Si le calme est revenu à Conakry, les tensions ethniques sont toujours à vif en Guinée. Ce week-end encore, Cellou Dalein Diallo, refusant l’offre de gouvernement d’union nationale d’Alpha Condé, l’a accusé d’avoir provoqué les récentes violences ethniques qui ont marqué l’élection présidentielle. Le second tour qui a vu Condé, le malinké, s’imposer face à Diallo, le peul, a été marqué par une forte ethnicisation, dans un pays où les Peuls, qui représentent environ 40% de la population, n’ont jamais exercé la magistrature suprême. Pour Moustapha Diop, anthropologue guinéen du droit, l’ethnie a été instrumentalisée politiquement, mais la victoire d’Alpha Condé n’en est pas moins logique.
Le scrutin du 7 novembre, qui a opposé un Peul à un Malinké, dans ce pays de plus de dix million d’habitants, n’ayant en encore jamais été dirigée par un Peul depuis l’Indépendance, en 1958 (Sékou Touré était malinké, Lansana Conté soussou, et Moussa Dadis Camara forestier), a été marqué par une forte ethnicisation. D’importantes tensions entre les Peuls, possédant en grande partie le pouvoir économique mais s’estimant victimes d’importantes discriminations, et les autres groupes ethniques majeurs (Soussou, Malinké, Forestiers). Des violences ont fait entre 7 et 12 morts, et l’armée a été accusée de s’en prendre aux militants Peuls qui protestaient à l’annonce des résultats provisoires donnant Alpha Condé gagnant avec 52% des voix, contre 48% pour Cellou Dalien Diallo. Moustapha Diop, enseignant-chercheur associé au Centre d’études des mondes africains (Cemaf), à Paris, revient sur ces tensions et les raisons d’une telle cristallisation du fait ethnique en Guinée. Pour lui, plusieurs dizaines d’années de frustrations et d’injustices sont à l’origine d’une division ethnique que les élites politiques ont instrumentalisé.
Afrik.com : Le calme semble être revenu à Conakry…
Moustapha Diop : Oui. La ville est assez calme. Le couvre-feu a porté ses fruits. Il a permis d’apaiser quelque peu la situation. Mais c’est un calme très précaire.
Afrik.com : Pourquoi l’élection présidentielle a-t-elle entraîné un regain des tensions ethniques ?
Moustapha Diop : Toutes les conditions étaient remplies pour que l’on assiste à des violences. Il y a, en Guinée, une personnalisation du pouvoir ethnique. Les hommes politiques ont joué sur ces réalités locales pour bâtir une stratégie électorale. Le projet politique de Cellou Dalein Diallo, axé sur la primauté des Peuls, a été perçu comme un projet communautaire. Il a mobilisé les autres composantes sociales contre les Peuls. De son côté, Alpha Condé, chef du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), a vite cédé à la tentation ethnique. Il a instrumentalisé une certaine idée du « tous contre les Peuls ». Aussi, il n’ y a pas eu de processus de réconciliation nationale avant les élections, ce qui aurait permis d’apaiser les rancœurs. Politiquement, les conditions n’étaient pas remplies pour assister à des élections apaisées.
Afrik.com : Quelles sont les racines de telles rancœurs ?
Moustapha Diop : La division ethnique est très profonde en Guinée. Elle résulte de 50 ans de frustrations, dues à une certaine impunité, au manque de justice qui y règne. Le manque de justice et de réparation a entraîné un repli communautaire. Pendant la colonisation, comme ça a été le cas au Rwanda notamment, les autorités coloniales ont privilégié une catégorie sociale par rapport aux autres. Les Peuls ont alors été considérés comme une « race supérieure ». Cela a entraîné un fort ressentiment au sein des autres groupes ethniques. Depuis, l’indépendance, la situation s’est inversée et ce sont les Peuls qui ont été victimes d’injustices et n’ont jamais accédé au pouvoir politique.
Afrik.com : Aborder la thématique de l’ethnie en Afrique est assez périlleux. Les préjugés font foison…
Moustapha Diop : Oui. Quand on parle d’ethnicité, il est très dangereux de généraliser. Dire « les Peuls » est incorrect. Ce sont surtout les élites politiques qui manipulent et prennent en otage des populations. A Conakry, la cohabitation est assez difficile car il y a une concentration ethnique de l’espace. Les Peuls sont arrivés plus tard à Conakry, c’est pour ça qu’ils se sont regroupés dans les zones périphériques de la ville, où ils sont de plus en plus nombreux. Mais généralement, les populations cohabitent et se marient. Pendant la campagne, Cellou Dalein Diallo s’est fait le candidat de tous les Peuls alors que l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), son parti, est surtout proche du milieu des affaires, donc des commerçants Peuls. Il faut savoir que pendant cette élection, des partis politiques peuls ont soutenu Alpha Condé, comme l’Union pour le Progrès et le Renouveau (UPR) de Bah Ousmane. D’ailleurs, dans certaines régions, comme le Fouta Djallon (Moyenne-Guinée), les Peuls qui auraient fait alliance avec le parti d’Alpha Condé ont subi des violences.
Afrik.com : Comment expliquez-vous la spectaculaire remontée d’Alpha Condé au second tour. Il avait recueilli 18% contre 44% à Celou Dalein Diallo au premier tour, et au second il en récolte 52%…
Moustapha Diop : Entre les deux tours, le nombre d’électeurs est passé de 1,7 à 2,8 millions et 1 500 bureaux de vote supplémentaires ont été ouverts dans des régions plutôt favorables à Alpha Condé. Au premier tour, le système électronique de comptage des voix était défaillant. C’est pour cela que le comptage manuel a été rétabli. Le second tour était une tout autre élection. Autre élément, le report de voix du troisième candidat, Sidya Touré[[Le candidat de l’Union des forces républicaines (UFR), arrivé en troisième position avec 15,6%, a appelé ses électeurs à voter Diallo.]]. L’image « Peule » de Diallo a aussi joué contre lui. Il a été en quelque sorte victime d’un front anti-peuls. Si l’on prend en compte tous ces critères, la victoire d’Alpha Condé n’est pas si surprenante.
Lire aussi :
Enjeux et défis démocratiques en Guinée (février-décembre 2010), avec Dominique Bangoura, Mohamed T. Bangoura, Paris, L’Harmattan, 2006, 253 p.
Réformes foncières et gestion des ressources naturelles en Guinée , Enjeux de patrimonialité et de propriété dans le Timbi au Fouta Djalon, Moustapha Diop, Karthala, 2007, 440p.