Les enlèvements de lycéennes et les attentats suicides ont longtemps été les images associées au conflit dû à Boko Haram. Mais la violence fait aujourd’hui de nouvelles victimes : les milliers d’enfants nigérians qui meurent de faim.
Des scènes comme celle-là n’avaient pas été vues ici depuis la guerre de 1967-1970 avec le Biafra sécessionniste.
Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies, jusqu’à 4,5 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire dans le nord-est du pays. L’organisation a signalé que les habitants de certaines zones isolées de la région vivaient possiblement dans des « conditions proches de celles de la famine ».
Les pénuries alimentaires sont la conséquence inévitable d’une insurrection qui a entraîné le déplacement de plus de 2,5 millions de personnes au cours des sept dernières années.
Dans les États de Borno, de Yobe et d’Adamawa, plusieurs saisons de plantation ont passé sans que les agriculteurs puissent se remettre au travail normalement. Les zones de conflit sont difficilement accessibles, mais certaines informations suggèrent que les deux camps auraient intentionnellement détruit la production agricole et ciblé des civils.
Restrictions
La réponse presque exclusivement militaire mise en oeuvre par le gouvernement nigérian a poussé les rebelles de Boko Haram à fuir. Avec l’aide de pays voisins – le Tchad, le Cameroun et le Niger –, le Nigeria a ainsi réussi à récupérer une grande partie du territoire auparavant contrôlé par les insurgés.
Ce succès militaire n’a cependant pas été accompagné par un programme de déminage rigoureux. Craignant les mines laissées par Boko Haram, les habitants de vastes pans de ces régions fertiles n’ont pas repris leurs activités agricoles.
Les insurgés sont aussi une menace omniprésente dans les régions rurales, au-delà des villages et des villes. Cette menace limite la réponse humanitaire à la crise, de même que la reprise des services gouvernementaux.
Craignant l’infiltration d’agents de Boko Haram, les autorités ont imposé des restrictions sévères aux déplacements dans les environs des villes et des villages dont elles ont repris le contrôle. Les résidents – des femmes et des enfants, pour la plupart – ont été amenés dans des camps strictement supervisés par les forces de sécurité. Cela a gravement affecté l’économie rurale et la liberté de mouvement de la population.
Prenez Baga, un village de pêcheurs situé dans le nord de l’État de Borno. Baga a été repris par les forces du gouvernement en avril 2015 après avoir été presque entièrement détruit par Boko Haram. À cause des restrictions sécuritaires imposées par l’armée, toutefois, la pêche n’est plus pratiquée et les échanges avec les communautés locales sont interdits. Baga peine aujourd’hui à nourrir ses habitants.
Internement
Les camps de déplacés et les établissements temporaires de l’État de Borno, qui se trouvent pour la plupart à Maiduguri, la capitale, sont devenus d’énormes centres d’internement. Les vivres issus des maigres récoltes qui ont été produites dans les régions moins affectées par le conflit et les articles de secours distribués par les organisations d’aide locales et internationales sont loin de suffire à répondre aux besoins de la population déplacée.
Comme si les problèmes posés par les pénuries n’étaient pas suffisamment graves, les distributions d’articles de secours sont entachées par des allégations de corruption, de mauvaise gestion, de fraude et de vol à l’encontre de fonctionnaires du gouvernement.
Au lieu de mener des enquêtes transparentes et d’aborder le problème de front, les autorités fédérales et étatiques chargée de la gestion des camps se contentent de nier en bloc en employant des formules vagues.
Besoin de transparence
En juillet, une fonctionnaire de l’État basée à Maiduguri m’a dit qu’elle ne pouvait pas parler de l’approvisionnement en nourriture des personnes déplacées parce que le gouvernement avait déclaré qu’il s’agissait d’un « secret d’État ».
Sa réponse n’a rien d’étonnant lorsqu’on sait que l’Agence nigériane de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, NEMA) a nié les conclusions d’un rapport de Médecins Sans Frontières (MSF) sur la crise sanitaire qui s’est produite en juin dernier parmi les déplacés installés dans la ville de Bama. L’organisation rapporte notamment que certains jours, plus de 30 personnes y décédaient de faim et de maladies.
Le directeur de la NEMA, l’agence fédérale chargée de répondre aux crises internes, a accusé MSF d’utiliser le rapport comme un stratagème pour mobiliser le soutien financier des donateurs.
Il était dès lors très satisfaisant de voir le gouvernement fédéral réagir rapidement et positivement à la publication d’un rapport de Human Rights Watch (HRW) abordant la question de l’exploitation des femmes et les filles déplacées et des violences sexuelles commises à leur encontre par des responsables du gouvernement. Des policiers et des agents de renseignements ont été rapidement déployés pour mener l’enquête.
Cette réaction devrait montrer la voie à suivre et encourager l’amélioration des comportements de tous les fonctionnaires dont la tâche est de protéger et de soutenir les personnes déplacées. Elle offre une excellente occasion d’institutionnaliser des réformes en ce qui concerne les enquêtes de sécurité et la formation du personnel, réformes qui favoriseront la reddition de compte.
Beaucoup de chemin à faire
Les programmes d’aide doivent encourager la sensibilisation en matière d’égalité des sexes et de droits de l’homme. Ils doivent aussi permettre de contrôler et d’enquêter de façon approfondie sur les cas d’abus et d’inconduite, y compris en ce qui concerne la distribution de vivres.
Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Les dernières nouvelles de Maiduguri suggèrent que les autorités de l’État – apparemment mécontentes de la publicité négative que lui a faite le rapport sur les sévices sexuels – ont renforcé les restrictions aux abords des camps.
Au lieu d’encourager la protection des droits des personnes déplacées, les autorités ont imposé aux fournisseurs d’aide locaux et internationaux de nouvelles exigences auxquelles ils doivent se soumettre s’ils souhaitent poursuivre leurs opérations dans l’État de Borno.
Le Nigeria est le pays le plus riche d’Afrique, mais il a besoin de toute l’aide qu’il peut trouver pour faire face à une tragédie humanitaire de cette ampleur. Pour le moment, l’appel international de 488 millions de dollars qui a été lancé pour venir en aide au pays n’est financé qu’à hauteur de 37 pour cent.
Les gens dont les vies dépendent de cette aide ont le droit d’exiger une réaction plus honnête et plus vigoureuse lorsque des inquiétudes concernant la mauvaise gestion de l’aide se font jour.
L’obligation de transparence et de reddition de comptes doit être non négociable.