Le conseil ghanéen pour la protection des investissements (GIPC), a récemment renouvelé une règlementation qui oblige les entreprises étrangères basées au Ghana, à lever au moins 300.000$ de fonds propres avant qu’elles ne soient autorisées à investir. Ces mesures ont été justifiées par la nécessité de protéger les entreprises locales et partant les emplois des ghanéens. Ces derniers y sont gagnants ? Pas sûr répondent, Thompson Ayodele et Olusegun Sotola, travaillant à l’Initiative pour l’Analyse de la politique publique, un think tank basé à Lagos. Les deux auteurs nous expliquent dans cette contribution comment ces mesures protectionnistes génèrent des résultats contraires aux objectifs escomptés.
Le conseil ghanéen pour la protection des investissements (GIPC), a récemment renouvelé une règlementation qui oblige les entreprises étrangères basées au Ghana, à lever au moins 300.000$ de fonds propres avant qu’elles ne soient autorisées à investir. Ces mesures ont été imposées pour protéger les entrepreneurs indigènes des concurrents étrangers. Elles découlent de la croyance selon laquelle il y a nécessité d’empêcher l’afflux de ressortissants des pays voisins évinçant les intérêts des entreprises locales et « prendre » aux ghanéens leurs emplois.
Bien que la critique selon laquelle cette politique constitue une chasse aux sorcières des ressortissants de tous pays, a été officiellement écartée par les autorités ghanéennes, les observateurs de l’industrie et les experts n’en sont pas convaincus. Il est évident, compte tenu de la structure d’investissement, que la règlementation s’adresse directement aux entrepreneurs locaux de pays ouest-africains qui veulent investir au Ghana, et non pas aux entrepreneurs chinois ou indiens dont la plus grande part des investissements sont garantis par leurs États.
Le GIPC a simplement ressuscité l’argument mercantiliste qui vise à protéger l’industrie locale. Ceci est fondé sur la conviction que la participation intense des étrangers à l’économie a tendance à perturber la stabilité sociale intérieure. Que cette politique vise directement les Nigérians qui ont récemment détecté des opportunités d’affaires au Ghana ou non est sans importance. Il est toutefois important de saisir l’implication de cette politique sur le Ghana lui-même et le commerce régional, compte tenu du fait que la raison derrière la création de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest est avant tout de favoriser l’intégration et la coopération économique régionales.
En admettant que la politique permettra aux entreprises indigènes du Ghana d’avoir une grande marge pour supplanter certaines compagnies étrangères, le gain possible à court terme s’efface devant le danger et la perte économique qu’elle engendrerait à moyen et à long terme. Tout d’abord, hausser le seuil de fonds propres pour les entreprises voulant s’implanter au Ghana est susceptible de remettre en cause la récente croissance économique au Ghana. Ensuite, il y a la tendance que la réglementation étouffera la croissance et compromettra le développement économique. Enfin, il y a la possibilité qu’ à l’avenir il y ait « capture du législateur » par l’industrie, puisque les autres secteurs pourraient être tentés de faire pression sur les fonctionnaires pour déployer des règlementations étouffant davantage la concurrence. Il est reconnu que la concurrence, lorsqu’elle peut se développer, génère la créativité, améliorant ainsi la qualité des produits et des services aux consommateurs. Lorsque la concurrence est étouffée, la léthargie et la stagnation s’ensuivent.
Le Ghana et ses voisins ont été des partenaires commerciaux. En plus d’être dans la même région, les individus avaient l’habitude d’échanger les uns avec les autres avant le colonialisme. Ce n’est pas par hasard que le volume des échanges commerciaux entre le Nigeria et le Ghana au cours des dernières années a quadruplé. En 2008, le volume des exportations échangées entre le Nigeria et le Ghana était de 525 million $. Sur ce montant, le Nigéria a exporté 89 millions de dollars hors pétrole au Ghana, tandis que la valeur des exportations du Ghana au Nigeria a été de 25 millions de dollars. Les Nigérians ont investi près de 6 milliards de dollars au Ghana.
Une telle injection de capital a stimulé l’emploi, amélioré la création de richesse et soutenu le revenu imposable. L’effet très probable de cette nouvelle politique sera d’élever des frontières économiques autour du Ghana et, finalement, réduire le commerce intra-régional en Afrique de l’Ouest et la circulation des personnes dans la région. Déjà, la mobilité au sein de la sous-région de CEDEAO est faible. Seuls 3% des Africains de l’Ouest vivent dans d’autres pays ouest-africains. Selon le rapport 2010 sur les perspectives économiques en Afrique, seulement 10% du total des exportations du continent sont commercialisées dans la région. Ceci contraste avec les 60% et 56% du volume du commerce intra-régional au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et de l’Accord de libre échange nord américain (ALENA).
Voilà donc l’énigme : pourquoi un pays qui dépense une fortune pour attirer les investissements étrangers devrait être hostile et encourager un traitement injuste en donnant des avantages indus à des entreprises locales au détriment des investissements d’entreprises et de particuliers en provenance d’autres pays ouest-africains ? Au début de cette année, l’un des opérateurs de télécommunications au Nigeria, Globacom, a indiqué son intention de se retirer du Ghana en raison d’un environnement des affaires hostile. Le géant des télécommunications se plaint de vandalisme de ses pylônes et de l’incapacité des agences de sécurité à protéger ses biens.
Aussi, au début de l’année dernière, la Banque du Ghana a émis une directive vers toutes les banques étrangères : elles doivent élever leur capital de base à 60 millions de Cedi à la clôture de cette année. Les banques indigènes ont eu trois ans de plus pour répondre à cette nouvelle exigence. Alors que de telles mesures pourraient déclencher de représailles des autres pays ouest-africains, une industrie protégée pourrait ne pas réaliser la croissance nécessaire et, finalement, dégrader son potentiel.
Ce qui ne peut être contesté, c’est que les pays de l’Afrique de l’Ouest partagent une histoire et des problèmes communs. Cela implique que la création d’une plate-forme pour des solutions aux défis auxquels ils font face pourrait être collectivement envisagée par les pères fondateurs de la sous-région. Il ne fait aucun doute que la politique actuelle plante en réalité un drapeau rouge sur le Ghana en tant que destination d’investissement préférée. Il risque par conséquent des mesures de représailles dans la mesure où les citoyens concernés par la politique pourraient faire pression sur leurs gouvernements respectifs afin d’imposer des mesures plus punitives visant les intérêts commerciaux ghanéens. Il n’est pas trop tard pour que cette règlementation soit remise en cause.
Thompson Ayodele et Olusegun Sotola travaillent à l’Initiative pour l’Analyse de la politique publique (www.ippanigeria.org), un think tank basé à Lagos. Ce texte est une traduction extraite du texte original « Protectionism : at whose expense ? ».
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org