Gbagbo a-t-il encore un avenir politique après la CPI ?


Lecture 9 min.
arton29331

« Laurent Gbagbo n’a pas eu un mot pour les victimes de la crise ivoirienne » constate le Monde à la fin des audiences de confirmation des charges de crimes contre l’humanité qui pèsent sur l’ex-chef de l’Etat ivoirien! Aux termes de ces audiences, on est obligé de constater que Laurent Gbagbo ne se sent ni responsable ni coupable de rien ! Edito.

« Toute ma vie, j’ai lutté pour la démocratie », s’est-il borné à déclarer à la fin des audiences de la CPI! Le tribunal parle de crimes contre l’humanité ! Gbagbo parle de démocratie ! Et lorsque son avocat évoque les crimes contre l’humanité, c’est pour désigner la responsabilité du nouveau gouvernement ivoirien et pour transformer le procès contre Gbagbo en procès contre le nouveau gouvernement ivoirien. Refusant la charge de crimes contre l’humanité retenue contre Gbagbo, il s’évertue à transformer le procès juridique pénal en un procès politique relatif à une dévolution contestable du pouvoir, entérinée, selon lui, par la communauté internationale et téléguidée par la France !

On peut donc dire que les attentes de la majorité du peuple ivoirien et celle de la communauté humaine en sa totalité ont été déçues aux termes des audiences de confirmation des charges ! Car la CPI siège pour juger Laurent Gbagbo sous la charge de crimes contre l’humanité. Elle ne siège pas pour le juger sous la charge d’entorse faite par l’intéressé à la démocratie ! Gbagbo aurait donc dû consentir à répondre juridiquement des charges de crimes contre l’humanité qui sont portées à son encontre. Il aurait dû décider dignement de les assumer en tant que responsable politique suprême. En tant qu’ex-chef de l’Etat ivoirien dont l’opposition, à tort ou à raison, aux résultats des élections présidentielles a provoqué la crise post-électorale, Gbagbo aurait donc dû devant le tribunal avoir un mot pour toutes les victimes de ces événements malheureux. En cette qualité, il aurait pu déclarer devant la société ivoirienne et devant l’humanité qu’il se sent coupable en qualité de chef d’un régime politique qui n’a pas pu empêcher que des crimes contre l’humanité puissent être commis à l’encontre de ses concitoyens !

Le tribunal étant tenu d’apporter les preuves concrètes de sa culpabilité pénale, Laurent Gbagbo aurait pu préciser qu’il ne se sent pas pénalement coupable parce qu’il n’a pas personnellement participé à la commission de ces crimes ; mais qu’il se sent moralement obligé d’exprimer sa culpabilité d’appartenance à l’Etat qui n’a pas pu empêcher ces crimes et de déclarer sa solidarité avec toutes les victimes. Car à cette audience de confirmation des charges, Laurent Gbagbo ne se tenait pas seulement devant la CPI pour répondre de sa culpabilité pénale individuelle. Il se tenait aussi devant la société ivoirienne en sa totalité et devant l’humanité pour répondre d’une culpabilité d’appartenance.

Or Gbagbo n’a eu aucun mot pour les victimes de son propre camp, ni pour celles du camp adverse. Il s’est borné à déclarer à la fin du procès qu’il a passé sa « vie à lutter pour la démocratie » ! Alors que le procès porte sur les crimes contre l’humanité qui ont émaillé la crise post-électorale, il s’est évertué en accord avec sa défense et ses soutiens à déplacer le procès sur un terrain politique ! Ensemble ils se sont évertués à écarter du procès la charge centrale de la violation des droits humains et à nier leur responsabilité tout en attirant l’attention sur la responsabilité de leurs adversaires. Me Emmanuel Altit a reproché au procureur un « récit biaisé » comme le note le Monde et a dressé l’inventaire des crimes commis, selon lui, par les partisans d’Alassane Ouattara depuis la tentative de coup d’Etat de septembre 2002 qui avait abouti à la division, de fait, du pays.

Le procès a donc été marqué par le refus de Gbagbo de reconnaître et d’assumer une quelconque responsabilité quant aux crimes contre l’humanité qui lui sont imputés. Il a été marqué par son refus d’exprimer le moindre sentiment de culpabilité d’appartenance qui remettrait en cause sa conception ethnique de la communauté politique et l’idéologie de la purification ethnique qui a structuré son pouvoir et constitué la raison profonde des crimes commis. Le procès a été aussi caractérisé par la tentative de la défense, précédemment préparé par une gigantesque campagne médiatique, de donner une signification politique au procès en occultant le chef central d’accusation qui est celui de l’inculpation de Gbagbo pour crime contre l’humanité. Laurent Gbagbo ne se sent guère concerné par la charge de crimes contre l’humanité qui lui sont imputés ! Pour lui et pour sa défense, l’objet de son inculpation et de son procès est son refus, qu’il estime justifié, du résultat des élections présidentielles !

Selon les experts de la Cour cette obstination à réduire le procès juridique pénal à un procès politique s’explique par un stress post-traumatique provoqué par sa perte brutale du pouvoir dont il rend la communauté internationale responsable! Or en dehors du problème psychologique dont souffrirait éventuellement l’accusé, on peut constater de la part de la défense de Gbagbo et des réseaux qui le soutiennent, une stratégie organisée visant à déporter le procès sur un terrain politique pour effacer la charge de crime contre l’humanité qui pèse sur l’ex-chef de l’Etat. La ligne de défense du camp Gbagbo est d’en appeler à un procès collectif et à une culpabilité pénale collective. La stratégie adoptée qui ne trompe pas les professionnels de la justice est de diluer la responsabilité individuelle de Gbagbo dans une responsabilité collective et de transformer le procès pénal personnel de Gbagbo en procès du régime Ouattara ! L’avocat de Gbagbo est dans son rôle ! Son rôle est de pointer les failles et incohérences de l’accusation, de tenter de disculper son client en invoquant les déterminismes, en diluant sa responsabilité dans un système injuste dont il ne fut que la victime innocente ! Sa stratégie est de dissoudre et de nier la responsabilité de son client en l’insérant en qualité de victime dans un rouage qui visait à le broyer ! Or le tribunal judiciaire pénal permet de transformer la pièce d’un rouge en une personne qui doit répondre de ses actes en dépit des déterminismes des mécanismes et des systèmes. La culpabilité pénale est toujours individuelle. C’est untel qui a commis tel crime. On ne peut pas condamner globalement.

Même au tribunal de Nuremberg, comme le souligne Paul Ricœur, il a fallu mesurer individuellement la culpabilité des chefs du parti nazi ! Gbagbo se veut rouage d’un mécanisme ou victime innocente d’un système. Mais la poursuite judiciaire qui lui vaut d’être à la CPI le fait redevenir une personne qui doit assumer ses responsabilités c’est-à-dire répondre de ses actes devant les victimes, devant la population de Côte d’Ivoire en sa totalité et devant l’humanité entière à laquelle ses actes ont aussi porté atteinte ! Et si d’aventure Gbagbo était relaxé en mai prochain parce que les preuves apportées par l’accusation pour étayer les charges retenues contre lui s’avèrent insuffisantes cette relaxation sera une relaxation pénale et non pas politique. Cette relaxation pénale ne consacrera donc pas un triomphe politique. Que Gbagbo n’aie pas reconnu sa culpabilité d’appartenance dans le cadre d’un procès engagé en raison de crimes contre l’humanité perpétré dans l’Etat dont il fut le chef, consacre, bien au contraire, la faillite politique d’un chef qui ne se sent, en aucune manière, responsable de la communauté politique dont il assume la direction ! Que la démocratie moderne dont il estime être l’un des défenseurs les plus acharnés soit précisément fondée sur le respect des droits de l’homme qu’il n’hésite pas piétiner pour sauvegarder ses intérêts personnels, disqualifie Gbagbo dans sa prétention à pouvoir être le chef d’une démocratie moderne fondée sur le respect des droits de l’homme ! En s’ingéniant, avec son consentement exprès, à évacuer du débat judiciaire pénal à charge de crimes contre l’humanité qui pèse sur l’ex-chef d’Etat ivoirien, le camp Gbagbo démontre en face du monde qu’il se soucie du respect des droits de l’homme comme d’une guigne. Il prouve que jusqu’ici, il n’invoque les droits de l’homme que pour obtenir la punition de son adversaire politique et pour régler des comptes politiques à son avantage.

Finalement pour Gbagbo et ses soutiens le procès pénal engagé pour crime contre l’humanité devait être instrumentalisé pour servir des objectifs politiques personnels. En s’ingéniant à transférer le débat sur le plan de la responsabilité collective ils veulent introduire une culpabilité pénale globale pour rendre impossible le procès. En entrainant la Cour sur le terrain politique et en cherchant à transformer le procès juridique engagé contre Gbagbo pour crime contre l’humanité en procès politique injuste contre Gbagbo, ils veulent engranger des bénéfices politiques en utilisant le procès juridique à leur profit. L’objectif ciblé est de reconquérir une aura politique en réalisant cette performance : tourner en dérision la plainte des victimes en retournant contre eux les motifs de leur propre plainte ; obtenir au final la condamnation des victimes à la place de leur bourreau !

Jusque dans le tribunal de la Cour Pénale Internationale à la Haye, aux Pays bas, Gbagbo et les siens se seront servi de la logique de la politique de prédation qui sert à instrumentaliser le pouvoir pour servir les intérêts particuliers et le bien-être personnel de ses détenteurs. Cette logique conduisit à l’agression contre la démocratie et aux crimes contre l’humanité.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News