Au Mali, le pouvoir a été rendu aux civils mais il semble toujours aux mains de la junte dirigée par la capitaine Sanogo. Ses hommes ont fait face ce lundi à une offensive menée par des militaires fidèles à l’ancien président malien Amadou Toumani Touré, renversé le 22 mars. La transition ne semble pas être remise en cause par les putschistes mais ils sont opposés à l’envoi d’une force de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Dans cet entretien, Gilles Yabi, responsable du bureau Afrique de l’Ouest de l’organisation International Crisis Group, souligne l’incertitude qui règne autour des détenteurs du pouvoir à Bamako.
Gilles Yabi dirige depuis janvier 2011 le bureau Afrique de l’Ouest de l’organisation International Crisis Group. L’ONG milite pour la prévention des conflits, notamment grâce à ses analyses des situations de crises.
Afrik.com : Le Mali a connu ce lundi ce qui semble être un contre-coup d’Etat. Que se passe-t-il dans ce pays ?
Gilles Yabi : On a surtout le sentiment que l’Etat malien s’effondre aussi bien sur le plan politique que sécuritaire. Le Mali est en proie à une grande confusion. Son armée est divisée entre les commandos parachutistes, les fameux bérets rouges, proches du président déchu Amadou Toumani Touré, et les bérets verts de Kati, fidèles au capitaine Sanogo. La junte sort renforcée de cet épisode et les nouvelles autorités politiques s’en trouvent fragilisées.
Afrik.com : Les Maliens, et surtout la junte, n’ont pas bien accueilli la décision de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) d’envoyer une force au Mali. Ce déploiement n’était-il pas prévu dans l’accord-cadre signé le 6 avril dernier ?
Gilles Yabi : L’accord-cadre ne mentionne pas l’envoi d’une force de la Cedeao. Mais il prévoit une restructuration de l’armée malienne puisqu’il est question du vote d’une « loi portant création d’un comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité ». On imagine bien que la remise sur pied de l’armée malienne ne pourra pas se faire sans une assistance régionale et internationale. Sans le préciser, l’accord indiquait surtout que la junte allait jouer un rôle dans la transition. Cette dernière craint aujourd’hui d’être marginalisée par les autorités en charge de la transition. Les militaires s’attendaient à une assistance logistique, pas à l’envoi d’une force qui limiterait de facto leur marge de manœuvre. Autre point d’achoppement : la durée de la transition qui a été fixée à un an. Pour la junte, elle ne devait durer que 40 jours, au terme desquels il y aurait eu de nouvelles négociations.
Afrik.com : La Cedeao est très critiquée par les Maliens. Peut-on parler d’une mauvaise gestion de la crise par la l’organisation ouest-africaine ?
Gilles Yabi : Il est trop tôt pour porter un jugement définitif. C’est une crise complexe. D’une part, l’Etat n’est plus présent au Nord, d’autre part, le putsch à Bamako a achevé de détruire l’autorité de l’Etat, conduit à la disparition d’un interlocuteur unique qui aurait, justement, pu gérer la crise dans le Nord. Néanmoins, si la Cedeao a été cohérente avec ses prises de position – condamnation du coup de force et appel à un retour à l’ordre constitutionnel – et eu gain de cause formellement dans une première phase, elle le sera moins dans une deuxième phase après la désignation et la mise en place d’une médiation. Les choses semblent avoir été gérées de manière plus personnelle, notamment par le médiateur (le président burkinabè Blaise Compaoré). Le gouvernement de transition a été ainsi formé sans une large consultation des acteurs de la vie politique et de la société civile. Le Mali ne dispose pas d’un gouvernement d’union nationale.
Afrik.com : Que va-t-il se passer maintenant dans le Nord-Mali ?
Gilles Yabi : On espérait, avec un retour formel à l’ordre constitutionnel, que le dialogue pourrait s’ouvrir avec le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et peut-être avec le groupe Ançar Dine. Aujourd’hui, la confusion qui règne à Bamako ne le permet pas. Le Premier ministre, qui selon l’accord-cadre, a les pleins pouvoirs pour mener la transition est jusqu’ici paralysé. Il faut que la situation se clarifie, que le capitaine Sanogo laisse la gestion politique aux autorités civiles et qu’un modus vivendi soit trouvé entre celles-ci et les militaires. On pourra alors imaginer l’ouverture d’un dialogue avec le Nord où les rebelles et les islamistes sont bien installés. Ils ne craignent actuellement aucune reconquête puisque les forces armées maliennes se battent entre elles à Bamako. Il faut bien admettre que la crise politique et sécuritaire au Mali s’inscrit dans la durée.
Afrik.com : La Cedeao est-elle la plus apte à gérer la crise malienne ? Ne faut-il pas une action plus concertée qui impliquerait davantage un pays comme l’Algérie ? Quel serait le degré idéal d’implication de la communauté internationale, notamment la France ?
Gilles Yabi : Il faut surtout éviter la concurrence entre acteurs et organisations internationales qui pourrait être exploitée par les parties impliquées dans la crise malienne. Le Mali est membre de la Cedeao et c’est normal que l’organisation sous-régionale soit la première à être interpellée d’autant qu’il y a un risque de contagion. Il y a une légitimité de la Cedeao à intervenir puisque la situation au Mali – coup d’Etat et rébellion dans le Nord – est une violation de ses principes de base. Ses responsables sont bien conscients qu’ils ne peuvent gérer seuls cette crise, qu’il faut impliquer davantage l’Algérie, qui est une puissance régionale, et la Mauritanie qui abrite une partie de l’état-major politique du MNLA. Ces deux pays, à l’instar de la France et des Etats-Unis, ont été invités aux différents sommets extraordinaires de la Cedeao. Nous en sommes déjà à une gestion internationale de la crise. Cependant, il me semble primordial de veiller à créer un espace pour le dialogue inter-malien, entre le Nord et le Sud, afin que les Maliens puissent trouver ensemble une issue à cette crise. Dans l’immédiat, il faut que l’on sache qui détient le pouvoir à Bamako.