Pour Gertrude Mongella, la présidente du Parlement panafricain, c’est une évidence : le développement de l’Afrique passe par la structuration et l’accroissement du pouvoir économique de ses femmes. Elle nous explique pourquoi et donne des exemples de méthodes mises en place par les femmes de Tanzanie, son pays natal, pour assurer leur subsistance et celle des leurs.
De notre envoyée spéciale à Addis-Abeba
Les femmes tiennent l’avenir de l’Afrique dans leurs mains. Le Bureau international du travail en est convaincu, Gertrude Ibengwe Mongella aussi. Cette féministe ne s’est d’ailleurs pas privée de l’affirmer mercredi, lors d’une déclaration faite dans le cadre de la Réunion régionale africaine du Bureau international du travail, qui s’achève vendredi à Addis-Abeba (Ethiopie). Dans un tête à tête résolument engagé, la député d’Ukerewe a expliqué à Afrik pourquoi elle pense que le développement économique des femmes sera le moteur de croissance de l’Afrique.
Afrik.com : Le directeur général du Bureau international du travail estime que si on donne le pouvoir aux femmes, on donne le pouvoir à l’Afrique. Que cela vous inspire-t-il ?
Gertrude Mongella : Je pense que c’est une déclaration très importante, qu’on répète encore et encore quand on s’occupe du développement de l’Afrique. Si vous regardez le rôle des femmes africaines dans nos sociétés, il est très important : ce sont les Africaines qui travaillent de longues heures pour soutenir leur famille. Alors si on doit changer et donner la technologie à ces femmes, cela révolutionnera les activités comme l’agriculture. Si vous donnez la technologie pour la production, cela va tirer vers le haut les économies africaines car, jusqu’à présent, beaucoup de femmes sont au cœur de leur production. Et si vous éduquez ces femmes, vous éduquez des gens qui sont déjà des travailleurs volontaires d’Afrique. C’est pourquoi il est crucial de connaître le point de départ du développement en Afrique. Si vous donnez le pouvoir aux Africaines, vous pouvez vous occuper de la mort maternelle, de la mortalité infantile, particulièrement celle des nouveaux-nés, qui est très effrayante et très décourageante en Afrique. Et si vous vous occupez des femmes, vous aurez une Afrique heureuse ! Donc, je le répète : le directeur général avait raison.
Afrik.com : Par quoi passe, selon vous, la promotion du travail décent ?
Gertrude Mongella : Le point de départ devrait être les femmes, à cause notamment des responsabilités qu’elles ont dans nos sociétés. Par exemple, si vous prenez la pandémie du VIH/sida, on voit qu’elle frappe fortement les femmes parce qu’elles prennent soin de leur mari malade, de leurs amis, de leurs filles malades, de leur père malade… Ce sont elles qui prennent soin de tout le monde à cause du VIH/sida et des maladies qui y sont liées. Donc elles sont le point de départ et c’est pourquoi nous voulons un travail décent pour ces femmes, qui sont soumises à tant de choses. Elles ne marchandent même pas pour un bon salaire. Tout ce qui leur importe, c’est si elles pourront mettre quelque chose sur la table ce jour-là. Elles sont donc plus concernées par la survie. Elles mettent de côté les paramètres de salaire convenable ou du choix du travail. Dès qu’elles voient un travail, elles le prennent pour pouvoir survivre, et c’est là que vous voyez que certains des emplois ne sont pas décents.
Afrik.com : Le Parlement panafricain a-t-il pris des mesures particulières pour promouvoir le travail des femmes ?
Gertrude Mongella : Le Parlement panafricain n’a eu que trois ans en mars dernier. Nous avons déjà mis en place des comités au sein du Parlement et certains de ces comités s’attachent aux problèmes du travail, du développement social, des droits humains, de la santé… Tous ces comités devraient vraiment s’occuper du problème. Ils espèrent, qu’après cette réunion (du BIT, ndlr), le Parlement panafricain pourra inviter la direction du BIT à venir s’adresser aux parlementaires pour que nous puissions reprendre le débat sur ce qu’est le travail décent et comment le promouvoir parmi les différents pays membres de l’Union africaine.
Afrik.com : Mais cette promotion concernera-t-elle particulièrement les femmes, très touchées par le chômage ?
Gertrude Mongella : Oui, particulièrement pour les femmes. Mais nous ne pouvons pas laisser les hommes au bord de la route, parce que quand les hommes n’ont pas un travail décent, et là c’est une autre histoire, il est encore plus difficile de s’occuper d’eux.
Afrik.com : Vous parliez mardi des initiatives que prenaient les femmes pour s’en sortir. Avez-vous des exemples en Tanzanie, d’où vous êtes originaire, ou dans d’autres pays ?
Gertrude Mongella : Pendant longtemps les femmes se sont regroupées pour avoir un crédit. Et cela leur a donné du pouvoir, elles s’encourageaient à rembourser les prêts et elles pouvaient aller de l’avant. Quand une femme du groupe prenait un crédit et tombait malade, les membres du groupe l’aidaient à rembourser le prêt en prévision de son rétablissement. Quand il y a une sécheresse, par exemple, les femmes se soutiennent aussi pour ne pas prendre de retard dans le remboursement des prêts. Elles travaillent également ensemble dans les champs, ce qui leur permet de travailler mieux et plus. Quand elles se regroupent, on observe une sorte de réseau social, de réseau de soutien, et cela a beaucoup aidé les femmes. Ces groupes aident aussi les femmes psychologiquement car certaines femmes ont plus de tolérance que les autres, d’autres ont plus de difficultés dans leur vie de famille. Mais une fois dans ce groupe, les femmes trouvent du réconfort et de l’encouragement. Mon président (…) a réalisé que ce type de groupes avait besoin de soutien et, immédiatement après être arrivé au pouvoir, il y a un an maintenant, il a créé un fonds spécial alloué pour atteindre ces groupes et leurs membres qui, autrement, ne pourraient pas avoir un crédit à la banque. Le mécanisme est en train d’être mis en place pour que ces gens reçoivent des fonds. C’est l’une des reconnaissances qui existent. La prochaine étape est de renforcer le mécanisme de marketing car elles peuvent produire en groupe, mais elles ne seront pas capables de vendre, parce que parfois elles n’ont pas accès à l’information. Elles ne savent pas où sont les marchés et où elles peuvent vendre leurs produits. C’est très décourageant. Mais en soutenant de tels réseaux, au moins les produits peuvent être correctement mis sur le marché.
Afrik.com : Menez-vous vous-même des actions pour accroître le pouvoir économique des femmes ?
Gertrude Mongella : J’ai une autre initiative, avec l’île de Pemba, à Zanzibar, où je travaille avec des femmes sur le pouvoir économique. Car avec lui, on peut s’insérer la prise de décision politique, on eut avoir une valeur ajoutée et on peut contribuer plus au développement de la société. Nous les formons sur l’entreprenariat, la production, la collecte d’information, l’éducation de soi-même… (…) Dans ma circonscription (Ukerewe, ndlr) aussi, j’ai un groupe similaire de femmes qui travaillent. Nous l’appelons en anglais « Girls talk ». Elles sont dans différents villages, elles ont un leadership, elles parlent ensemble. Elles disent : « Nous n’avons pas besoin de chaise, on peut s’asseoir sur la natte, mais parlons des problèmes ». Et c’est très bien parce que c’est un moyen d’atteindre les femmes dans leur propre environnement, dans les villages. Ou même dans les banlieues ou les centres-villes, où les femmes sont parfois plus pauvres que celles qui vivent dans les villages. Elles ne sont pas reconnues, mais une femme qui vit dans un appartement et n’a pas de travail est plus vulnérable que la villageoise qui n’a pas à payer une facture d’eau et qui doit juste se sentir assez bien pour se rendre au puits et avoir de l’eau. Une villageoise peut aussi aller chercher du bois de chauffe. Mais une femme, dans une ville comme Dar es Salaam, quand elle n’a pas un travail décent, elle ne s’en sort pas. Il y a beaucoup plus de gens qui n’ont pas un travail décent dans les villes.
A consulter :
Le site du BIT