La police kenyane multiplie les coups de filet pour interpeller les membres des Mungiki, une secte africaniste qui a dégénéré en mafia. Pendant plus de deux décennies, les Mungiki ont semé la terreur dans la capitale kenyane parfois avec le consentement tacite des hommes politiques qui exploitaient leurs méfaits dans leur rivalité pour la conquête du pouvoir. Libéré l’année dernière après trois ans de détention préventive, leur leader Maina Njenga a été libéré et envisage une carrière politique.
Le coup de filet de la police kenyane a dû ravir le Premier ministre Mwai Kibaki, qui a juré d’en finir avec les Mungiki. Dans la nuit de dimanche à lundi, cent dix-huit membres de cette organisation considérée depuis plus de vingt ans comme une secte mafieuse ont été interpellés à Nairobi, la capitale, et ses environs. Ils viennent s’ajouter aux centaines d’autres de leurs « frères » mis sous les verrous cette année, dont plus de trois cents pour le seul mois de septembre.
A Nairobi où les joutes politiques dégénèrent facilement en bagarres de bandes ethniques, la disparition programmée des Mungiki via la traque policière ne doit certainement pas réjouir tous les hommes politiques qui ont souvent eu recours à leurs services. Car de groupe religieux africaniste à son origine, les Mungaki ont effectué une rapide mutation pour se positionner sur les terrains criminel et politique.
Dans les années 1980, les Mungiki, dont le nom de baptême en Kikuyu, une des ethnies majoritaire du Kenya, signifie « peuple uni » ou « multitude », commencent à faire parler d’eux dans les régions montagneuses du pays. C’est alors un groupe d’allure mystique et traditionnel dirigé de façon collégiale, à la tête duquel se trouve un leader principal du nom de Maina Njenga. Ses hommes et lui arborent des dreadlocks comme les guerriers Maï Maï qui combattirent les colons britanniques et qu’ils prétendent être leur source d’inspiration. Ils vouent un culte à leur dieu appelé Ngai, chiquent du tabac en guise de communion, et prie en direction du Mont Kenya où est censé siéger Ngai. Leur idéologie est totalement floue. On sait tout au plus qu’ils prônent un retour à la société traditionnelle africaine, rejettent l’occidentalisation dans tous ses aspects – y compris le christianisme – qu’ils blâment en responsable de la décadence morale de la société. Ils cultivent le secret, faisant jurer à tout nouveau converti qu’il serait « tué s’il divulguait » les secrets du groupe et de son initiation.
De la défense des fermiers Kikuyu à la mafia urbaine
Les Mungiki font leurs premières armes dans la défense des fermiers Kikuyu. Ceux-ci sont impliqués dans de violentes disputes domaniales avec leurs rivaux, les Massaï. Ils sont parfois aussi confrontés aux forces du gouvernement de l’époque favorable à la tribu Kalenjin. Les Mungiki attirent rapidement la sympathie de chômeurs et des centaines de laissés-pour-compte qui viennent grossir ses rangs, lui donnant une aura nationale.
Dans les années 1990, Maina Njenga et ses hommes migrent vers Naïrobi avec la bénédiction tacite du président Daniel Arab Moï. C’est également à ce moment que les Mungiki, qui se réclament désormais de plus de 500 000 membres – quatre fois plus selon certains – entament leur structuration et s’affirment comme puissant syndicat du crime organisé. Comparé aux Yakuzas japonais ou encore à la Cosa Nostra italienne, le groupe se structure en petites cellules d’une cinquantaine de membres elles-mêmes divisées en peloton de cinq personnes. Il s’investit fortement dans le business des Matutu, le transport urbain par minibus qu’il domine rapidement. Cette activité lui sert de tremplin pour s’attaquer à plusieurs autres domaines d’affaires comme la collecte d’ordures ménagères, le bâtiment et la protection des personnes.
Dans les rues de Naïrobi, les meurtres attribués aux Mungiki se multiplient. Les affrontements entre les membres du groupe et la police font également plusieurs dizaines de morts, pendant que les plaintes pour racket se multiplient. Ce qui n’empêche pas plusieurs hommes politiques à rechercher le soutien du réseau. Les Mungiki vont ainsi soutenir plusieurs candidats aux élections de 2002, mais ceux-ci sont battus, et le gouvernement excédé par cet épisode décide d’en finir avec les Mungiki.
Le président Mwai Kibaki peut d’autant plus pester contre les Mungiki qu’il a avec lui l’opinion qui n’en peut plus des exactions du groupe. Honnis, les hommes du leader Maina Njenga choisissent de faire profil bas, sans pour autant renoncer au racket des habitants des bidonvilles de Naïrobi. Certains d’entre eux abandonnent les dreadlocks pour des coiffures plus sobres qui facilitent leur fusion avec la foule ordinaire. En 2003, les Mungiki sont officiellement interdits. En février 2006, Maina Njenga leur leader est arrêté à son domicile en même temps que dix autres personnes dont cinq femmes. Libéré puis interpellé plus d’une fois, le chef des Mungiki a été définitivement élargi l’année dernière par la justice qui n’a pas réussi à rassembler suffisamment de preuve pour le condamner pour assassinat. Inspirée par Margaret Wanjiru, une secrétaire d’Etat qui tient sa propre église pentecôtiste baptisée « Jesus Is Alive Ministries », l’homme s’est depuis converti au christianisme, abandonnant plusieurs milliers de ses anciens disciples à la traque policière. Alors que certains d’entre eux ont depuis traversé les frontières kényanes pour demander asile dans d’autres pays, leur chef qu’on dit très courtisé par les politiciens kényans de tous bords envisagerait de créer son propre parti dans la perspectives des élections générales de 2012.