Musicien, chanteur, poète et créoliste, Gregory Rabess s’inscrit comme un des grands acteurs culturels du monde créole. L’artiste dominicain, à Londres depuis 4 ans, sera l’un des grands invités du festival Variations Caraïbes du 27 septembre au 1er octobre à Paris. Il décortique pour Afrik sa vision d’un monde créole à la fois riche et vivant. Interview.
C’est avec une musique de steelband métissée de calipso que la France pourra (re)découvrir Gregory Rabess à Paris à l’occasion du festival Variations Caraïbes (27 septembre au 1er octobre). Grande figure du monde créole, le Dominicain s’illustre aussi bien en musique, qu’en chant ou qu’en poésie. Il partage ici avec nous sa conception de la créolité dont il est un ardent défenseur.
Afrik.com : Comment définiriez-vous la créolité ?
Gregory Rabess : C’est une philosophie idéologique et politique visant à définir « Ki moun nou yé » (« Qui nous sommes » en créole, ndlr). La créolité est une culture de métissage. Il y a les descendants d’esclaves africains, des natifs (indiens, ndlr), des Blancs… Il existe une multiplicité d’identités parmi lesquelles on peut naviguer. Tout en sachant que la base reste créole.
Afrik.com : La langue créole diffère d’une île à l’autre de la Caraïbe. Existe-t-il un socle commun à l’identité créole ?
Gregory Rabess : Il faut distinguer langue, identité et culture. Il existe effectivement plusieurs variétés de créole d’un point de vue linguistique, même s’il a 90% d’éléments communs. Si chaque île a son dictionnaire, il n’y en pas, à ma connaissance, un de global. Le fait est que la langue créole, comme l’identité, s’est nourri et continue à se nourrir d’influences. Tout en sachant qu’il y a beaucoup d’inter-connexions entre les îles. On retrouve en Dominique, qui est anglophone, des expressions martiniquaises dans le Sud de l’île et guadeloupéennes dans le Nord. Il y a des mots anglais qui entrent dans le parler quotidien dans les Antilles francophones. Il y a plus d’un million d’Haïtiens aux Etats-Unis, une des raisons qui explique qu’on voit apparaître des mots anglais dans la musique kompa.
Afrik.com : Vous vous décrivez comme un artiste engagé et activiste. Quel est exactement le sens de votre engagement ?
Gregory Rabess : Quand je dis que je suis militant activiste c’est pour affirmer une lutte de résistance des idées. Et non une lutte de violence. Il y a une forte influence américaine dans la culture populaire des Caraïbes, donc nous devons agir pour continuer à la faire vivre. La créolité est le fondement de tout mon travail. Il s’agit pour moi de développer et de faire la promotion de la culture créole.
Afrik.com : Malgré les différents mouvements créolistes, force est de constater que l’image des Antilles en Occident reste rivée aux clichés de la plage et des cocotiers…
Gregory Rabess : Il y a certes toujours cette image de Coconut paradise (Paradis cocotier, ndlr) qui colle à la perception des Caraïbes, mais il y a de nouvelles dynamiques en action qui commencent à porter leurs fruits. Des dynamiques qui utilisent des éléments de la culture créole pour créer de nouvelles industries culturelles et diversifier les économies locales. Que ce soit la cuisine, les habits, l’éco-tourisme, les plantes ou la musique. Il y a aujourd’hui de grands festivals dans les Caraïbes qui dépassent largement les frontières des îles.
Afrik.com : Vous êtes multi instrumentistes et vous faites parti, à Londres, du plus ancien groupe de steelband du pays (Nostalgia). Est-ce le même type de musique que les Français vont pouvoir entendre pendant Variations Caraïbes?
Gregory Rabess : Pas exactement. Je vais me produire avec une musique steelband métissée de calipso. Quelque chose de très jazzy.
Afrik.com : Le steelband est un instrument méconnu en France, il reste attaché à certains stéréotypes, notamment liés à Trinidad. Le steelband a-t-il une histoire ?
Gregory Rabess : Le steelband c’est l’histoire d’un combat., d’une lutte pour la culture populaire à l’époque des Colons. Par ailleurs, c’est un instrument qui fait l’objet de beaucoup de recherches par rapport à la technologie du son. Il a même fait l’objet, l’année dernière, d’un conférence internationale à Londres pour analyser son évolution. Finalement, c’est un instrument typiquement créole dans le sens où il reste en évolution. La perception extérieure que l’on peut avoir de certains aspects de la culture créole est souvent erronée. La calypso, par exemple, est plus qu’un simple courant musical. Il est basé sur le commentaire social. C’est, en réalité, une musique très engagée qui suggère une prise de conscience.
Afrik.com : Y a-t-il une forte communauté créole en Angleterre ?
Gregory Rabess : Il y a une forte présence créole en Angleterre. Il y a des journaux, beaucoup de spectacles. On peut même considérer qu’il y a une véritable renaissance culturelle, comme en témoigne la notoriété du carnaval de Notting Hill qui déplace un million de touristes chaque année. Pour autant, rien n’est acquis et il faut toujours se battre pour défendre cette créolité en action. Certaines personnes ont, à ce propos, voulu tuer l’esprit du carnaval en militant pour le déplacer uniquement dans Hyde Park (célèbre parc londonien, ndlr) pour mieux contrôler les choses. Or un carnaval c’est forcément dans la rue que ça se passe, sinon ce n’est pas un carnaval.