L’une des questions récurrentes qui accompagnent le procès Gbagbo à la CPI est la question de la responsabilité de l’ex-chef d’Etat dans les crimes qui lui sont imputés par la CPI. A la différence de Charles Taylor du Libéria Laurent Gbagbo ne fut pas un chef de Guerre dirigeant le combat sur le terrain. Peut-il alors être tenu pour responsable, même en tant que co-auteur indirect, des crimes contre l’humanité dont il est soupçonné ?
Selon un de ses anciens ministres la condamnation éventuelle de l’ex-chef de l’Etat ivoirien par la CPI pour crime contre l’humanité serait criminelle parce que Gbagbo n’est pas responsable des crimes qui lui sont imputés. Ses soutiens et supporteurs plaident donc l’innocence politique de celui qui fut entre 2000 et 2010 le premier responsable d’une communauté politique dont les membres, liés par un sentiment de commune appartenance et de fraternité sont, par principe, responsables les uns des autres ; autrement dit répondent les uns des autres! Etre responsable pour un chef de l’Etat n’est-ce pas en ce sens répondre de la communauté dont on assure la direction et assumer de ce fait toutes les actions qui s’y déroulent ?
Cette plaidoirie des pro-Gbagbo qui déchargent l’ex-chef d’Etat de sa responsabilité attesterait-elle alors que l’ethno nationalisme et la xénophobie meurtrière qui nient la fraternité humaine furent effectivement la profession de foi de son régime ?
Contre cette plaidoirie de ses supporteurs et admirateurs,
on peut être fondé à soutenir que l’ex-président de la république, est à plusieurs titres, en tant que chef de l’Etat entre 2000 et 2010, pleinement responsable, des crimes organisés qui furent perpétrés en Côte d’ivoire. Il est le coauteur indirect des crimes contre l’humanité qui furent commis durant les évènements déclenchés par son refus de céder le pouvoir après avoir perdu les élections. La responsabilité dont il s’agit ici est la responsabilité politique qu’institue son appartenance à une communauté politique dont il est de surcroît le chef suprême et qu’aucun acte volontaire de sa part ne saurait dissoudre !
Comme Hannah Arendt le note dans Responsabilité et Jugement n’existe-t-il pas en effet quelque chose comme la responsabilité pour des choses qu’on n’a pas accomplies et dont on peut être tenu pour responsable (liable) sans se sentir coupable si on n’y pas activement participé ? Or, ce dont il est question dans les chefs d’accusation de la CPI n’est-ce pas la responsabilité du chef de l’Etat, et en dernière instance sa culpabilité personnelle, qu’il faudra établir juridiquement en tant qu’il a été engagé comme co-auteur indirect dans la commission de ces crimes contre l’Humanité ?
La CPI se place au niveau de la responsabilité politique du chef de l’Etat et de la culpabilité juridique de la personne Gbagbo qui ne peut pas se défausser sur le groupe ni sur un quelconque système international. Les mots n’ont-ils pas un sens! Gbagbo est responsable en tant que premier magistrat d’une communauté politique et coauteur indirect des actes qui motivent son inculpation juridique. La responsabilité de Gbagbo se rapporte au responsable politique.
L’interpellation juridique se rapporte à la personne Gbagbo en tant qu’elle a été impliquée dans une entreprise collective de crimes organisés. La CPI ne juge pas le groupe qui a commis les crimes. Elle juge la personne singulière Gbagbo selon son degré de participation et son rôle spécifique dans la commission de ces crimes organisés. Elle ne juge pas la communauté politique ivoirienne qui est collectivement responsable des crimes mais non pas collectivement coupable !
L’inculpation juridique de Gbagbo n’est pas une affaire de responsabilité collective mais de culpabilité personnelle que la cour devra bientôt établir ! La responsabilité collective de Gbagbo est cependant déjà établie de même que la nôtre du simple fait de notre appartenance commune à la société ivoirienne en laquelle nous répondons tous les uns des autres et en laquelle nous sommes responsables chacun vis-à-vis d’autrui ! En ignorant les nuances et subtilités juridiques, morales et philosophiques qui régissent la juridiction internationale des Etats de droit, la lourde plaidoirie des soutiens de l’ex-président les bruyantes manifestations de ses admirateurs qui réclament sa libération pure et simple comporte un aveu qui fait froid dans le dos.
En soutenant que l’ex- chef de l’Etat ivoirien Laurent Gbagbo n’est pas responsable des crimes qui furent commis en Côte d’Ivoire après son refus de céder le pouvoir, ses admirateurs et supporteurs le déclarent juridiquement et moralement irresponsable !! Ils défendent et justifient, en réalité, son irresponsabilité politique et morale. Ils avouent donc que la Côte d’Ivoire fut entre 2000 et 2010 gouverné par un irresponsable.
N’y aurait-il pas alors quelque grandeur et dignité à affirmer que l’ex-chef de l’Etat ivoirien est pleinement responsable juridiquement dût-il être relaxé ensuite si les preuves établissant sa culpabilité s’avèrent insuffisantes ?