L’Union européenne a officiellement notifié la reprise de la coopération avec le Togo, la semaine dernière. Depuis la répression brutale de l’opposition en 1993, le pays ne recevait plus de fonds européens. Gilbert Bawara, ministre togolais de la Coopération et du NEPAD dans le nouveau gouvernement d’union nationale, est l’un des artisans de cette réconciliation. Afrik.com l’a rencontré, à Paris. Interview.
Le commissaire européen Louis Michel a annoncé, le 11 décembre dernier, la reprise officielle de la coopération entre l’Union Européenne et le Togo. L’UE avait décidé de suspendre ses aides suite à la violente répression que le défunt président Eyadéma Gnassingbé (1935 – 2005) avait fait subir, en 1993, à l’opposition togolaise. Un processus de réconciliation et de normalisation politique avait abouti en septembre 2006 à la formation d’un gouvernement d’union nationale, dirigé par l’un des chefs de file de l’opposition, le Premier ministre Yawovi Agboyibo. Et, en juin 2007, sont prévues des élections législatives pluralistes et transparentes. Cette évolution a permis de dégeler les relations entre le Togo et les instances européennes. Gilbert Bawara, membre du RPT (Rassemblement du peuple togolais, parti majoritaire) et fidèle du président Faure Gnassingbé, fils et successeur d’Eyadéma, est ministre de la Coopération et du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique). Ancien fonctionnaire international aux Nations Unies pendant 11 ans, il a enquêté sur des cas de violation des Droits de l’homme et œuvré pour la paix dans des pays tels que le Rwanda, la RDC et le Timor Oriental. Ces trois derniers mois, il a participé activement au réchauffement des relations entre le Togo et l’Union européenne. Afrik.com l’a rencontré lors de son dernier passage à Paris.
Afrik.com : Après le processus de réconciliation nationale, aujourd’hui les relations du Togo avec l’Union européenne sont en voie de normalisation. A qui peut-on attribuer ce succès ?
Gilbert Bawara : Les actions qui ont été initiées par le président Eyadéma Gnassingbé ont contribué pour beaucoup dans le dénouement de la coopération européenne. Je voudrais rendre ici un hommage mérité au père de la Nation, car c’est lui qui a posé les jalons avec la signature des 22 engagements en avril 2004. C’est également sous son impulsion qu’a été relancé le dialogue politique le 27 mai 2004. Le premier ministre Koffi Sama a également apporté sa contribution, ainsi que le Premier ministre Edem Kodjo, qui dans des conditions très difficiles a accepté d’apporter sa contribution au président Faure Gnassingbé. Bien entendu, je dois aussi rendre hommage à toute la classe politique qui a fait preuve d’un sursaut en acceptant de s’asseoir autour d’une table et de parvenir à l’accord politique global. Je pense que ça a été déterminant dans l’attitude de nos partenaires de l’Union européenne. (…) Le commissaire Louis Michel a notifié officiellement la reprise de la coopération avec les reliquats du neuvième FED (Fond européen de développement), ainsi que ceux du fond Stavex 1995-1999.
Afrik.com : Ce qui représente combien exactement ?
Gilbert Bawara : Environ 50 millions d’euros. Ces ressources vont donner une bouffée d’oxygène aux togolais qui en ont bien besoin, tant dans le domaine de l’agriculture, que de l’assainissement, des infrastructures socio-collectives et des projets qui pourraient résorber l’inemploi des jeunes.
Afrik.com : Quel rôle personnel avez vous joué dans l’évolution de la situation ?
Gilbert Bawara : Je suis un militant des Droits de l’homme. (…) Mon souci est de faire en sorte que toute action politique ait pour finalité de satisfaire aux besoins de l’être humain. Et veiller à la protection des libertés publiques a été sans doute ma touche personnelle. Mais je ne pense pas que le président Faure Gnassingbé avait besoin de moi pour impulser cette dynamique qui consiste surtout à protéger les droits de l’homme et à manifester un esprit d’ouverture, d’apaisement et à rassembler tous les Togolais quelques soient leurs convictions politiques.
Afrik.com : Est-ce que certains pays de l’Union européenne ont encore des réticences à négocier avec le Togo ?
Gilbert Bawara : Non. Tous nos partenaires ont joué leur partition en vue de la notification du 9ème FED et des reliquats du fond Stavex. J’en profite pour saluer la responsabilité dont ils ont fait preuve. J’ai toujours estimé que les sanctions qui se sont abattues sur le Togo avaient une double origine. D’abord, d’une frange des Togolais qui ont voulu pénaliser le régime, et c’est regrettable. Egalement, des malentendus avec nos partenaires en ce qui concerne la question des Droits de l’homme et celle des libertés publiques. Aujourd’hui, je pense qu’il y a une dynamique en cours, il y a une volonté réelle, il y a des réformes qui sont en marche. Il s’agit de mettre ces réformes en mouvement. On ne peut pas tout faire en un jour. Il faut faire en sorte de persévérer. Vous savez, la démocratie, ce n’est pas un aboutissement, c’est un processus. Chaque jour, il faut le consolider. Je pense que la notification du neuvième FED et tous les fonds qui ont été débloqués sont la résultante à la fois d’un travail réalisé par les Togolais, pour changer la réalité et l’image qui était projetée de cette réalité dans l’opinion, et d’une prise de conscience de nos partenaire du caractère inopérant et inefficace des sanctions et de l’embargo qui pesaient sur le Togo.
Afrik.com : Maintenant que la reprise de la coopération avec l’Europe est amorcée, quels sont vos projets en tant que ministre de la coopération et du NEPAD ?
Gilbert Bawara : Mon soucis actuellement est de mobiliser l’aide de nos partenaires en vue du succès du processus électoral, qu’ils puissent à travers leurs contributions, à travers leur présence, assurer la régularité des élections, faire en sorte qu’elles soient transparents, crédibles, que tous les protagonistes aient des chances égales de compétir, que les résultats ne soient contestés par personne. Il s’agit, en tirant des leçons du passé, de remédier à tous les facteurs qui ont pu engendrer la violence et la contestation. Sinon, à moyen terme, il s’agit pour moi d’engager une diplomatie de développement : mobiliser davantage l’aide extérieure pour nous soutenir dans la relance de l’économie nationale. En ce qui concerne les questions relatives au NEPAD, il s’agit au niveau du continent de voir comment nous pouvons mettre nos énergies en commun pour reconstruire le continent dans tous les domaines. Le Togo, en particulier, a pris un sérieux retard en la matière, il faut l’admettre. Nous n’avons pas manifesté grand intérêt aux questions relatives au NEPAD. Il s’agit désormais de prendre le train en marche et de rattraper le retard que nous avons accumulé dans la programmation et les projections de projets en faveur du continent.
Afrik.com : Pour un grand nombre de personnes, le NEPAD est un terme inconnu. Qu’apporte-t-il concrètement aux Togolais ?
Gilbert Bawara : Nos ressources, au Togo, sont insuffisantes. Mais en les mettant en commun avec les autres pays africains, nous sommes en mesure de les réaliser. Je vous donne un exemple très concret, dont les Togolais vont voir les effets très prochainement. Il s’agit du projet Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest. Dans un premier temps, c’est un projet qui concerne quatre pays : le Bénin, le Ghana, le Togo et le Nigeria. Il va démarrer un juin2007 et va devenir celui de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et à moyen terme celui de tout le continent africain, dans le cadre justement du NEPAD. Donc nous serons des pionniers en la matière, et aujourd’hui que nous connaissons des problèmes énergétiques, ça va faire sérieusement baisser le coût de l’énergie.
Afrik.com : Le président Eyadéma recevait un soutien sans faille de la France. En est-il de même avec Faure Gnassimbé ?
Gilbert Bawara : Je ne sais pas si feu le président Eyadéma Gnassimbé avait des relations sans faille avec la France. Je dirais plutôt qu’il avait des relations de franche amitié avec certains dirigeants français, y compris avec Jacques Chirac. Il y a eu parfois des moments difficiles avec des gouvernement français, mais le nos deux pays restent liés par des relations solides qui doivent pouvoir résister aux difficultés qui pourraient survenir. Aujourd’hui, l’ambition du président Faure Gnasimbé n’est pas de se prévaloir de relations franches avec tel ou tel pays. Nous cherchons tout simplement à entretenir de bons rapports avec l’ensemble de nos partenaires, en particulier avec des pays amis tels que la France. Et aujourd’hui, il n’y a pas de raison de croire que cette relation puisse connaître des affaissements ou des affaiblissement.
Afrik.com : Actuellement, on parle beaucoup de l’implication commerciale de la Chine sur le continent africain. Certains disent qu’elle va dévorer l’Afrique, d’autres au contraire estiment qu’elle va l’aider à se développer. Quel est votre point de vue sur le rôle de la Chine sur le continent africain et au Togo en particulier ?
Gilbert Bawara : Les Etats africains ont eu tendance à renforcer leurs échanges avec la Chine, parfois pour des raisons politiques parce que la Chine en général ne pose pas de conditions à sa coopération, notamment en terme de respect des Droits de l’homme.
Afrik.com : Vous estimez que c’est une bonne chose ?
Gilbert Bawara : La question n’est pas là. Il ne s’agit pas de dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Il faut s’attacher aux circonstances. Aujourd’hui, ce que nous cherchons à faire, en tant que Togolais, c’est de renforcer la coopération avec la Chine, qui est excellente, en veillant à la réguler pour que Togolais et Chinois puissent commercer sur les mêmes bases. Il ne s’agit pas de se laisser dévorer mais d’accepter les règles du marché en veillant à ce que les lois du commerce et les commerçants togolais soient protégés efficacement. C’est ce que nous faisons notamment dans le domaine du textile. Lomé a été connu comme une plaque tournante en matière de commerce de tissu. Nous tenons à ce que les Mama Benz ne soient pas lésées. (« Mama Benz » est le surnom donné aux vendeuses de tissu et de pagnes togolaises. Leur prospérité leur a permis de rouler en Mercedes Benz.)
Afrik.com : Evoquons la politique intérieure togolaise. En nommant Me Yawovi Agboyibo, un opposant, au poste de Premier ministre, Faure Gnassingbé a voulu se poser en rassembleur. Mais jusqu’à ce jour, l’UFC (Union des forces de changement), l’un des partis de l’opposition dirigé par Gilchrist Olympio, fait toujours la sourde oreille. La main tendue du Premier ministre Agboyibo ne trouvera-t-elle jamais preneur ?
Gilbert Bawara : Le premier ministre a une volonté tenace. Celle de traduire dans les faits la vision du président de la République qui consiste à faire en sorte que tous les Togolais, quelques soient les moments de discorde que nous avons connus par le passé, soient en mesure d’œuvrer à la consolidation de la dynamique d’apaisement, d’ouverture et de réconciliation nationale. L’UFC a participé à toutes les étapes des négociations L’UFC est signataire de l’accord de politique globale. Nous aurions souhaité qu’il participe à la dynamique gouvernementale où se délibèrent et se prennent un certain nombre de décisions importantes en vue de l’aboutissement de cet accord. Cela n’a pas été le cas, mais le président de la République a continué de manifester sa volonté d’ouverture et son souci de rassembler tout le monde. Bien entendu, nous savons que nous sommes à la veille d’échéances électorales et que chacun peut avoir sa stratégie. Certains croient que la politique de la chaise vide peut les aider à préserver leur virginité et à ne pas mettre les mains dans le cambouis. Nous, on a choisi la responsabilité, l’action, tout en sachant que nous pouvons échouer. L’essentiel est d’être guidé par le souci de répondre aux préoccupations des populations.
Afrik.com : Il y a quelques mois, vous avez été chahuté, à Genève, par des militants de l’UFC…
Gilbert Bawara : Vous savez, j’ai vécu 15 ans en Suisse. J’ai commencé à lutter pour les Droits de l’homme lorsque j’étais à l’université, à Genève. Je suis surpris de voir des gens qui vivent en Suisse, pays des libertés par excellence, avoir une attitude de violence. C’est peu être la philosophie de leur parti. C’est dommage. Quand la violence s’exerce sur le territoire national, au Togo, il est facile de jeter l’anathème sur le gouvernement et d’incriminer les forces de l’ordre. Mais quand cette violence-là s’exerce dans un pays comme la Suisse par un groupuscule de personnes, ça montre bien qu’au Togo comme à l’extérieur les gens sont mus par les mêmes pulsions violentes. Mais je ne veux pas faire d’amalgame. J’ai des amis à l’UFC qui sont responsables, qui savent que quelques soient les malentendus du passé, aujourd’hui il faut dialoguer.
Afrik.com : Si, en juin prochain, l’opposition remporte les élections législatives, aura-t-elle les mains libres pour gouverner ?
Gilbert Bawara : Le président a déjà indiqué lors de son passage à Paris qu’il respecterait intégralement la constitution. Ce qui signifie que si d’aventure l’opposition gagnait les élections législatives, le Premier ministre serait naturellement issu de cette opposition. Il formerait son gouvernement, et ceux qui seraient battus se retrouveraient dans l’opposition.
Une interview réalisée en collaboration avec John Dossavi