L’affaire défraie la chronique depuis quelques jours. Google a mis à la porte l’un de ses plus importants employés, la chercheuse, spécialiste des biais de l’intelligence artificielle (IA), Timnit Gebru, une Américano-éthiopienne, par ailleurs militante de la cause des personnes marginalisées. Ce licenciement, dont le motif demeure pour l’instant flou, n’a pas laissé impassibles les milieux scientifiques.
Dans un tweet en date du 3 décembre 2020, Timnit Gebru, chercheuse spécialisée dans les biais et des sujets d’éthique de l’IA chez le géant californien, a indiqué que sa hiérarchie avait dit avoir accepté sa démission, une démission que l’intéressée nie avoir jamais déposée. Timnit Gebru indique avoir juste demandé des conditions simples avant de répondre à sa hiérarchie au sujet d’un article scientifique qu’elle a publié de concert avec d’autres chercheurs, dès son retour de vacances . De quoi s’agit-il en réalité ?
Un jeu du chat et de la souris
Les déclarations contradictoires fusant de part et d’autre ne permettent pas de se faire une idée claire et précise de ce qui oppose Timnit Gebru à son employeur, Google. Dans tous les cas, deux sujets sont au centre du débat : un article scientifique publié par l’informaticienne et quatre autres collègues de Google ainsi que des externes, puis un e-mail qui a découlé de cet article.
En effet, la hiérarchie de Timnit Gebru lui a demandé de retirer un article scientifique publié sans avoir suivi ni le processus habituel de validation à l’interne ni le temps d’examen nécessaire pour garantir le niveau de qualité requis pour ce type de production, ce qui serait à la base de lacunes qui présenterait le papier. « Les articles nécessitent souvent des modifications au cours du processus d’examen interne (ou sont même jugés impropres à la soumission). Hélas, cet article particulier n’a été communiqué qu’un jour avant la date limite — nous avons besoin de deux semaines pour ce type d’examen », a tweeté Jeffrey Dean, responsable de l’IA chez Google. Propos bien entendu réfutés par Timnit qui a une toute autre version des faits.
Dans un e-mail adressé à des collègues, Timnit Gebru a, en effet, dénoncé la manière dont sa hiérarchie lui a demandé de retirer le papier. Elle explique avoir soumis le papier à au moins une trentaine de ses pairs, ainsi qu’à certains départements de Google. Deux mois plus tard, ces départements ne lui ont fait aucun retour? si ce n’est de lui demander des informations supplémentaires, pour finalement lui annoncer brutalement la décision de retirer son papier.
Les supérieurs de Timnit Gebru n’ont pas apprécié cet e-mail de l’informaticienne et sans avoir dialogué avec elle, ont saisi ses subordonnés pour leur notifier que sa démission était acceptée. De son côté, la concernée ne reconnaît pas avoir adressé une quelconque démission à sa hiérarchie. Ce qui laisse penser que Timnit Gebru a purement et simplement été victime d’un licenciement.
Timnit Gebru, victime de son combat ?
La chercheuse licenciée par Google est également reconnue comme une militante de la cause des marginalisés. En tant que telle, elle est cofondatrice Black in AI, une plateforme ayant pour but d’encourager une meilleure présence des Noirs dans le secteur de l’intelligence artificielle. Mercredi dernier seulement, Google a été sommé par une agence fédérale américaine de répondre à des accusations de plus en plus persistantes faisant état d’une surveillance que le géant californien organiserait à l’encontre de ses employés militants. Y aurait-il un lien entre ce licenciement de Timnit Gebru et ses activités de militante ? La question mérite sans doute d’être soulevée surtout que le licenciement intervient après que la chercheuse a souligné, dans l’e-mail adressé à ses collègues, la volonté de Google de réduire « au silence les voix marginalisées ».
La communauté scientifique américaine se mobilise derrière la chercheuse
Informée du problème entre Timnit Gebru et son employeur, la communauté scientifique américaine s’est rapidement mobilisée. Dès la publication des informations relatives au licenciement de la chercheuse, une lettre ouverte a été mise en ligne pour exiger des explications à Google. Selon un décompte fait par l’AFP ce samedi, 1 900 universitaires et membres de la société civile l’ont déjà signée, en plus de 1 400 employés de Google, ce qui porte à 3 300 le nombre total de signataires de la lettre. Ils sont très nombreux, y compris au sein de Google même, à dénoncer une « censure de recherche sans précédent ».
Sur le compte Twitter de Google Walkout, creuset regroupant des employés actuels et anciens de la firme, on peut lire : « Dr. Gebru est une scientifique novatrice qui effectue certains des travaux les plus importants pour garantir une IA juste et responsable et pour créer un domaine de recherche sur l’IA accueillant et diversifié ».