Les mines de bauxite devaient être le salut économique de la Guinée. Pourtant, les récents évènements qu’a connus la ville de Boké prouvent une nouvelle fois le contraire. Entre pollution et appauvrissement, les habitants de Boké font face à une dégradation de leurs conditions de vie depuis l’arrivée des sociétés minières. Parmi elles, on trouve l’entreprise chinoise Shandong Weiqiao, filiale de Hongqiao Group très présent dans le pays et Winning Shipping Ltd. Face à ces nouvelles tensions, Alpha Condé a été contraint de réagir, même si cette réaction reste encore trop timide pour laisser espérer un véritable changement.
La bauxite est le minerai essentiel pour la production de l’aluminium. La Guinée en détient près du tiers des réserves mondiales (25 milliards de tonnes) et l’exploite depuis 1963, avec la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG). Ce devait être l’eldorado économique du pays, mais plus de cinquante ans après, les effets positifs se font encore attendre.
De la bouche même du président Alpha Condé, « les mines ne peuvent pas être le levier du développement de la Guinée. Nous ne contrôlons pas les prix des matières premières, fixés à Londres, Washington ou Montréal ». Pire encore, depuis l’implantation de nouvelles compagnies minières, souvent en provenance de Chine, précarité, chômage exponentiel et pollution, sont devenus le lot quotidien des populations qui vivent aux environs des mines.
C’est en tout cas celui des habitants de la ville de Boké, réputés pourtant calmes et paisibles, qui se sont soulevés au printemps dernier, emboîtant le pas à d’autres villes minières telles que Siguiri, Simandou ou encore Boffa où des émeutes avaient éclaté en novembre 2015. La population de Boké a notamment pointé du doigt la Société minière de Boké (SMB), qui est aux mains d’un consortium regroupant deux entreprises chinoises : Winning Shipping Ltd et Shandong Weiqiao (filiale d’Hongqiao Group) et responsable de l’exploitation des mines de bauxite dans la région.
Une situation devenue invivable
Tous les ingrédients étaient réunis pour que les habitants de Boké se révoltent : conditions de travail insupportables, salaires particulièrement bas, dégradation de l’environnement, pollution, coupures d’eau courante et d’électricité, etc. Et tout ceci s’ajoute au fait que la route principale qui traverse la ville est monopolisée par les camions de transports de bauxite, roulant à vive allure et répandant de la poussière particulièrement toxique sur les maisons et champs avoisinants.
Le 24 avril dernier, l’un de ces véhicules percutait un conducteur de moto-taxi. La collision entraîna la mort de celui-ci. C’en fut trop pour la population locale qui décida alors de manifester son ras-le-bol. Résultat : affrontements avec les forces de l’ordre, mise en place de barricades, incendies, etc.
Aujourd’hui, le climat reste tendu. Car même si les heurts ont cessé, la situation n’a pas changé pour autant : le 6 juin 2017, les travailleurs de la société minière UMS ont interrompu le transport de la bauxite vers le port de Katougouma dans le but de manifester contre leurs conditions de travail.
Et les reproches qui sont faits aux sociétés chinoises en charge de l’exploitation des mines de bauxite ne sont pas nouveaux. En effet, avant de se ruer vers la Guinée, celles-ci exploitaient des mines de bauxite en Malaisie et en Indonésie. Mais les dégâts environnementaux et sociaux qui ont suivi l’implantation des sociétés chinoises ont poussé les deux pays asiatiques à décréter un embargo sur l’exportation de bauxite.
Les sociétés minières chinoises appelées à respecter la Guinée
Le soulèvement de la ville de Boké a eu un certain effet sur le président guinéen : le 9 mai dernier, lors du cinquième symposium sur les mines guinéennes, devant plus de 500 participants issus d’une trentaine de pays du monde, Alpha Condé est revenu sur ces sociétés qui surexploitent les mines guinéennes.
Le président a ainsi affirmé qu’il refusait que son pays ne soit qu’un simple fournisseur de matières premières, invitant à ce que la bauxite guinéenne soit consommée et transformée sur place : « à partir d’une certaine quantité de production, il faut nécessairement construire une usine d’alumine ». Ce dernier a également invité ces sociétés à cesser de polluer les terres guinéennes : « Il n’est pas normal que certaines sociétés minières continuent de faire rouler des camions avec beaucoup de poussière, c’est contraire au principe de bonne gouvernance qu’est la protection de l’environnement ».
Ces déclarations font suite à un mémorandum daté du 27 avril 2017 et signé par les dignitaires de la ville de Boké : représentants de conseils de quartier, président du Conseil Préfectoral des Organisations de la Société Civile, représentant des Imams, etc. Outre les nombreux dysfonctionnements liés à l’exploitation de la bauxite dans la région y sont listées pas moins de 35 demandes à respecter pour rétablir la situation.
Parmi elles, la fourniture d’eau potable et de courant électrique toute l’année, sans interruption; la construction d’une route de contournement de la ville pour les camions transporteurs de bauxite; la construction d’infrastructures pour la jeunesse; l’obligation pour les sociétés minières de respecter le Code de l’Environnement; la création d’un centre de formation professionnelle pour lutter contre le chômage endémique; l’amélioration des conditions de travail, etc.
Les habitants de Boké semblent être parvenus à faire entendre leur voix. Néanmoins, Alpha Condé est le seul à pouvoir exiger des sociétés minières chinoises un réel changement de comportement et ainsi faire en sorte que la situation s’améliore durablement à Boké, mais également dans toute la Guinée.