Après un exposé théorique sur l’émergence inéluctable de la démocratie en Afrique, le président Alpha Condé a dû passer dans le grand amphithéâtre de Sciences Po à un cas plus pratique, celui de son pays. Le chef de l’État guinéen a d’ailleurs reconnu que la transition vers la démocratie n’était pas encore achevée.
Le grand amphithéâtre de Sciences Po Paris est bondé, pour la venue du président guinéen Alpha Condé. En visite officielle en France, l’ancien étudiant, diplômé en 1963 du grand établissement, a saisi l’occasion de remettre les pieds dans son ancienne école. Il y a disserté pendant une heure de sa vision de la démocratie en Afrique avant de répondre aux questions de l’assistance. Tantôt dans la pure langue de bois, tantôt avec une étonnante honnêteté, Alpha Condé a su convaincre son public.
« Printemps africain »
L’administration de Sciences Po a profité de la venue d’Alpha Condé pour faire lors de la conférence la promotion de son nouveau programme de premier cycle universitaire, centré sur le continent africain. Afrik.com avait interrogé à ce sujet le directeur adjoint, Hervé Crès, en décembre 2009. Des informations pratiques sont disponibles sur le site de l’établissement. |
Il est 19h15 quand le Président pénètre dans la salle, accueilli par des applaudissements nourris. Accueilli avec les honneurs, il déclare ressentir « une grande émotion » à retrouver les bancs de Sciences Po et ne manque pas d’évoquer ses lointaines années d’études pour établir immédiatement une proximité avec les nombreux étudiants venus l’écouter.
Élu le 15 novembre dernier à la tête de l’État guinéen, Alpha Condé a réservé l’essentiel de son discours à sa vision des « promesses et défis » de la démocratie en Afrique. Outre une ode au panafricanisme, le premier président démocratiquement élu en Guinée s’est fait le prophète d’un renouveau des peuples sur le continent. Maurice, Botswana, Mali, Ghana… « Les événements de Tunisie, ce n’est pas le printemps arabe, mais le printemps africain : il va se généraliser », analyse-t-il.
« L’Afrique a beaucoup évolué », estime l’orateur, avant d’ajouter avec un grand sourire : « Au Niger, le président Mamadou Tandja a dit qu’il était prédestiné, qu’il ne pouvait y avoir qu’un individu de sa trempe par siècle. Il est où ? En prison ! Mahamadou Issoufou a démocratiquement accédé au pouvoir ». Contre « la caricature d’une Afrique ravagée par les coups d’État et le SIDA », c’est à l’optimisme qu’Alpha Condé a invité son jeune auditoire.
Réalisme
Le président guinéen s’est abstenu de se présenter trop ostensiblement comme un symbole de la « maturité démocratique » du continent africain. Quelques questions ont d’ailleurs soulevé les problématiques d’une démocratie naissante, même si aucune n’a évoqué la polémique autour du port de Conakry.
Interrogé avant son discours par le politologue Ghassan Salamé, modérateur du débat, sur l’organisation des élections législatives, Alpha Condé s’est ainsi emporté contre les pressions de l’Union européenne : « Qui a décidé qu’elles devaient avoir lieu dans un délai de six mois ? Moi je ne décide pas de la date des élections en Europe ! », s’est-il emporté, avant tout de même de préciser que le scrutin aurait lieu « au mois d’octobre, après la saison des pluies ».
Plus inquiète, la question de Jean-Marie Fardeau, président du bureau français de Human Rights Watch, concernait « l’impunité des responsables de violations des droits de l’Homme », particulièrement le lieutenant-colonel Claude Pivi et le colonel Tiegboro Camara, maintenus à leur poste malgré leur rôle dans le massacre du 28-Septembre, en 2008. « Vous êtes un peu irréaliste, lui a répondu Alpha Condé, je risquerais une mutinerie à vouloir brusquer l’armée ! Je dois implanter la démocratie, c’est dans l’intérêt des Guinéens ».
Interrogé ce vendredi par Afrik.com, Jean-Marie Fardeau reconnait au Président « la franchise de sa réponse » et comprend le caractère « délicat » du contexte politique, mais estime que « la stabilité de la Guinée dépend aussi de la capacité du pays rétablir la Justice et répondre aux souffrances des victimes et de leurs familles ». « Cela me semble plutôt réaliste que de suggérer d’en finir avec une situation intenable », complète-t-il.
Consensus
Le président guinéen se situait jeudi soir en terrain conquis dans l’amphithéâtre Émile Boutmy, malgré une dénonciation répétée de « l’européano-centrisme » et une insistance sur la nécessité de rompre avec les réflexes de la realpolitik. Virulente sur la forme, la critique s’est en fait avérée consensuelle. Comme politique ou comme professeur de droit, l’homme de 73 ans a bien eu le temps de polir son art oratoire. Après deux heures au micro, Alpha Condé a pu repartir satisfait, dans son imposant cortège présidentiel.
Photo : Alpha Condé, le 24 mars 2011 (Flickr/france.diplomatie – Creative Commons)