L’inaction de l’Union Africaine depuis le déclenchement du conflit au Tigré, en novembre 2020, préoccupe. Au moment où des pays comme les États-Unis multiplient les actions, qu’attend réellement l’Organisation continentale pour prendre le taureau par les cornes et jouer son rôle en vue de la fin des hostilités en Éthiopie ?
Depuis bientôt dix mois, l’Éthiopie est en feu, surtout dans sa partie septentrionale. La guerre au Tigré a débordé de cette région, depuis plusieurs semaines, pour s’étendre dans l’Afar et l’Amhara. Des populations massacrées, déplacées, menacées par la famine, et cela fait presque dix mois que dure le calvaire des populations civiles. Tout ceci se passe dans le pays du siège de l’Union Africaine, sans que l’Organisation ne puisse rien faire pour arrêter la saignée. À quoi sert alors l’Union Africaine si elle reste presque tout le temps inactive et inopérante devant les problèmes majeurs qui se posent au continent ?
L’Union africaine a assisté impuissante à l’escalade verbale entre le TPLF et le gouvernement fédéral, alors qu’elle aurait pu mettre en œuvre une diplomatie préventive. Pis, depuis le déclenchement du conflit, on n’a vu l’Organisation déployer aucune action d’envergure pour faire cesser les hostilités. Et l’Éthiopie frôle le pire.
C’est la même attitude attentiste de l’Union Africaine face à la déstabilisation de la Libye de Mouammar Kadhafi, qui a ouvert les vannes du terrorisme violent dans le Sahel. Et là encore, devant des dizaines de personnes massacrées chaque semaine, dans la région dite des « trois frontières » entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, l’Organisation se comporte presque en observateur. Laissons les autres cas, et revenons à la situation de l’Éthiopie, parce que si nous devons aligner les exemples d’échecs de l’Union Africaine, nous risquons de remplir plusieurs pages.
Un engagement de plus en plus fort des États-Unis en vue de la cessation des hostilités
Dans le cas précis de l’Éthiopie, on a vu les États-Unis prendre des sanctions contre des personnes impliquées dans le conflit. Lundi dernier encore, le chef d’état-major de l’armée érythréenne, le général Filipos Woldeyohannes a été frappé par des mesures punitives prises par le gouvernement américain, en représailles aux exactions commises par ses troupes au Tigré : tous ses biens aux États-Unis ont été bloqués et les citoyens américains se sont vu interdire de faire des affaires avec lui. Des restrictions de visa ainsi que des sanctions financières ont également été prises contre des responsables éthiopiens. Désormais, c’est sur le levier commercial que les États-Unis comptent agir.
Selon un communiqué publié, hier jeudi via Twitter, par la représentante américaine au Commerce, Katherine Tai, son pays risque de retirer l’Éthiopie de l’AGOA (African Growth Opportunities Act) si elle ne met pas un terme aux violations des droits humains dans le Tigré. « J’ai rencontré [Mamo Mihretu, Conseiller politique principal auprès du Premier ministre éthiopien et négociateur commercial en chef, ndlr] hier. Nos pays ont une relation économique historique et un potentiel de croissance supplémentaire, et j’ai expliqué que les violations continues des droits de l’homme internationalement reconnus pourraient affecter l’éligibilité future de l’Éthiopie à l’AGOA si elles ne sont pas résolues ».
Voilà les États-Unis qui mènent des actions visibles en vue de la fin du conflit en Éthiopie. En face, que fait l’Union Africaine ? Elle attend. Des intellectuels africains d’Afrique et de la diaspora viennent d’interpeler l’organisation, à travers une lettre. Sortira-t-elle enfin de sa torpeur ?
L’appel des intellectuels africains
Une soixantaine d’intellectuels africains de l’intérieur et de la diaspora – dont Achille Mbembe, Souleymane Bachir Diagne, Elleni Centime Zeleke – viennent de signer une lettre commune pour s’insurger contre l’incapacité des institutions internationales, singulièrement l’Union Africaine, à faire cesser le conflit en Éthiopie. « Nous rédigeons cet appel en tant qu’intellectuels africains du continent et de la diaspora. Beaucoup d’entre nous ont consacré leur vie professionnelle à la compréhension des causes et des solutions potentielles aux conflits intra et interafricains », peut-on lire dès les premières lignes du document. « La détérioration constante de la situation en Éthiopie nous consterne et illustre de manière tragique le peu d’intérêt que suscitent les nombreux commentaires des intellectuels africains sur la manière de résoudre les conflits qui déchirent le continent », ont poursuivi les auteurs.
« Nous sommes profondément bouleversés par la guerre civile en cours en Éthiopie – que certains qualifient de conflit interne régionalisé, étant donné le rôle joué par l’Érythrée dans ce conflit (…) L’Éthiopie est un pays majeur sur le continent, non seulement parce qu’elle a résisté avec succès à l’expansionnisme impérial européen, mais aussi parce qu’elle abrite le siège de l’Union Africaine (UA), notre organisation intergouvernementale, dont nous déplorons le manque d’engagement effectif dans la résolution de la crise éthiopienne. L’UA et ses États membres – en particulier les États voisins de l’Éthiopie – ne doivent pas laisser l’Éthiopie dicter les termes de leur engagement dans la recherche d’une solution à ce conflit », ont déclaré les signataires.
Ils ont également condamné tout ce qui se passe en Éthiopie, en matière d’exactions, avant d’inviter les deux camps rivaux éthiopiens à privilégier désormais une solution politique plutôt que militaire pour une sortie de crise, en acceptant « dans le cadre de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et de l’UA, de participer à la résolution de ce conflit par une médiation extérieure ». Dans cette démarche, l’Union Africaine et l’IGAD sont appelées « à assumer pleinement leurs rôles de médiateur auprès des protagonistes de ce conflit, notamment en apportant tout leur soutien politique à l’envoyé spécial de l’UA pour la Corne de l’Afrique, qui sera bientôt désigné ».
Vivement que cet appel contribue à changer quelque chose pour un retour de la paix en Éthiopie.