
À 1€ de l’heure contre 14€ en France, le coût de main-d’œuvre marocain bouleverse le marché européen de la tomate. Face à des barquettes vendues à prix cassés et des volumes d’importation qui explosent, les agriculteurs espagnols et français s’unissent pour une bataille juridique sans précédent contre ce qu’ils dénoncent comme une concurrence déloyale orchestrée par Rabat.
La Coordination des organisations d’agriculteurs et d’éleveurs (COAG), l’une des plus grandes organisations professionnelles agricoles d’Espagne, se mobilise pour dénoncer ce qu’elle considère comme une concurrence déloyale du Maroc. Depuis la signature de l’accord de libre-échange avec l’UE en 2012, les producteurs marocains de tomates profitent d’une réduction des barrières douanières pour exporter massivement leurs produits vers l’Europe. Selon la COAG, le Maroc a progressivement dépassé l’Espagne pour devenir le principal fournisseur de tomates sur le marché européen, comme le rappelle le quotidien El Debate.
Vers une plainte européenne contre le Maroc
En janvier, la COAG a déposé une plainte auprès de la Cour des comptes, accusant le Maroc de fraude fiscale. L’organisation espagnole soutient que le royaume a dépassé la limite annuelle de franchise de 230 000 tonnes de tomates, ce qui a entraîné un excédent de près de 71,7 millions d’euros d’exportations en Europe. Bien que la procédure judiciaire soit en cours, la COAG continue de lutter contre l’afflux massif de tomates marocaines, qui met en difficulté les producteurs européens.
Dans le cadre de la Conférence internationale « Prix équitables pour les agriculteurs« , qui s’est tenue récemment à Bruxelles, une délégation de la COAG a rencontré des représentants de la Confédération paysanne de France pour discuter de la situation. Andrés Góngora, responsable des fruits et légumes de la COAG, a expliqué que deux options étaient à l’étude : déposer des plaintes au niveau national, en Espagne et en France, ou saisir directement la Haute Cour de justice européenne pour demander des sanctions contre le Maroc.
Le cabinet d’avocats, qui avait précédemment assisté le Polisario dans une affaire concernant l’étiquetage des tomates produites au Sahara, soutient l’idée de saisir la Cour européenne pour lutter contre ce qu’il appelle une « concurrence déloyale ». Une des principales raisons de cette concurrence réside dans l’écart énorme des coûts de production. En France, le coût horaire de la main-d’œuvre dans le secteur agricole avoisine les 14 euros, tandis qu’au Maroc, ce chiffre chute à seulement 1 euro, un écart qui permet aux producteurs marocains de proposer des prix bien plus compétitifs.
Gilles Bertrandias, directeur de Rougeline, un groupement de coopératives de tomates basé à Marmande, a dénoncé cette situation en soulignant que la tomate marocaine est souvent vendue à des prix défiant toute concurrence. Par exemple, une barquette de 250 grammes de tomates-cerises marocaines peut être trouvée à 99 centimes d’euro, un prix équivalent au coût de production d’une barquette française. Ce déséquilibre met une pression énorme sur les producteurs français, qui peinent à survivre dans un marché saturé de tomates importées.
L’accord de libre-échange : une révision nécessaire ?
Cet accord de libre-échange entre le Maroc et l’UE, signé en 2012, avait initialement pour objectif de garantir une complémentarité entre les productions agricoles marocaines et européennes. Cependant, selon les producteurs français, cet accord a été détourné de son objectif initial. En effet, bien que les tomates marocaines soient censées n’arriver sur le marché européen que pendant les mois d’hiver, elles inondent désormais le marché français toute l’année, y compris pendant la période de production locale, de mars à octobre.
Cette situation a suscité l’indignation des producteurs, qui réclament une révision de cet accord, notamment un rééquilibrage saisonnier des importations pour revenir à l’esprit initial de l’accord. La tomate marocaine est désormais omniprésente sur les étals européens. En 2024, les exportations de tomates marocaines vers l’UE ont plus que doublé en dix ans, atteignant près de 700 000 tonnes, et dedans se trouve en outre des tomates du Sahara occidental, en toute illégalité.
Pendant ce temps, les exportations espagnoles ont chuté de 20%. Le Maroc est désormais le deuxième fournisseur de tomates de l’Union européenne, juste derrière les Pays-Bas.
Des actions légales pour protéger la filière européenne
Cette situation a soulevé des inquiétudes parmi les producteurs européens, notamment lors de la réunion du Groupe de contact sur les tomates, organisée à Almería, en Espagne. Lors de cette réunion, les professionnels du secteur ont exprimé leur mécontentement face à ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale, exploitant les failles de l’accord d’association entre le Maroc et l’UE. Face à cette situation de plus en plus alarmante, les producteurs européens continuent de chercher des solutions juridiques pour protéger leur marché.
Ils insistent sur la nécessité d’introduire des normes plus strictes en matière environnementale, phytosanitaire et de conditions de travail, afin de garantir une concurrence équitable. La pression sur les autorités européennes est forte, et les agriculteurs demandent une révision de l’accord de libre-échange afin de préserver la filière européenne de la tomate.