Alors que les nationalistes gagnent du terrain partout en Algérie, l’armée française décide en 1959 de mettre en place une force spéciale constituée d’anciens membres du Front de libération nationale (FLN) ralliés. Son objectif est d’infiltrer les rangs des révolutionnaires et de dissoudre la rébellion une fois pour toute. Ce « commando Georges », symbole de la dualité d’un peuple, a sans doute été l’unité la plus efficace de la guerre d’Algérie (1954-1962).
En 1959, l’armée française semble s’embourber en Algérie sans parvenir à s’adapter aux stratagèmes du Front de libération nationale (FLN) et de l’Armée de libération nationale (ALN). Un officier du nom de Georges Grillot, ancien de la guerre d’Indochine (1946-1954), décide de réitérer en Algérie ce qu’il avait réussi dans le delta du Mékong : convaincre des prisonniers de l’armée adverse de s’engager dans l’armée française. Cette méthode permet de connaître les techniques des maquisards et de gagner en efficacité dans le cadre de la contre-guérilla. Avec la confiance du célèbre colonel Marcel Bigeard, il fonde le commando Georges, constitué ainsi d’anciens « fellagha » (« casseurs de têtes » en arabe littéral, surnom péjoratif donné par l’armée française pour qualifier les résistants algériens).
Cette unité, contrairement à l’armée française dans son ensemble, est logiquement préparée à la lutte antisubversive. Comme en Indochine, des félons mis en confiance sont donc intégrés, à l’instar de Youcef Ben Brahim ou d’Ahmed Bettebgor. L’officier français sélectionne soigneusement ses soldats et s’engage à la fondation d’une Algérie nouvelle où les droits des musulmans seront identiques à ceux des Européens. Il parvient à gagner la confiance de ces Algériens, prêts à livrer leurs anciens frères d’armes contre des garanties quant à la protection de leur famille et une reconnaissance. A partir de 1960, le commando va réunir en moyenne, de 150 à 300 hommes. Avec sa devise « Chasser la misère », il devient très vite une arme redoutable.
La peur change de camp
Par définition, le commando Georges est un « commando de chasse », c’est-à-dire qu’il effectue des missions de recherches d’informations auprès de la population et de traques, afin de découvrir des caches et de neutraliser la guérilla. Il intervient particulièrement la nuit pour surprendre les rebelles et exécuter leurs chefs. Les interrogatoires, pour ne pas dire la torture, permettent également la collecte de renseignements précieux pour le démantèlement des filières de résistance. Ces hommes s’habillent à la manière des combattants nationalistes, se battent de la même façon, et destabilisent complètement l’organisation du FLN, jadis habitué à avoir une longueur d’avance :
Avec ce corps, c’est à présent l’armée française qui tend les embuscades, qui attaque la nuit par surprise, qui devient un ennemi invisible maîtrisant parfaitement le terrain. Le bilan total et officiel du commando Georges est impressionnant : 1 800 rebelles mis « hors de combat », dont une trentaine d’officiers, le démantèlement de 80% de l’organisation politico-administrative du FLN sur ses zones d’opération, et la saisie de 1 200 armes. Combien de victimes civiles ? Quoi qu’il en soit, il est récompensé par 26 médailles militaires et 398 citations. Le général de Gaulle en personne est reçu par Bigeard à Saïda, le 27 août 1959, et décore certains éléments du commando.
Après les médailles en chocolat, la trahison
Plus le général de Gaulle semble privilégier la voie de l’autodétermination, et moins la population locale confrontée au commando Georges se montre coopérante. Les exactions se multiplient et les appréhensions s’amplifient au fur et à mesure de l’arrivée des accords d’Evian. Le doute commence en effet à toucher ces soldats qui voient la vengeance du FLN arriver à grands pas, et beaucoup d’entre eux désertent malgré les paroles apaisantes de Georges Grillot. Le commando est même progressivement infiltré par des révolutionnaires, qui en plus promettent le pardon en cas de reddition. Leur moral est au plus bas et la majorité regrette son choix, trop tard.
Finalement, les accords d’Evian signés le 18 mars 1962 affirment dans leur article 2 que « Nul ne pourra faire l’objet de mesures de police ou de justice, de sanctions disciplinaires ou d’une discrimination quelconque ». De plus, deux jours plus tard, par un décret, ils se voient proposer une réintégration à la future armée régulière algérienne. Ces engagements, pris dans la précipitation, se veulent rassurants alors que les lendemains s’annoncent terribles. En réalité, il s’agit d’un abandon des hommes de Grillot et de leurs familles, au total 3 000 civils. En effet, les autorités françaises choisissent la dissolution du commando en avril et refusent leur rapatriement automatique en métropole. L’armée française va même jusqu’à les désarmer, comme la totalité des harkis. Un coup de poignard tricolore dans le dos.
Rapidement, on dénombre 40 disparitions puis davantage après la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962. Ceux qui échappent à la liquidation se voient condamnés aux travaux forcés, c’est-à-dire à l’agonie. Les plus « chanceux » qui rejoignent l’Hexagone s’installent dans les camps de harkis du Gard, du Larzac ou encore de Lozère. Eux et leurs familles sont réduits au chômage, à la discrimination, à la honte et à l’insécurité.. En effet, le lieutenant Youcef Ben Brahim, pourtant rapatrié en Dordogne, sera assassiné le 27 juillet 1968. Tel fut le destin de ceux qui choisirent la France.
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