Guinée : le gouvernement annonce des enquêtes sur les dernières tueries. Pour quoi faire ?


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Manifestation en Guinée
Manifestation en Guinée

Le double scrutin du 22 mars 2020 a entraîné des violences en Guinée, notamment à Conakry et à Nzérékoré où des morts et de nombreux blessés ont été signalés. Hier mercredi, le gouvernement a annoncé la tenue prochaine d’une enquête pour, dit-il, identifier les auteurs, co-auteurs, complices et commanditaires de ces violences. Une véritable comédie sur fond de tragédie.

Le double scrutin législatif et référendaire du dimanche 22 mars 2020, organisé contre vents et marées, par le régime du Président Alpha Condé, a été émaillé de violences. On le sait. Le pic des violences a été atteint à Conakry et à Nzérékoré. On le sait aussi. Des maisons et des magasins ont été vandalisés; des églises brûlées dans les quartiers de Dorota et Belle Vue. Des victimes humaines ? Il y en a eu. Mais combien ? On ne saurait le dire avec précision. 14 morts et plusieurs blessés sont annoncés par le FNDC tandis que le ministère de la Sécurité, lui n’en a compté que six.

Une enquête pour trouver quoi ?

Face à cette flambée de violence, le gouvernement de Conakry a annoncé hier la tenue d’une enquête rapide pour identifier et sanctionner les personnes impliquées dans ce carnage. Dans ce sens, le ministre de la Justice, Mohamed Lamine Fofana, a donné des instructions aux procureurs généraux près les cours d’appel de Conakry et de Kankan aux fins de prendre les dispositions idoines pour la mise en application de l’action publique.

A quoi servira une telle enquête quand tout le monde sait que c’est l’obstination d’Alpha Condé et de son régime à organiser le référendum constitutionnel dans le but, non clairement avoué certes mais très bien compris de tous, de s’éterniser au pouvoir qui entraîne la Guinée dans ce déchaînement de violences gratuites ? N’est-ce pas un moyen pour le pouvoir répressif de Conakry de cibler des opposants à mettre hors d’état de nuire afin de continuer et achever tranquillement sa besogne ? En tout cas, tout donne à le penser, d’autant plus que le ministre de la Sécurité, Albert Damantang Camara, dans une conférence de presse qu’il a animée lundi dernier, accusait les manifestants d’avoir usé d’armes à feu.

Du côté du FNDC, on s’insurge contre les propos du ministre et on lui demande de fournir les preuves de ses allégations. « Aucune vidéo ne montre des manifestants armés, tandis que de nombreuses images prouvent que les forces de défense et de sécurité ont fait usage d’armes à feu », a affirmé Ibrahima Diallo, chargé des opérations du FNDC. Même son de cloche chez Sidya Touré, président de l’UFR : « La police le dit toujours, mais le problème c’est qu’on ne nous le montre jamais. Où, quand, comment, pouvez-vous attraper des gens qui ont des armes et nous ne les voyons jamais ? Les policiers ont tout ce qu’il faut pour nous montrer ces gens-là. Ils n’existent pas. C’est simplement pour justifier la violence d’Etat qu’on prétend que les jeunes sont armés ».

De ces propos de l’opposition, il ressort clairement que le gouvernement est à la recherche de boucs émissaires pour endosser des actes dont il est lui-même l’auteur. Puisque face à la demande de l’opposition qui voudrait que les autorités policières étaient leurs accusations par des preuves tangibles, jusque-là aucun élément sérieux n’a été exhibée. Dans ces conditions, il y a lieu de s’interroger sur l’objectivité de l’enquête qui sera menée.

La Guinée n’a pas besoin de ce spectacle à ce moment

Après avoir été opprimé, bâillonné sous le terrible régime de Sékou Touré, réduit au silence sous la présidence de Lansana Conté, le peuple de Guinée espérait respirer l’air de la démocratie avec l’élection à la tête du pays d’un homme qui a longtemps combattu l’oppression. Mais la désillusion est aujourd’hui totale puisque Alpha Condé pose les pas dans ceux de ses prédécesseurs. A 82 ans, le vieil homme semble plus que jamais accroché au pouvoir, alors que la constitution ne l’autorise à faire que deux mandats de cinq ans.

Dans un pays où le chômage touche 80 % des jeunes, où 55 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, où l’électricité, l’eau ne sont pas les choses les mieux partagées, en dépit des énormes potentialités disponibles (le potentiel en production d’énergie hydro-électrique de la Guinée est estimé à plus de 6 000 Mégawatts), où les infrastructures sanitaires sont insuffisantes comme dans la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, tenter de réviser la constitution pour accaparer le pouvoir et occasionner à l’occasion des violences gratuites, n’est pas une priorité.

Peut-être devrions-nous aller relire Un africain engagé : ce que je veux pour la Guinée, cet ouvrage publié en 2010 par Alpha Condé également auteur de “Quel avenir pour la Guinée”, “Propositions pour la Guinée”, “Pour que l’espoir ne meure”, “Où allons-nous”, “Le poisson pourrit par la tête”, etc. publications faites entre 1984 et 1985, pour mieux comprendre le comportement actuel de l’homme une fois qu’il s’est retrouvé à la tête de son pays. Mais non ! Le titre très évocateur de chacune de ces publications suffit pour nous rendre compte qu’un large fossé sépare ce qu’a écrit Alpha Condé l’opposant et ce que fait Alpha Condé le Président. Voici le proverbe qui prend alors tout son sens : les bons diseurs ne sont pas les bons faiseurs.

Mais cette propension des politiques africains, quand ils sont dans l’opposition, à dénoncer avec faconde et presque avec sincérité les abus des dirigeants, et à faire pire que ceux qu’ils combattaient quand ils s’installent au pouvoir est de nature à décourager le peuple militant qui risque à terme de se résigner et de laisser tout simplement les gouvernants faire la pluie et le beau temps.

Espérons que de l’autre côté, chez les voisins gambiens, Adama Barrow, qui donne déjà des signaux pas très bons, fera exception à cette curieuse règle.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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