Génocide rwandais : 20 ans de « justice des vainqueurs »


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Au cours des 20 ans écoulés depuis le début du génocide rwandais, la justice locale et internationale a eu fort à faire pour juger les responsables de ce crime contre l’humanité. Des milliers de rwandais ont été jugés par les Gacaca, les tribunaux populaires au Rwanda, des dizaines par le TPIR et par des juridictions nationales, notamment européennes. Les crimes du FPR, le parti rwandais au pouvoir, sont restés tout ce temps impunis.

Depuis 20 ans, la « justice des vainqueurs » ou « la justice des vaincus » est à l’oeuvre pour le génocide rwandais. Les tribunaux populaires Gacaca au Rwanda ont jugé un million et demi de rwandais, dont autour de 70% étaient des hutus. Alors que les crimes commis par le Front populaire rwandais (FPR) sont connus au Rwanda, aucun membre de ce parti, actuellement au pouvoir, n’a encore été jugé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui ferme ses portes cette année.

« Pour que la vérité soit totale, il faut que les crimes soient jugés de tous les côtés »

« Le TPIR est un grand succès pour la justice internationale. Mais pour que la vérité soit totale, il faut que les crimes soient jugés de tous les côtés », a récemment déclaré l’ancienne procureur du TPIR, Carla Del Ponte, lors d’un colloque organisé au Sénat, à Paris. Elle a accusé le président de la République du Rwanda, Paul Kagamé, d’avoir fait obstruction aux enquêtes sur les crimes dont est accusé le FPR, le Front patriotique rwandais. « Les Etats-Unis, à l’époque, soutenaient le président Kagame, si bien que moi, je suis partie et lui, il est resté », précise Mme Del Ponte, dont le mandat n’avait pas été renouvelé en 2003. Depuis, son successeur, le gambien Hassan Bubacar Jallow, s’est bien gardé de s’attaquer à ces dossiers si sensible.

Basé à Arusha, en Tanzanie, le TPIR va fermer ses portes à la fin de cette année 2014. Il aura jugé 75 responsables du génocide. « On voit que dans les tribunaux Gacaca, les tribunaux populaires rwandais mis en place pour juger ceux qui ont participé au génocide, autour d’un million et demi de personnes ont été jugés et 70% des rwandais condamnés étaient des hutus », affirme Filip Reyntjens, professeur de droit et de Science Politique et ancien expert auprès du TPIR. Dans une interview accordée à Afrik.com, il estime que la plupart des responsables du génocide ont bénéficié d’un jugement. Par contre, « depuis la fin du génocide, aucun suspect du FPR n’a été jugé pour crime contre l’humanité ou crime de guerre » déclare-t-il. La « justice des vainqueurs », le terme a aussi été utilisé par l’organisation non-gouvernementale (ONG) Human rights watch dans un rapport de 2009, au sujet du TPIR.

« L’impunité (…) incite les criminels à commettre d’autres crimes »

« On ne peut mettre fin à l’impunité que si l’on condamne, que l’on poursuit tout le monde. Un des grands problèmes de l’impunité, c’est que cela incite les criminels à commettre d’autres crimes » alerte Reyntjens, cette fois à RFI. Le TPIR est créé par le Conseil de sécurité de l’ONU en 1994 pour juger les principaux responsables de génocide de crimes contre l’humanité et crimes de guerre, pendant le génocide rwandais qui s’est déroulait entre avril et juillet 1994 et aurait fait autour de 800 000 morts, en majorité des Tutsis ainsi que des Hutus dits « modérés ».

Kigali s’est opposé assez vite au TPIR. Cette juridiction ne satisfaisait pas le régime de Kagamé, il n’appliquait pas la peine capitale et était compétent pour juger les auteurs de violation du droit humanitaire, notamment. Le FPR risquait donc d’être visé par ce tribunal international, alors que, depuis 1990, il était en guerre contre le régime d’Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 avait provoqué le début du génocide. Le TPIR, qui doit fermer ses portes sous la pression internationale, décide à partir de 2011 de renvoyer les dossiers devant les juridictions rwandaises et européennes.

La planification du génocide n’a jamais pu être prouvée

C’est ainsi que des rwandais poursuivis pour génocide ont été jugés en Allemagne, en Norvège, au Danemark, au Canada, en Belgique, au Pays-Bas et en France qui a vu se dérouler le procès de Pascal Simbikangwa condamné en première instance à 25 ans de prisons. Les jugements sont rendus difficiles par les zones d’ombres qui persistent sur le déroulement du génocide.

La planification du génocide n’a ainsi jamais pu être prouvée et les responsables de l’assassinat du président Juvénal Habyarimana n’ont pas encore été identifiés. Les enquêtes des juges français Jean-Louis Bruguière et Marc Trévidic ont laissé pensé tour à tour que les membres du FPR et les proches de l’ex-président étaient impliqués. « Si c’est le FPR qui a abattu l’avion, il faudrait réécrire l’histoire du génocide », a déclarait, il y a quelques années, Carla Del Ponte. Et ça, le FPR ne le veut pas.

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