Le secrétaire d’Etat français chargé de l’Outre-mer, Yves Jego, a annoncé, lundi et mardi, une première série de mesures contre la vie chère et l’implantation de nouvelles stations services en Guadeloupe. Les automobilistes pourront, dès demain, s’approvisionner de nouveau en carburant à la pompe. Mais la grève générale se poursuit et menace de s’étendre à la Martinique. Ce mouvement, par son ampleur, ne saurait se résumer à une gronde contre le coût trop élevé de la vie. Il est aussi l’expression d’une population guadeloupéenne qui voudrait trouver les chemins menant vers un avenir meilleur.
Il lui en aura fallu du temps, à Yves Jégo, pour daigner se rendre en Guadeloupe. Alors qu’une grève générale paralyse l’île depuis le 20 janvier, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer n’a débarqué sur le tarmac de l’aéroport Pôle Caraïbe que le 1er février. Il avait mieux à faire, sans doute, rue Oudinot, laissant le préfet, Nicolas Desforges, en première ligne, impuissant face aux représentants du LKP (Liyannaj kont pwofitasyon : collectif contre l’exploitation outrancière), la coalition d’associations et d’organisation syndicales, et ses 123 revendications. Une situation qui a renforcé le sentiment des Guadeloupéens de n’être que des citoyens de seconde zone et l’image de politique arrogant que la presse locale avait collée au secrétaire d’Etat à l’Outre-mer lors de son précédent séjour dans le département.
Mais c’est, semble-t-il, un tout autre Yves Jégo qui s’est présenté lors de ses premières conférences de presse en Guadeloupe. Le voilà disponible et tout ouïe. Il n’a pas précisé la date de son retour dans l’Hexagone, assurant qu’il resterait le temps qu’il faudrait pour résoudre la crise. Lundi et mardi, il a annoncé un premier train de mesures. Le gel de toute nouvelle implantation de stations services – une décision qui a satisfait les gérants de stations services qui ont annoncé qu’ils cesseraient leur mouvement de grève dès demain. L’application du Revenu de solidarité active (RSA) dès 2009, avec un an d’anticipation sur le délai prévu dans l’île, où il devrait compter quelque 61 000 bénéficiaires. « C’est 30 millions d’euros qui vont être injectés pour donner une vraie réponse de pouvoir d’achat », a annoncé le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer. Ce dernier a aussi promis, « dès cette année », la mise à disposition de 40 000 billets d’avions aller-retour Pointe-à-Pitre – Paris à 340 euros pour les Guadeloupéens les plus modestes, soit 10% de la population. Il a aussi ajouté qu’il travaillait « sur toute une série de mesures de cette nature-là (…) pour que les réponses soient ciblées et en profondeur. »
Au-delà des revendications contre la vie chère…
Ces annonces sont autant de victoires pour le LKP, qui est parvenu à rassembler pacifiquement les Guadeloupéens autour de ses revendications, portant essentiellement sur le problème de la cherté de la vie, dans des proportions jusqu’alors inégalées. Les défilés, dans les rues de Pointe-à-Pitre et Basse-Terre, ont drainé ces quinze derniers jours des dizaines de milliers de personnes. Une mobilisation qu’il reste difficile d’apprécier depuis l’Hexagone tant les médias nationaux l’ont ignorée à ses débuts… Les promesses d’Yves Jégo n’ont cependant pas désamorcé le mouvement populaire. Comme annoncé, il en fera de nouvelles dans les jours qui viennent. Face à elles, le LKP devra s’interroger sur la nature même du mouvement qu’il a enclenché. Se cantonne-t-il à une série de revendications sociales faites en direction de l’Etat français, ou est-il capable de faire progresser le débat sur l’avenir de la Guadeloupe, tant sur les plans économique, sociétal qu’institutionnel? Car si la grève générale a pris cette ampleur, ce n’est pas uniquement parce que les Guadeloupéens ont voulu exprimer leur ras-le-bol face à la vie chère et la dégradation de leurs conditions de vie (le taux de chômage avoisine les 30% dans l’archipel). C’est aussi parce qu’il a cristallisé l’angoisse de tout un peuple face à son futur, et l’espoir d’y trouver activement des solutions, plutôt que de demeurer le spectateur de son propre naufrage. Syndicalistes et responsables associatifs, s’ils s’engagent sur cette voie, auront besoin du soutien des intellectuels, des entrepreneurs et, surtout, des politiques locaux – qui, dépassés par les événements, n’ont pas été jusqu’à présent à la hauteur.
Les faits qui se déroulent en Guadeloupe surviennent un peu plus d’un mois après que les Guyanais ont manifesté massivement contre la hausse des prix du carburant. Et la Martinique menace d’engager un mouvement de grève générale à partir de jeudi. Cette révolte des populations des départements d’Outre-mer français, quoiqu’ayant ses spécificités, rejoint une colère plus largement partagée. Celle des classes moyennes et défavorisées qui, dans nombre de pays du monde, voient leurs conditions de vie se dégrader. Elles refusent la fatalité, placent leurs gouvernants face à leurs responsabilités et vont jusqu’à remettre en question le système capitaliste et ses nombreuses dérives. Quoique charriant une profonde inquiétude, leur révolte, qui appelle à repenser le monde et son fonctionnement, est porteuse d’un immense espoir.
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