Goutte d’Or palace


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Un "trou" dans la douche

Les mal-logés du quartier de la Goutte d’Or, à Paris, ont décidé de se prendre en main. Devant l’incapacité et parfois la mauvaise volonté des institutions et associations pour leur fournir un logement, les femmes maliennes, sénégalaises, ivoiriennes, maghrébines… et françaises se sont unies pour faire valoir leurs droits.

Collectif 18ème sans frontières. C’est sous cette appellation que les femmes mal logées de la Goutte d’Or se sont réunies pour faire valoir leurs droits à vivre dans un logement décent. Pourquoi des femmes ? « Peut-être parce que c’est la culture dans les familles à majorité africaines » qui peuplent le célèbre quartier parisien, coincé entre Barbés et La Chapelle, explique une adhérente. « Mais de plus en plus d’hommes font la démarche de venir nous voir ». Toutes les personnes unies au sein du collectif ont en commun de vivre dans des logements totalement insalubres et de voir leurs dossiers de relogement pourrir dans les tiroirs des administrations et associations censées leur venir en aide.

vxvxcv.jpgLeur constat, amer, est qu’elles ne peuvent plus compter que sur elles-mêmes. En se faisant entendre, sans violence, à travers des actions coup de poing. A l’issue de chacune de leurs opérations, le collectif se réunit sur une place du quartier, où un compte rendu est fait en bambara ou en wolof et dans une autre langue si cela est possible et nécessaire. Une « permanence » y est même tenue pour aider les habitants en quête de relogement dans leurs démarches administratives.

« Tapisserie changée tous les trois mois »

D’origines malienne, algérienne, sénégalaise ou ivoirienne, la plupart des personnes qui ont pris contact avec le Collectif n’écrivent pas le français et le parlent difficilement. Elles ont le tort de ne pas connaître leurs droits au logement et sont dans l’incapacité de le découvrir seules. Manda Coulibaly vit depuis onze ans dans un studio de 14 m2 totalement insalubre. Pendant dix années, elle a payé son loyer à des particuliers qui se disaient propriétaires de son studio, mais qui se sont révélés être des escrocs. Lorsque les doutes ont commencé à gagner Manda sur l’identité réelle de ses bailleurs, son mari lui a conseillé d’arrêter de payer son loyer. Hors de question pour la locataire, qui pensait que « tant qu’on paye, on est en règle ».

Douche.jpgL’humidité permanente et les infiltrations rendent l’appartement de Mme Coulibaly complètement spongieux. « On change la tapisserie tous les deux ou trois mois », assure d’un français hésitant Manda, désormais mère de quatre enfants. Deux d’entre eux, âgés de deux et cinq ans, sont atteints de saturnisme. Des ganglions sont apparus dans le cou de l’aîné, âgé de dix ans et le dernier né, âgé de deux mois, est atteint de difficultés respiratoires. La cloison défoncée de la salle de bain laisse entrevoir les rats et les souris qui se promènent. Le lino est gondolé et déchiré et le plafond s’émiette. Mais rien n’a poussé la maman à mettre son bailleur devant son devoir : réaliser les travaux indispensables à son appartement. Cette ignorance, teintée d’une crainte de l’Etat, le Collectif tente aujourd’hui de la combler. D’autant que ses « membres », qui ne désirent en rien être assistés, exercent des métiers souvent pénibles et ne font que réclamer leur droit.

Administrations, associations, même combat

Un droit que l’on semble refuser aux mal-logés du quartier de la Goutte d’Or. La voie à suivre pour une personne vivant dans un logement insalubre est en théorie très simple. Il s’agit d’abord pour la requérante d’obtenir une rencontre avec l’assistante sociale de secteur, afin d’obtenir un « rapport social ». Un rapport qu’elle devra ensuite transmettre à la Préfecture, accompagnée d’une demande de logement d’urgence si cela n’a pas encore été fait. Mais cette démarche, les habitants de la Goutte d’Or ne peuvent la réaliser. Depuis trois ans, les assistantes sociales ont pratiquement déserté le quartier. La mairie du 18ème arrondissement y a créé le « Service polyvalent du centre d’action sociale de la ville de Paris ». Les conseillères économiques et sociales y ont pris la place des assistantes sociales. Les mal-logés ont bien été reçus, mais sans résultat, selon elles. Profitant parfois de leur ignorance, les conseillères assurent à leurs interlocuteurs avec une assurance déroutante qu’elles n’ont pas besoin du fameux rapport social. Et les laissent repartir en leur expliquant que les demandes urgentes de relogement sont nombreuses et qu’il faudra attendre.

Khadija Benomar Lahouarria l’a bien compris, elle qui attend depuis 24 ans. Après avoir écumé les hôtels sociaux, théoriquement provisoires, elle a posé ses valises dans le logement « passerelle », tout aussi provisoire, que lui a proposé Habiter au quotidien. L’association milite pour que les résidents mal-logés du quartier ne soient pas envoyés dans les quartiers périphériques de la capitale. Mais après avoir obtenu la gestion du bâtiment qu’elle avait dans un premier temps squatté, Habiter au quotidien, soutenue et financée par le ministère de la Ville, a cessé de venir en aide aux personnes en difficulté. Khadija assure même avoir trouvé des dossiers de demandes de logement s’entassant dans les caves, ainsi que dans une poubelle ! Quant aux autres associations, tel Droit au logement, « elles se sont professionnalisées », ironise Zineb, à l’origine du Collectif. Les personnes qui viennent la voir dans sa permanence connaissent d’ailleurs bien les nombreuses associations qui peuplent le quartier. Elles en sont revenues.

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