Lors d’une visite à Bamako, la capitale malienne, le 26 février, le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé a fait part de son opinion selon laquelle le gouvernement malien devrait s’asseoir et négocier avec le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui lutte pour la création d’un État indépendant dans le Nord. M. Juppé a par la suite dû essuyer de nombreuses critiques pour avoir légitimé un mouvement rebelle considéré comme sectaire et opportuniste par une grande partie des habitants du Sud. Retour sur un siècle d’histoire et de conflits.
Le gouvernement colonial français n’aurait pas tenté de faire la paix avec les insurgés touaregs, dont la résistance sporadique, mais souvent efficace, a retardé la conquête du nord du Mali et maintenu la région sous contrôle militaire. Si les Français ont bâti une forteresse à Kidal, dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, en 1908, ils ont malgré tout eu beaucoup de difficulté à obtenir la reconnaissance des leaders touaregs les plus obstinés, qui en voulaient à la France de s’être emparée du commerce transsaharien, de prélever des taxes punitives et d’intervenir dans leurs relations avec les communautés sédentaires. À Kidal et à Gao, on accusait les colonialistes d’utiliser la tactique consistant à « diviser pour mieux régner » et d’exploiter les conflits de longue date et les disputes territoriales entre les différentes confédérations touarègues.
Après un petit soulèvement à Ménaka en 1911, les Français ont dû faire face, en 1916, à une insurrection beaucoup plus importante : la ‘révolte de Kaocen’ du nom de son leader, Kaocen Ag Mohamed. Des Touaregs, fortement influencés par les chefs religieux soufis anticolonialistes et souffrant des conséquences d’une grave sécheresse, ont occupé de vastes pans de ce qui est aujourd’hui le nord du Niger avant de perdre du terrain et d’être brutalement neutralisés par l’armée française l’année suivante.
À la veille de l’indépendance, en 1960, des indices venant de Paris donnaient à penser que l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) continuerait de contrôler des régions désertiques du Mali et des pays voisins. En dépit de la dissolution de l’OCRS, la récurrence sporadique de propositions similaires a alimenté, à Bamako, les rumeurs de complots fomentés par la France et ayant pour objectif de déstabiliser le Mali et de créer un État saharien docile, riche en minerai, occupé par les Touaregs et contrôlé par Paris.
Les ‘Fellaghas’, une rébellion écrasée
Bien avant le retrait de la France du Mali en 1960, les leaders touaregs avaient manifesté leur mécontentement face à la perspective de l’intégration des territoires du Nord au sein d’un nouvel État. L’administration postcoloniale, dirigée par Modibo Keïta, un nationaliste convaincu influencé par la pensée marxiste, présentait peu d’attrait pour les communautés nomades confrontées à des changements fâcheux dans les règles relatives à la propriété foncière, à un respect strict des frontières établies et à de nouveaux contrôles bureaucratiques. Il faut savoir que les Touaregs entretenaient des liens commerciaux beaucoup plus étroits avec l’Algérie, au nord, qu’avec Bamako et le sud du pays.
Le Nord était un pays à part, considéré avec suspicion et hostilité par de nombreux habitants du Sud. Peu peuplé, mais couvrant un vaste territoire, il figurait à peine dans les programmes de développement national élaborés par le président Keïta. On raconte par ailleurs que les fonctionnaires envoyés au Nord comparaient leur déploiement là-bas à une peine d’emprisonnement.
Si la rébellion des Fellaghas, qui a éclaté en 1962 à Kidal, a pris la forme d’une campagne d’attaques éclair de faible intensité, elle a malgré tout déclenché une réponse écrasante de la part de l’armée du président Keïta. Des milliers de personnes ont dû fuir. Les massacres de civils, l’empoisonnement des puits et la destruction des troupeaux de bétail ont été bien documentés et sont couramment cités dans la littérature et la musique touarègues ainsi que dans les manifestes et les programmes des mouvements rebelles qui ont vu le jour par la suite. Dans une lettre ouverte adressée au Parlement européen en 1994, des femmes touarègues dressaient une liste des atrocités commises pendant cette période, « allant de l’extermination de campements entiers aux exécutions sommaires et publiques, en passant par des gens brûlés vifs et les nombreuses femmes mortes en prison avec leurs enfants ».
Migrer depuis les marges de la société
Le président Modibo Keïta (1960-1968) et son successeur, Moussa Traoré (1968-1991), ont tous deux été accusés de militariser le Nord, de le priver de ressources et d’étouffer toute expression d’une identité culturelle tamachek autonome. La région a également été touchée, en 1972-73 et 1984-85, par des sécheresses dévastatrices qui ont décimé les troupeaux, fait disparaître les pâturages et compromis les moyens de subsistance des populations locales. Si de nombreux Touaregs se sont rabattus sur l’agriculture ou sur des emplois temporaires, leur appauvrissement croissant a malgré tout entraîné un exode important vers les centres urbains du Mali et de l’Afrique du Nord.
Parmi ceux qui sont partis, nombreux sont ceux qui ont trouvé du travail dans l’industrie pétrolière algérienne ou libyenne, alors en pleine expansion. D’autres se sont rendus jusqu’au Moyen-Orient. En 1986, le leader libyen Mouammar Kadhafi, qui s’était déjà autoproclamé défenseur de la cause touarègue, a enrôlé des centaines de Touaregs pour faire la guerre au Tchad.
Retour des migrants armés
À la fin des années 1980, la défaite de la Libye au Tchad et les crises économiques qui sévissaient en Algérie et en Libye ont contribué au retour des civils et des combattants touaregs au Niger et au Mali.
Déjà, en 1988, les Touaregs qui vivaient en Libye avaient créé un nouveau groupe rebelle touareg, probablement avec le soutien du colonel Kadhafi : le Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (MPLA), dirigé par Iyad Ag Ghali, qui a par la suite pris le nom de Mouvement populaire de l’Azawad (MPA).
Les autorités ont rapidement assisté à l’émergence de mouvements rivaux s’appuyant, le plus souvent, sur des bases régionales et des réseaux différents – une tendance qui a persisté au Mali et au Niger.
Au Mali, le MPLA a été rejoint par le Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA), le Front populaire pour la libération de l’Azawad (FPLA) et l’Armée révolutionnaire pour la libération de l’Azawad (ARLA). Si ces groupes ont par la suite fusionné pour donner naissance aux Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (MFUA) – au moins pour la signature d’un accord de paix –, ils ont cependant conservé leur propre identité.
En juin 1990, les nouveaux combattants ont attaqué simultanément la prison et la garnison de Ménaka. S’ils n’avaient pas l’arsenal de la génération de 2011, ils disposaient malgré tout de suffisamment d’armes, de véhicules et de savoir-faire militaire pour embarrasser rapidement des soldats démoralisés, mal payés et se battant pour un régime confronté à des protestations massives dans le Sud et qui serait renversé moins d’un an plus tard, en mars 1991.
La route vers Tombouctou – en quête d’une paix durable
L’Algérie a agi comme médiateur dans les négociations qui ont mené à la signature d’un premier accord de paix à Tamanrasset (Algérie) en janvier 1991. Or, les violences ont continué. Même après le renversement du président Traoré et la création du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), dirigé par Amadou Toumani Touré, les atrocités se sont poursuivies. En mai 1991, plus de 40 Touaregs et Arabes ont été tués par les forces gouvernementales à Léré, près de Tombouctou.
Le programme d’édification de la nation du CTSP, illustré par la Conférence nationale organisée à Bamako en juillet-août 1991 et l’accord sur l’élaboration d’une nouvelle constitution, avait notamment pour objectif de trouver une solution durable pour le Nord.
Le ‘Pacte national’ signé par le gouvernement et le MFUA en avril 1992 prévoyait bien plus qu’une simple trêve. Ses recommandations préconisaient notamment l’intégration des anciens rebelles au sein de structures militaires improvisées ; la création d’une commission d’enquête indépendante chargée d’examiner les allégations de violations des droits de l’homme ; la mise en place d’une commission de suivi du cessez-le-feu ; et l’élaboration d’un ‘statut particulier’ pour le Nord, prenant en compte les négligences passées et accordant à la région son propre commissariat et de nouvelles assemblées locales et régionales. Il y aurait des sièges au Parlement pour les anciens déplacés, des fonds alloués par les donateurs pour favoriser la croissance et l’investissement, des routes et des écoles. L’armée malienne se retirerait en réduisant graduellement le nombre de bases occupées et de contingents déployés.
Comme on pouvait le prévoir, il était beaucoup plus facile de signer le Pacte que de le mettre en œuvre. Les quatre années qui ont suivi ont été marquées par une instabilité extrême, des mutineries, des affrontements entre les différents groupes rebelles et de graves épisodes de violence intercommunautaire. Dans le Nord, les tensions entre les communautés nomades et sédentaires, déjà exacerbées par la disparition des pâturages et la rareté de l’eau, nécessitaient une gestion prudente.
La création, en 1994, du Mouvement patriotique Ganda Koy (MPGK), une milice d’autodéfense principalement formée de membres de la communauté songhaï et dirigée par des anciens officiers de l’armée, marquait une évolution dangereuse. Ganda Koy s’est rapidement forgé une réputation pour ses actes de représailles systématiques contre les communautés arabes et touarègues. Les autres mouvements rebelles, en particulier le FIAA, ont parfois riposté de la même manière.
D’énormes efforts ont été déployés pour faire respecter le Pacte national. Le nouveau président malien Alpha Konaré (1992-2002) a prêché la paix et la coexistence dans le Nord. Les mouvements touaregs ont commencé à rejeter les promesses irréalistes. La société civile émergente de l’époque a travaillé sans relâche pour promouvoir la paix et a réussi à obtenir la signature d’accords de paix au niveau local dans des régions comme celles de Ménaka et de Gao. Des experts extérieurs comme l’ancien ministre français Edgar Pisani, le philosophe mauritanien Ahmed Baba Miské et l’historien norvégien Kare Lode ont milité en faveur de la consolidation de la paix au niveau national et populaire.
En mars 1996, à Tombouctou, 10 000 personnes ont assisté à la destruction de quelque 2 700 armes à feu pour symboliser la fin du conflit et la dissolution des mouvements rebelles. « Sincèrement, c’est une leçon pour notre époque », a dit Kalifa Keïta, ancien commandant de la 5e région militaire du Mali, la région de Tombouctou.
Dix ans plus tard, le 23 mai 2006, une nouvelle insurrection était annoncée et des raids sur les garnisons de Kidal et de Ménaka étaient organisés, amorçant un nouveau cycle de violence et provoquant, chez ceux qui avaient connu les rébellions précédentes, une désagréable impression de déjà vu.