Alors que la grève générale contre la vie chère et les profits abusifs, engagée par le LKP (Liyannaj kont pwofitasyon), dure depuis plus d’un mois en Guadeloupe et fait tache d’huile dans les autres départements d’Outre-mer français (DOM), des membres de la diaspora caribéenne et réunionnaise ont organisé une importante mobilisation samedi, à Paris. A l’appel du CLKP (Continuité liyannaj kont pwofitasyon), plus de 10 000 personnes sont descendues dans les rues de la capitale française pour marquer leur solidarité avec les grévistes. Reportage.
« Jacques, tu n’es pas mort pour rien. Nous allons continuer la lutte en ta mémoire… » Debout sur l’estrade, place de la Nation, un ami d’enfance de Jacques Bino – membre du LKP, du syndicat CGTG et du mouvement culturel Akiyo – tué par balle mardi soir à Pointe-à-Pitre, aux abords d’une barricade, lit avec émotion l’hommage qu’il a griffonné sur une feuille de papier. Face à lui, une foule immense et recueillie, massée autour de la haute statue de bronze représentant l’une des valeurs fondatrices de la République française : la liberté.
Ils sont plus de 10 000 (10 000 selon la police, 30 000 selon les organisateurs), Antillais pour la majorité, à avoir marché ce samedi après-midi, de la Place de la République à celle de la Nation, pour soutenir les mouvements de protestations contre la vie chère engagés dans les départements français d’Outre-mer. A l’origine de cette mobilisation, le CLKP (Continuité liyannaj kont pwofitasyon), un regroupement d’associations, de syndicats et de personnalités né la semaine dernière, suite à une réunion d’information tenue par Jocelyn Lapitre, un membre du LKP mandaté par le mouvement guadeloupéen pour effectuer une mission d’information dans l’Hexagone. Le collectif revendique néanmoins son indépendance vis-à-vis de l’organisation menant la grève générale en Guadeloupe. « Nous ne sommes ni les relais du LKP, ni les représentants du LKP. Nous sommes un relai citoyen et solidaire », précise par deux fois Hector Quidal, l’un des représentants du CLKP. « Nous avons appelé cette manifestation pour que les structures changent en Guadeloupe ! Pour que les structures changent en Martinique ! », ajoute-t-il.
« Il était temps qu’on se secoue un peu »
Quelques minutes plus tôt, Elie Domota, le leader du LKP, s’exprimait par téléphone depuis la Guadeloupe pour faire un point sur la situation dans l’île et inviter « tous les travailleurs français à se battre avec nous [les Guadeloupéens] pour le pouvoir d’achat. » Un discours, relayé par de puissantes enceintes, que la foule a accueilli par de vives exclamations encouragées par le son du tambour et de la conque de lambi. La plupart des manifestants connaissent, pour y avoir vécu ou y être allés, la difficulté des conditions de vie dans les DOM. « Je reviens des Antilles où effectivement la vie est très chère, nous confie Marie-Madeleine. C’est scandaleux ! Ma sœur a été licenciée. Elle touche 400€ d’Assedic. Elle a deux enfants à charge. Les produits sur le marché sont hors de prix, et en plus sur le plan du travail il n’y a pas de perspective. » Christiane, elle, est de passage à Paris pour une formation. Elle a participé, en janvier, aux premières marches organisées par le LKP en Guadeloupe, et déclare qu’elle sera présente partout où seront organisées des manifestations de soutien : « Dès que j’entends qu’il y a Liyannaj kont pwofitasyon quelque part, je suis là ! C’est un mouvement juste. Il était temps qu’on se secoue un peu, qu’on prenne notre destin en main. C’est surtout pour mes enfants que je suis là ! »
A la tête de l’impressionnant rassemblement, plusieurs élus ceints de leur écharpe tricolore. La députée de la Guyane, Christiane Taubira, Harlem Désir, député européen, et de nombreux élus de proximité. Parmi eux, Nadine Seymour-Galou, maire-adjointe de Savigny-le-Temple, en région parisienne. « Je suis fière de voir tout ce monde dans la rue. Nos gouvernements considèrent trop souvent les Antillais comme des citoyens de seconde zone. Nous devons montrer que dans l’Hexagone, cette France-là, elle existe », déclare-t-elle. Des artistes se sont aussi ralliés en grand nombre à la manifestation. Des Antillais : Firmine Richard, Souria Adèle, Dominique Bernard, Jean-Michel Martial, Krys, Dédé Saint-Prix… Et d’autres, originaires de France hexagonale et d’Afrique. Ainsi, l’humoriste nigérien, Mamane, pour qui les enjeux du mouvement de protestation ne se limitent pas aux départements français d’Outre-mer : « Je me devais d’être là, parce que ce qui se passe en Guadeloupe, ça intéresse tout le monde. Le système financier est en train de se casser la gueule, et les Guadeloupéens, ce sont nos tirailleurs sénégalais : ils sont en première ligne. »
Les négociations entre les grévistes du LKP, les patrons et l’Etat reprennent lundi, en Guadeloupe. Les responsables du CLKP, organisateurs de la marche de samedi, se sont d’ors et déjà déclarés prêts à maintenir la mobilisation dans l’Hexagone, tant qu’un accord satisfaisant n’aura pas été trouvé.