L’honneur d’une nation n’est pas une fiction. Vivre ensemble dans un pays, c’est faire corps au triple plan physique, mental et spirituel avec tous ses autres concitoyens. On partage le même espace matériel vital, les mêmes villes, campagnes, cités balnéaires ou lieux touristiques, lieux de culte, marchés et supermarchés, administrations.
On partage ensuite les mêmes informations quotidiennes : radios, télévisions, presse écrite, rumeurs et clameurs rurales ou urbaines, modes et styles culturels du pays, voilà autant de sédimentations psychiques qui traversent et structurent un champ mental commun à tous les habitants. On partage enfin quelque chose de plus puissant : la conscience collective, c’est-à-dire le profond sentiment d’appartenir à une communauté de destin, d’être imbibé par le même esprit et de partager la même âme. Ce dernier sentiment se nourrit des puissances symboliques de la patrie, incarnées dans le drapeau national, l’hymne national, la devise nationale, les armoiries républicaines, les fêtes et commémorations officielles, les équipes nationales, et bien sûr les institutions régaliennes du pays. Tout acte qui détériore l’espace physique, mental ou spirituel de la nation est dès lors vécu par tous les citoyens conscients comme une grave atteinte, non seulement à leur vivre-ensemble, mais à leur propre dignité de citoyens respectables. Le sacré collectif et le sacré personnel sont ici en communion d’émotion. Loin d’être uniquement personnel, le déshonneur peut être alors une sanction collective provoquée par l’indignité de quelques-uns.
Comprend-on mieux pourquoi Guillaume Soro a lancé depuis Katiola le 18 mai 2019, une exhortation au gouvernement Ouattara, afin que cesse l’humiliation de la Côte d’Ivoire devant les institutions internationales et les puissances étrangères ? Dans les lignes qui suivent, nous rappellerons d’abord les faits dénoncés le 18 mai à Katiola par le Président du Comité Politique ivoirien, avant d’en dégager les conséquences et issues honorables possibles.
Ancien Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, poste qu’il occupait depuis mars 2012, Guillaume Soro a démissionné de ses fonctions le 8 février 2019, après avoir refusé de se soumettre au diktat du Président du RHDP Alassane Dramane Ouattara, qui lui enjoignait d’adhérer à son nouveau parti ou de quitter la tête du Parlement ivoirien, où son mandat électif courait pourtant jusqu’en 2020, conformément à la loi. Pendant 7 ans, à la tête du Parlement ivoirien, Guillaume Soro n’a pas seulement déployé un formidable travail de rénovation et de modernisation matérielle de l’Assemblée Nationale, il a donné place à la reconnaissance de l’ensemble des personnels et des élus dans la République. Qui plus est, Guillaume Soro aura fait rayonner comme personne d’autre avant lui, l’institution parlementaire sur le plan national et international : vote de lois révolutionnaires sur le genre, la famille, l’apatridie ; organisation de colloques internationaux pour nourrir d’idées critiques l’espace public national, invitations aux Parlements étrangers et visites de parlements, engagement de la Côte d’Ivoire dans les plus importantes organisations parlementaires internationales, telles l’APF (Assemblée Parlementaire de la Francophonie)1, l’UIP (Union Inter-Parlementaire)[2], ou l’UPA (Union Parlementaire Africaine)[3].
L’APF (Assemblée Parlementaire de la Francophonie), qui retiendra tout particulièrement notre attention dans cette réflexion, est un haut-lieu d’influence politique à travers le monde francophone. Voici ses buts, tels qu’énoncés sur son site web :
« L’Assemblée parlementaire de la Francophonie est un lieu de débats, de propositions et d’échanges d’informations sur tous les sujets d’intérêt commun à ses membres.
Par ses avis et recommandations à la Conférence ministérielle de la Francophonie et au Conseil permanent de la Francophonie, elle participe à la vie institutionnelle de la Francophonie. Elle intervient devant les chefs d’Etat lors des Sommets de la Francophonie.
En étroite collaboration avec l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), elle engage et met en œuvre des actions dans les domaines de la coopération interparlementaire et du développement de la démocratie. Ses actions visent à renforcer la solidarité entre institutions parlementaires et à promouvoir la démocratie et l’État de droit, plus particulièrement au sein de la communauté francophone.
L’Assemblée parlementaire de la Francophonie mène un important travail de réflexion portant sur des sujets tels que les libertés et droits politiques, les Parlements et la communication, l’espace économique francophone et la coopération décentralisée ou encore l’éducation, l’égalité femme-homme, les obstacles à la diffusion des connaissances dans les pays francophones et la place du français dans les organisations internationales. L’Assemblée se prononce sur la base de rapports établis par ses commissions et réseaux.
L’action politique
L’Assemblée parlementaire de la Francophonie adopte des résolutions sur des sujets intéressant la communauté francophone dans les domaines politique, économique, social et culturel. Elle adopte également des avis et des recommandations destinés à la Conférence ministérielle de la Francophonie et au Conseil permanent de la Francophonie ainsi que des recommandations destinées aux Chefs d’État et de Gouvernement des pays ayant le français en partage. »[4]
Or c’est devant cette institution, dont le Président Guillaume Soro est 1er Vice-Président depuis la 43ème session de juillet 2013 au Luxembourg [5], que les plus hautes autorités de l’exécutif ivoirien se sont adonnées ces dernières semaines à des manœuvres indignes : coups de téléphones à de nombreux Chefs d’Etat francophones pour leur demander d’inciter leurs Présidents d’Assemblée nationale respectifs à décharger le député Guillaume Soro de ses fonctions de Vice-Président de l’APF, missions diplomatiques à l’étranger dans le même but, tentatives de pressions diverses sur le Bureau de l’APF, afin d’évincer Guillaume Soro, tout y passe. A Katiola le 18 mai 2019, devant le Peuple de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro a donc révélé la gravité de ces faits de désinvolture diplomatique au plus haut niveau de l’Etat, dont il nous faut à présent mesurer toutes les conséquences dramatiques au triple plan spirituel, mental et matériel.
Au plan spirituel, cette manœuvre est un acte de haine contre l’honneur collectif et l’aura du Peuple, de la République et de l’Etat ivoiriens. Comme l’a bien souligné Guillaume Soro, un homme d’Etat qui interfère à l’étranger pour obtenir que la Côte d’Ivoire soit privée d’une position majeure dans une organisation internationale n’est pas un véritable homme d’Etat, mais bien plutôt un homme d’éclats et de Clan. On ne gouverne pas authentiquement la République en Chef de parti, mais en garant du Bien Commun. Tenter de régler des comptes personnels contre un citoyen, au détriment de l’intérêt général de la nation, c’est révéler petitesse et bassesse d’esprit à la face du monde. A la tête de l’Etat, le Chef doit penser et viser grand, comme le disait Charles de Gaulle :
« Le Chef doit viser haut, voir grand, juger large, tranchant ainsi sur le commun qui se débat dans d’étroites lisières. « [6]
Au plan mental, la basse manœuvre du gouvernement ivoirien contre le député Guillaume Soro humilie aussi les compétences intellectuelles avérées du Peuple de Côte d’Ivoire, car elle révèle, au sommet de l’Etat, une gravissime ignorance du droit des organisations internationales. En effet, un moindre effort de prise de conscience des statuts, règlements et habitudes institutionnelles de l’APF aurait pu éviter au gouvernement d’Alassane Ouattara d’entreprendre ce projet funeste en forme de coup d’épée dans l’eau, car les fonctions de Vice-Président de l’APF et de Président de l’APF étant électives, les conditions de cessation de ces fonctions sont rigoureusement définies par le règlement de cette organisation qui date des années 60 et a ses traditions bien établies. Comment comprendre que l’exécutif ivoirien agisse dans l’ignorance du droit international et du règlement des organisations politiques classiques ? Que font réellement les Conseillers de l’exécutif ivoirien pour le laisser ainsi se fourvoyer ? Terre d’éminents juristes tels les professeurs Wodié, Bléou, Dégny Ségui, Ouraga Obou entre autres, la Côte d’Ivoire mérite-t-elle d’être banalisée à la face du monde comme le pays dont l’exécutif excelle en bavures juridiques ?
Au plan matériel enfin, la tentative de torpillage de la fonction de Vice-Président de l’APF aujourd’hui exercée au nom de la Côte d’Ivoire par Guillaume Soro est désastreuse pour l’image de marque du pays. Les chances de voir la Côte d’Ivoire héberger de grands événements parlementaires s’amoindrissent de nouveau ; le rayonnement effectif du Parlement Ivoirien, grâce auquel de nombreux partenariats avaient été noués sous Guillaume Soro , est frappé de plein fouet par cette montée en puissance de l’amateurisme politicien qui prospère fâcheusement à la tête du pays. Car, de triste et récente mémoire, les mêmes bavures ont été accomplies par le très calamiteux Amadou Soumahoro dit Cimétière devant les parlements de la CEDEAO[7] en Afrique de l’Ouest et devant l’Union Parlementaire Africaine (UPA) en Afrique du Sud[8].
Dans un cinglant recadrage du Parlement Ouest-Africain au nouveau Président de l’Assemblée Nationale de la brinquebalante majorité au pouvoir en Côte d’Ivoire, on pouvait lire en effet :
« J’accuse réception de l’arrêté numéro 09/AN/PT du 30 avril 2019, par laquelle vous avez bien voulu me notifier la recomposition du Groupe national de Côte d’Ivoire au parlement de la CEDEAO. Je note que deux députés de cette délégation, les Honorables Salé Poli et Yah Touré qui ont prêté serment respectivement le 04 février 2016 et le 08 mars 2019, ont été remplacés sans explications. J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le remplacement d’un député au parlement de la CEDEAO est régi par les dispositions pertinentes de l’acte additionnel A/SA.1/12/16 du 17 décembre 2016 relatif au renforcement des prérogatives du parlement de la CEDEAO et du règlement intérieur de la quatrième législature. Conformément à l’article 18.2,a de l’acte additionnel : « Le député est élu pour une période de 4 ans. Le mandat court à compter de la date d’installation du parlement par le président de la conférence. Leur mandat prend fin le dernier jour de la législature »[9]
N’est-ce pas le summum de l’indignité pour le pays ? C’est donc sous le choc d’une très longue série d’humiliations collectives qui n’ont que trop duré que Guillaume Kigbafori Soro a parlé à Katiola : « Arrêtez d’humilier la Côte d’Ivoire ! », a-t-il lancé, autant comme une indignation et une exhortation. Se souvient-on que Guillaume Soro avait déjà relevé de telles bassesses diplomatiques du régime Ouattara lors d’un séjour au Congo-Brazzaville[10] courant 2018 ? Indignation de Guillaume Soro, car c’est un épouvantable gâchis pour le pays, que d’être plaint ainsi désormais dans tous les grands cénacles internationaux. Exhortation, car Guillaume Soro est-allé jusqu’à conseiller au régime Ouattara la meilleure procédure possible à engager pour atteindre ses fins. En effet, comme l’a révélé le Président du Comité Politique, le régime Ouattara peut formellement demander au député Guillaume Soro lui-même de rendre sa démission de ses fonctions de Vice-Président de l’APF, puisque c’est manifestement devenu l’obsession du pouvoir. Guillaume Soro, comme pour l’Assemblée Nationale le 8 février 2019, se dit prêt à envisager , pour sauver une fois de plus l’honneur de son pays, de prendre alors la décision qui s’imposera. Consacré à la construction du nouveau contrat social qui le liera au Peuple de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro consentira en réalité tous les sacrifices requis pour sauver l’espérance de la relève de la Nation qui pèse désormais sur ses épaules. Un homme d’Etat, un Chef d’Etat véritable, se mesure à cette hauteur de vue. N’est-ce pas ?