Gbagbo à la CPI : la communauté ivoirienne entre colère et indifférence


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La Cour pénale internationale (CPI) a confirmé hier, mercredi 12 décembre, sa compétence pour juger l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. Détenu à la Haye (aux Pays-Bas) depuis novembre 2011, il est soupçonné de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre durant la crise postélectorale, entre novembre 2010 et avril 2011. Période pendant laquelle 1 452 personnes ont été assassinées par les pro-Gbagbo, selon le rapport d’enquête sur les violences postélectorales publié le mercredi 8 août dernier, et 727 autres ont été exécutées par les pro-Ouattara. Nous avons voulu donner la parole à la communauté ivoirienne de Paris, si peu consultée, pour évaluer son état d’esprit face à cette éventualité du procès de Laurent Gbagbo. A Château d’Eau, dans le 10e arrondissement de Paris, les réactions oscillent entre colère et indifférence. Reportage.

Château d’Eau sous la pluie et le froid hivernal. Comme partout à Paris, le quartier africain du 10e arrondissement de Paris n’échappe pas aux dures conditions de météo. A l’accoutumée, animé et rempli de monde, le Boulevard de Strasbourg est plutôt calme. Quelques rabatteurs des salons de coiffure, bien que moins nombreux qu’à l’habitude, répondent néanmoins présents : « Chef, une coupe de cheveux ? », m’interpelle un d’eux, à qui je réponds rapidement en entrant dans une boutique de cosmétiques bien éclairée avec en fond de sonore du rap américain.

« Oui, nous sommes Ivoiriennes », me lâchent deux dames en blouses blanches qui précisent « nous, on ne suit pas les infos », à la suite de ma question : Est-ce que Laurent Gbagbo doit-il être jugé par la CPI ? « Oui, bien sûr, me répond quand même Aminata, après tout ce qui s’est passé c’est normal il y a eu des morts, ajoute la vendeuse. Ça ne veut pas dire que j’en veux à Gbagbo, c’est juste la suite logique des choses, il n’y a pas que lui, il y a plein de présidents qui ont été jugés par la CPI », affirme-t-elle. Et d’ajouter : « Qu’il soit jugé ou non, ça ne fera pas revenir mon frère ! », s’exclame-t-elle.

Aminata a perdu son frère de 39 ans pendant la période de crise postélectorale, entre novembre 2010 et mars 2011, il a été victime d’une exécution sommaire : « Moi, dans cette histoire, j’ai perdu mon frère, on a tiré sur lui à Yopougon (un quartier populaire d’Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire, ndlr), il a reçu une balle dans la jambe et a perdu beaucoup de sang pour ensuite décéder à l’hôpital », nous confie, d’une petite voix et d’un ton résigné, cette vendeuse ivoirienne qui a manifestement le cœur brisé comme le suggère également le refrain de la chanson de rap qui tourne en boucle dans la boutique.

Gbagbo à la CPI dans l’indifférence

Laurent Gbagbo est enfermé depuis un an à la CPI de la Haye, aux Pays-Bas. L’ancien président ivoirien a, le 5 décembre 2011, assisté à une audience de comparution initiale, puis l’audience de confirmation des charges prévue le 18 juin 2012 a été reportée au 13 août 2012 avant d’être annulée, pour raisons médicales. Depuis, la CPI s’est assurée que l’ancien président ivoirien était prompt à assister à une audience, mais ne l’a toujours pas jugé. Hier, mercredi 12 décembre, la CPI a confirmé sa compétence pour juger le prédécesseur de Alassane Ouattara. Son procès ne devrait donc plus tarder.

Si cette annonce de la CPI est une bonne nouvelle pour Aminata, d’autres Ivoiriens de Château d’Eau n’en ont que faire. Certains, comme Yannick et Magalie, sont presque lassés d’en parler. « Ce n’est pas notre problème. Ils n’ont qu’à faire ce qu’ils veulent de lui », crie haut et fort le premier, sous les ricanements de l’assistance. Vous ne voulez pas que Laurent Gbagbo soit jugé ? « Ce n’est pas mon problème, mon problème c’est l’argent, il faut bien vivre », me rétorque cet homme d’une quarantaine d’années. Même son de cloche du côté de Magalie, étudiante ivoirienne croisée devant un salon de coiffure du Boulevard de Strasbourg : « Je m’en fous de lui, ça ne me concerne pas, et je ne veux plus entendre parler ».

Depuis son arrivée au pouvoir, en mai 2011, Alassane Ouattara a lancé une opération de réconciliation nationale qui peine à aboutir, tant la Côte d’Ivoire est divisée en deux : les pro-Gbagbo d’une part, et les pro-Ouattara d’autre part. Les associations ivoiriennes de défense des droits humains, comme la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO) et l’Association des Ressortissants de Duékué en France et en Europe (ARDEFE), affirment que « s’il y a eu un conflit en Côte d’Ivoire, c’est qu’il y a deux belligérants. Donc, pour qu’il ait un procès, il faudra juger les deux personnes (le président actuel de la Côte d’Ivoire et son prédécesseur, ndlr) ».

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