’année dernière ne sauraient s’y substituer.
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