Ghana : des vies brisées par les accusations de sorcellerie


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Sorcellerie Ghana
Sorcellerie Ghana

Chassées, stigmatisées, oubliées : des centaines de femmes âgées vivent dans l’exil et la précarité après avoir été accusées de sorcellerie. Amnesty International alerte sur une urgence humanitaire et juridique au nord du Ghana.

Elles s’appellent Fawza, Fatma, Alimata ou encore Sabrina*. Leurs noms ont été changés, mais leurs récits glaçants résonnent dans les camps poussiéreux du nord du Ghana, où plus de 500 personnes — en majorité des femmes âgées — sont exilées à la suite d’accusations de sorcellerie. Dans son dernier rapport intitulé Marquées à vie, Amnesty International dénonce des violations massives des droits humains, rendues possibles par l’inaction de l’État.

« Cette pratique profondément enracinée et répandue a entraîné des souffrances et des violences indicibles », déclare Michèle Eken, chercheuse senior à Amnesty International. Si la croyance en la sorcellerie est protégée par le droit international, les abus qu’elle justifie dans certaines communautés ne le sont pas.

Le rêve du voisin, le prétexte de l’exclusion

Les accusations prennent souvent racine dans un décès, une maladie, un accident ou même… un rêve. « Mon voisin a dit qu’il avait rêvé que j’essayais de le tuer. Il ne veut pas de moi dans la communauté, c’est pourquoi il m’a accusée », confie Fawza, résidente du camp de Gnani. La question du règlement de compte est aussi présent: Fatma, de Kukuo, raconte avoir été accusée par le chef du village après avoir refusé qu’il épouse sa fille.

Ainsi, les accusations sont souvent motivées par la jalousie, des conflits fonciers ou familiaux. Une femme encore active, indépendante, veuve sans fils adulte, ou simplement différente devient une cible idéale. « Elles sont trop vieilles pour travailler, ou trop fortes pour se taire », résume un coordinateur de camp cité dans le rapport.

Camps de relégation, vie de survie

Les camps de Kukuo, Gambaga, Gnani et Kpatinga — parfois centenaires — sont les seuls refuges pour ces femmes. Mais Amnesty dénonce des conditions de vie dramatiques : toits percés, accès irrégulier à l’eau potable, manque de soins, nourriture insuffisante, et isolement social total. « J’avais tout. Je récoltais des noix de karité. Maintenant, si personne ne me nourrit, comment vais-je manger ? » se lamente Alimata, octogénaire.

Les soins de santé sont quasi inexistants. Beaucoup souffrent d’hypertension, de douleurs chroniques, de détresse mentale. L’une des résidentes a confié avoir songé au suicide. Les aides sociales sont rares, insuffisantes et souvent en retard.

Un vide juridique fatal

Malgré l’adoption par le Parlement, en juillet 2023, d’un projet de loi criminalisant les accusations de sorcellerie, le texte n’a jamais été promulgué. Les cas d’agressions — pourtant fréquents et parfois mortels — sont rarement portés devant la justice. Par peur, ignorance ou résignation. Amnesty a recensé 15 attaques physiques et cinq meurtres rien que sur la seconde moitié de 2023. « Si j’avais porté plainte, ils m’auraient tuée avant que la police n’arrive », confie une victime.

« Les autorités doivent adopter une législation criminalisant les accusations de sorcellerie et les attaques rituelles, assortie de mesures de protection pour les victimes potentielles », insiste Genevieve Partington, directrice nationale d’Amnesty Ghana.

Au-delà du droit, c’est toute une vision du monde qu’il faut transformer. Amnesty plaide pour une stratégie holistique : programmes de réintégration, soutien économique, campagnes de sensibilisation à grande échelle contre les discriminations liées au genre, à l’âge, à la pauvreté. Une approche qui nécessite des moyens, de la volonté politique, et une remise en cause des structures patriarcales encore très ancrées.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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