Guillaume Soro se démarque du RHDP unifié : une absence remarquée et remarquable


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Guillaume Soro

L’Editorial de Franklin Nyamsi Wa Kamerun, Professeur agrégé de philosophie, Paris, France

Les grands hommes d’Etat se reconnaissent à leur profonde intuition du sens de l’Histoire, à leur attachement à des principes imprescriptibles d’humanité et au courage qu’ils ont à assumer leurs engagements comme leurs désengagements. Guillaume Kigbafori Soro, fort justement, possède intuitivement et en raison de son expérience dense, cet art majeur du timing politique. IL sait donner autant de sens à sa présence qu’à son absence dans un événement politique. De Guillaume Soro pour le RHDP, on pourrait en réalité dire ce que Lamartine disait de l’absence de l’être aimé : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».

Où voudrais-je donc en venir ? Patientez-moi, chers lectrices et lecteurs. On nous a servi depuis des semaines en Côte d’Ivoire, le mythe d’un Congrès du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix) qui sonnerait l’union la plus large et la plus impressionnante de la majorité politique qui gouverne actuellement le pays. On nous a rebattus les oreilles avec l’idée que le 26 janvier 2019, s’accomplirait la plus massive coalition de forces politiques jamais vue dans l’histoire de ce pays. C’était même à croire que le 26 janvier 2019, il neigerait sur la Côte d’Ivoire, ou que les poules auraient enfin des dents ! Que la Lagune Ebrié se déplacerait vers Kong, ou que le Mont Nimba pousserait à Abobo !

Or, qu’avons-nous vu hier ? Je vais l’établir en trois moments : 1) Un événement politique incongru, car mal conçu, mal défini, mal organisé et mal diffusé ; 2) Un rassemblement politique raté, car y manquaient ostentatoirement, deux des plus importantes forces congruentes qui ont conduit le Président Alassane Ouattara au pouvoir dès décembre 2010, à savoir les Forces Nouvelles de Guillaume Soro et le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié ; 3) Un boulevard ouvert aux forces d’avenir, dont la responsabilité incombe résolument aux générations nouvelles qui vont fonder, dans le pardon et la réconciliation, une véritable Nation pour tous les Ivoiriens autour des principes équitables et objectifs de l’Etat de droit.

Telles sont les hypothèses dont la démonstration va suivre, et qui permettront de comprendre pourquoi Guillaume Soro – contre vents et marées contraires- n’avait plus rien à faire le 26 janvier 2019 avec ce RHDP prétendument unifié, mais réellement isolé dans le champ politique ivoirien.

De la mauvaise conception à la mauvaise réalisation du RHDP Unifié…

IL faut s’en souvenir, avant qu’on en vienne à l’idée de parti unifié, il y avait dès 2005 à Paris, la naissance d’une alliance politique qui a donné lieu au Groupement des partis du RHDP, dans le respect de la loi de 1993 sur les partis politiques en Côte d’Ivoire. Pour rappel, cette loi ne prévoit pas qu’on puisse être, en Côte d’Ivoire, simultanément membres de deux partis politiques. On peut être membre d’un seul parti politique et ce parti politique peut être membre d’un groupement de partis politiques.

Par voie de conséquence, la création d’un parti unifié du RHDP ne pouvait se faire sans que chacun des partis membres du groupement politique du RHDP ait librement décidé, de son propre chef, de se dissoudre, et de demander à ses militants, en leur âme et conscience, de rejoindre la nouvelle formation politique envisagée. Qui ne voit pas qu’un tel processus d’autodissolutions respectives était impossible sans la patience du temps, du dialogue, du consensus et de la sincérité des différents appareils de partis ? C’est cette méthodologie du dialogue, de l’inclusion et de la patience que Guillaume Kigbafori Soro[1], le plus jeune des trois principaux alliés de la prise du pouvoir en 2010, a ouvertement recommandée à ses aînés et partenaires, dès qu’il a vu les premières contradictions naître entre eux à compter notamment du démenti de l’Appel de Daoukro par les lieutenants du Président Alassane Ouattara. Les preuves des multiples appels de Guillaume Soro, à l’usage de la bonne méthodologie pour l’unification abondent. Je citerai cependant le discours solennel du 3 avril 2018, du haut du perchoir de l’Assemblée Nationale :

« Tant que les désaccords à ce sujet s’expriment dans la courtoisie, tout ceci peut être considéré comme une joyeuse aventure et même une preuve de la vitalité de notre démocratie. Mais quand les débats tournent à la crispation, voire à l’hostilité, cela réveille de vieilles peurs enfouies. C’est pourquoi, et c’est mon avis personnel, il convient de laisser la place au dialogue. Le dialogue, rien que le dialogue »

Or à compter du 16 juillet 2018[3], le Président Alassane Ouattara hâte le pas. Sans avoir convaincu ses alliés du bien-fondé de sa volonté hâtive de bâtir le parti unifié, sans avoir réfléchi avec eux sur l’agenda politique, les conditions de la saine concurrence politique, l’atmosphère des libertés fondamentales dans le pays, il se proclame Président du Parti Unifié du RHDP, rompant unilatéralement la fragile base de rassemblement que lui offrait pourtant encore jusque-là le Groupement de partis politiques du RHDP. Et dès lors, la conséquence immédiate est le retrait[4] du PDCI-RDA, non seulement du Groupement établi en 2005, mais aussi du processus de construction du parti unifié du RHDP.

Dès lors donc que le Président Ouattara a choisi, avec son clan restreint, de construire le RHDP sans le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié et sans les Forces Nouvelles de Guillaume Soro, il a lui-même volontairement décidé, selon la belle métaphore de Guillaume Soro le 2 janvier à Ferkéssédougou, de poser sa marmite à cuire sur un foyer à un seul caillou. Le 26 janvier 2019 n’a été dès lors que le spectacle d’un exercice non-consensuel, isolé et isolant du pouvoir d’Etat par le seul Président Ouattara et son Clan restreint. Est-ce donc un hasard si en plein Discours du Président du RHDP unifié, des milliers de militants de circonstances sortaient du stade Félicia d’Abidjan ? N’est-ce pas le signe d’une voix qui ne porte plus dans le pays et qui de fait s’entend parler toute seule ?

La division pré-organisée du Congrès du RHDP unifié : Tabliers et Tabourets mêlés…

La logique des discours d’annonce du Congrès du RHDP unifié du 26 janvier 2019 annonçait déjà la volonté de division et d’exclusion du Clan au pouvoir envers ses alliés traditionnels. On confirmait ainsi une volonté de soumettre le PDCI-RDA, les Forces Nouvelles, et le pays entier par l’intimidation, par la force, par la ruse et le harcèlement psychologique sous ses formes les plus perverses au besoin. Le bouillant président du Comité d’organisation de l’événement du 26, Adama Bictogo, aura de ce point de vue réussi à convaincre la galaxie médiatique et l’opinion ivoirienne entières sur la portée belliqueuse du projet politique en cours. C’est la fameuse affaire du Tablier et Tabouret, réitérée moult fois par le député d’Agboville. Tout comme plus tard, l’affaire du PDCI dit de Yamoussoukro et du PDCI dit de Daoukro, théorisée par le même volubile feu follet du Clan présidentiel ivoirien. Ecoutons rétrospectivement ses propos, d’abord à l’endroit du Président de l’Assemblée Nationale Guillaume Soro, puis à l’endroit de tous les Présidents d’Institution, puis à propos du PDCI-RDA.

Le jeudi 6 décembre 2018 à Abidjan, le sieur Bictogo lance sa première salve :

« Chacun doit se déterminer. Evidemment, si vous êtes président de l’Assemblée nationale que vous n’adhérez pas au Rhdp ou que vous avez décidé de ne pas être Rhdp, n’attendez pas qu’on vous demande de partir, déposez le tablier, parce que ce n’est plus votre tabouret. On ne peut pas tricher en permanence avec le peuple […] Nous n’avons jamais vu cela. On ne peut s’asseoir sur deux partis politiques. Donc c’est clair qu’à partir du 26 janvier, le Rhdp en tant que parti politique doit se retrouver dans l’ensemble des composantes de la République de Côte d’Ivoire parce que la mauvaise foi de certaines personnes, gêne. A partir du 26 janvier, nous assumons notre histoire, nous assumons notre gouvernance parce que nous n’avons pas peur de notre bilan. A partir de ce moment, c’est clair qu’aussi bien au niveau des institutions que des ministères »[5]

Pour un congrès de rassemblement, cet ultimatum,[6] venant d’un cadre hautement connu pour son implication dans de nombreuses affaires de corruption en Côte d’Ivoire, pouvait-il être un bon augure en décembre 2018 ? Et comme si cela ne suffisait pas, l’homme devait s’attaquer quelque temps plus tard, au nom et avec la bénédiction, à l’ensemble des ministres et présidents d’institutions en Côte d’Ivoire, en des termes lapidaires, d’une impressionnante verdeur. Le 5 janvier 2019 au Palais de la Culture à Treichville, Adama Bictogo met un terme aux rêves de rassemblement du 26 janvier lorsqu’il scande:

« Après le 26 janvier, si tu es ministre et que tu n’es pas Rhdp, tu libères le tabouret. Tu es Député, mais dès lors que tu es Président d’institution, si après le congrès, tu n’es pas Rhdp, tu libères le tabouret. Si tu es sénateur et que tu n’es pas Rhdp, quittes le tabouret ! »[7]

Ainsi, Adama Bictogo, parlant pour le Président Ouattara, annonçait clairement les couleurs. Le RHDP dit unifié n’envisageait, ni plus ni moins que l’uniformisation par le haut, de la totalité du champ politique ivoirien : Assemblée Nationale, Sénat, Conseil économique et social, Conseil constitutionnel, Cour suprême, Grande Chancelleries, Grande Médiature, Hautes autorités diverses, étaient sommés de se soumettre à la volonté d’un seul. Le projet dictatorial était enfin publiquement affiché !

Comment ce congrès pouvait-il unifier les alliés d’hier, qui plus est, avec tous les limogeages de cadres issus des Forces Nouvelles et du PDCI-RDA qui l’ont précédé ? Comment ce 26 janvier 2019 pouvait-il être autre chose qu’un jour de division si l’on tient compte des violences perpétrées par le Clan au pouvoir autour des élections régionales du 13 octobre 2018 et du 16 décembre de la même année ? Comment croire que ce Congrès était une rencontre de valeur quand l’exécutif ivoirien par ailleurs violait la séparation des pouvoirs en harcelant des députés, puis en incarcérant abusivement le député Alain Michel Lobognon[8] le mardi 15 janvier 2019 à la MACA ? Comment, sapristi, le RHDP unifié pouvait-il espérer rassembler après toutes les humiliations pseudo-judiciaires infligées au PDCI RDA depuis le mois de juillet 2018 et les dissidences organisées via les sieurs Nguessan, Adjoumani, Duncan pour faire voler en mille morceaux le parti de l’Indépendance ivoirienne ? Comment le 26 janvier 2019 pouvait-il unifier la majorité au moment où les magistrats[9] de Côte d’Ivoire se plaignaient publiquement de menaces, de violations de leur autorité dans la diction de la loi ? Et comment diantre pouvait-on rêver de bâtir quelque chose de grand au moment où les institutions parlementaires internationales de l’AIP (Assemblée Parlementaire de la Francophonie) et de l’UIP (Union Inter-Parlementaire) sommaient le régime Ouattara de respecter les immunités constitutionnelles des parlementaires qu’il piétine toujours ?

Guillaume Kigbafori Soro, devant cette implacable congruence de faits objectifs et alarmants, ne pouvait que prendre la décision qu’il a prise. Son refus de cautionner la dérive autoritaire en cours est donc une promesse d’avenir qu’il nous faut à présent scruter.

Guillaume Soro : le regard qui scrute et fonde l’avenir avec le Peuple de Côte d’Ivoire

Je connais Guillaume Kigbafori Soro depuis 1995. J’oeuvre étroitement avec lui dans son équipe depuis juillet 2012, soient 7 ans bientôt d’expériences bien trempées, heureuses et malheureuses, vécues solidairement. Je ne l’ai jamais vu accepter que la peur ou la lâcheté lui dictent ses décisions. Je ne l’ai jamais vu cautionner la précipitation dans l’action, ni considérer que tous les coups étaient permis en politique. Tout en étant un homme politique profondément amoureux de la réalité, il a des principes d’humanité infranchissables, et nul en ce monde ne peut le forcer à aller au-delà de ces principes.

Quand cette affaire de RHDP Unifié a commencé, Guillaume Soro a très tôt[10] indiqué que sans la bonne méthode, elle finirait mal. IL a très tôt souligné qu’on ne fait pas d’alliance solide en cherchant d’une manière ou d’une autre à tromper ses alliés, car un allié qui se sent trompé et qui survit à la tromperie, devient un adversaire plus dangereux pour soi qu’un ennemi traditionnel. Or, dans la construction du RHDP unifié, tout le monde aujourd’hui s’accorde à reconnaître que tout a changé dès lors que le Président Alassane Ouattara, au mépris du texte et de l’esprit de la Constitution de 2016, s’est ouvertement mis à envisager un 3ème, voire un 4ème mandats présidentiels, alors qu’à aucun moment, cette donnée n’avait été introduite dans son entente avec ses alliés. Tout le monde sait aussi que le raidissement dictatorial en cours actuellement en Côte d’Ivoire, est une manière pour le Clan présidentiel de combler le déficit de légitimité démocratique et de popularité réelle qui lui vient de son exclusion de ses deux grands alliés traditionnels : le PDCI-RDA et les Forces Nouvelles.

Voilà pourquoi l’absence de Guillaume Soro le 26 janvier 2019 au Congrès isolé et isolant du RHDP ne pouvait surprendre que ceux qui le connaissent mal. Et je constate que beaucoup de ses alliés d’hier, manifestement, le connaissaient fort mal. On n’achète pas la conscience de Guillaume Soro à coups de promesses de milliards publics. On n’achète pas l’amour de Guillaume Soro pour la prospérité et la dignité des femmes et hommes de Côte d’Ivoire. On ne peut pas troquer, dans un marché de dupes de surcroît, ce que Guillaume Soro estime comme étant l’âme immortelle de la Nation Ivoirienne !

Cette absence remarquée et remarquable de Guillaume Soro, qui signe l’isolement et le casse-gueule du projet du RHDP unifié, est donc en réalité une grande promesse pour le Peuple de Côte d’Ivoire : il y a une voie étroite, mais sublime, qui se transforme chaque jour en boulevard des libertés rétablies et raffermies dans ce pays. C’est la voie d’une alliance sincère des démocrates, patriotes, humanistes, républicains et progressistes ivoiriens, pour une Commission Electorale Indépendante, pour un redimensionnement des Institutions vers une inévitable 4ème République s’il le faut, pour un pardon et une réconciliation plus persévérants entre tous les Ivoiriens, pour une vraie nation ivoirienne bâtie sur un progrès partagé et des générations mieux préparées à l’assumer. C’est cette voie ardue, mais ardente d’amour et de justice que Guillaume Soro a choisie. Et c’est elle, sûrement, que le Peuple Ivoirien, résolument attend et lui demande, de près comme de loin, d’incarner de toute urgence. Fasse Dieu que les foudres des Jupiters humains et éphémères passent vite et loin de cette belle Nation Ivoirienne et que tel un Phénix, elle puisse éclore dans une merveilleuse et imminente aurore de paix et de liberté.

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