Gaz et sécurité : la communauté internationale se préoccupe de la situation mozambicaine


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Mozambique carte

En mars dernier, l’Union Européenne officialisait une aide humanitaire de 25 millions € en 2023 au profit du Mozambique. Peu connu de l’opinion publique occidentale, ce pays d’Afrique fait, en effet, l’objet d’une attention particulière. Tant de la part de ses voisins que d’acteurs internationaux majeurs, soucieux de le soutenir dans un contexte climatique et sécuritaire hostiles, et de voir sa manne gazière profiter au plus grand nombre.

Par Pascal Roger Retraité de la fonction publique, ayant travaillé sur les sujets de coopération énergétique

Le 30 mars 2023, la Banque mondiale accordait un crédit de 300 M$ au Mozambique pour soutenir son projet d’accès au financement des petites entreprises et des particuliers. Quelques mois plus tôt, le Fonds monétaire international (FMI) accordait au pays une Facilité élargie de crédit (FEC) de 456 M$ sur trois ans pour soutenir la reprise économique, réduire la dette publique, favoriser une croissance plus élevée et plus inclusive, et accompagner la mise en place d’un fonds souverain pour optimiser l’usage des revenus gaziers.

Ces aides interviennent dans un contexte tendu pour le Mozambique. Cet État côtier de l’Afrique australe de 30 millions d’habitants, 9e pays le plus pauvre au monde (avec un PIB de 450 euros par habitant), doit en effet faire face simultanément au poids de sa dette, à des catastrophes climatiques à répétition, et surtout à une insurrection dans le nord du pays.

L’Union européenne apporte également une aide conséquente. Pour soutenir le Mozambique dans sa lutte contre le terrorisme, une mission de l’UE, qui a déjà reçu 100 M€ de financements, forme durant deux ans la future force de réaction rapide de l’armée mozambicaine. L’UE met aussi l’accent sur l’éducation, l’accès à l’eau et à l’assainissement, l’énergie ou l’alimentation, avec une enveloppe de 428 M€ pour la période 2021-2024, qui s’ajoute aux quelque 36 M€ de l’aide humanitaire fournie à la province de Cabo Delgado, principal théâtre de l’insurrection.

Un potentiel gazier qui attire de nombreux pays

Mais les instances économiques internationales et l’UE sont loin d’être les seules à porter une attention particulière au Mozambique. Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud, entre autres, sont également présents dans ce pays, à travers des programmes d’aide et des projets stratégiques. Outre les raisons sécuritaires et humanitaires, cet intérêt international est lié aux gigantesques gisements de gaz découverts dans le pays au début des années 2010.

Au total, les ressources atteindraient près de 5.000 milliards de m3, ce qui doterait le pays des neuvièmes réserves de gaz au monde. De quoi produire à terme 53 millions de tonnes par an de gaz naturel liquéfié (GNL) et faire entrer le Mozambique dans le top 5 des exportateurs. Ces réserves se concentrent sur deux blocs offshore, au large de la côte nord du pays et de la province de Cabo Delgado, à proximité de la frontière tanzanienne : le « bloc 4 », exploité conjointement par l’Italien Eni et l’Américain ExxonMobil et le « bloc 1 » du consortium international Mozambique LNG, emmené par le Français TotalEnergies.

De telles perspectives attirent, via des majors d’État ou privées, toutes les grandes puissances occidentales et asiatiques. Des acteurs prêts à investir plus d’une centaine de milliards de dollars dans les deux prochaines décennies pour développer ce potentiel gazier. Aux côtés des trois opérateurs principaux, les sociétés des futurs États acheteurs du GNL ont également pris des participations dans les projets. C’est le cas de l’Inde (Bharat, ONGC), du Japon (Mitsui), de la Chine (CNPC), de la Thaïlande (PTTEP), du Portugal (Galp), de la Russie (Rosneft), du Qatar (Qatar Petroleum), de l’Afrique du Sud (Sasol) et de la Corée du Sud (Kogas).

Une condition du décollage rapide du Mozambique

Les investissements prévus sont gigantesques : plus de 55 milliards de dollars pour les projets gaziers et 130 milliards au total. Une fois opérationnels, ces projets devraient procurer au gouvernement mozambicain des revenus montant jusqu’à 100 milliards de dollars sur 25 ans. Selon le FMI le pays pourrait ainsi atteindre une croissance de 24 % durant les cinq premières années d’activité et accéder rapidement au rang de « pays à revenu intermédiaire ».

Les retombées socio-économiques, directes et indirectes, seront importantes. La construction des unités de production, qui durera plus d’une décennie, devrait ainsi entraîner la création de 20.000 emplois directs. Et selon une étude de la banque sud-africaine Standard Bank, ces projets pourraient générer entre quelque 250000 et 325000 emplois directs et indirects d’ici 2035.

Pour que ce développement soit réellement inclusif et profite effectivement aux populations locales, le gouvernement, encouragé par le FMI et la Banque mondiale, a adopté des règles de « contenu local », sur lesquelles se sont engagés les principaux acteurs du projet. Mozambique LNG, par exemple, a annoncé le « plan ambitieux » d’attribuer « 2,5 milliards de dollars de contrats à des entreprises détenues par des Mozambicains ou enregistrées au Mozambique ». En février 2022, TotalEnergies a ainsi signé un protocole d’accord avec l’institut de formation professionnelle IFPELAC pour former 2.500 jeunes de Cabo Delgado. Des perspectives encore récemment discutées à Paris lors d’une rencontre entre les principaux partenaires internationaux et mozambicains du projet.

Une mobilisation internationale pour stabiliser le pays

Mais pour enclencher ce cercle vertueux, il faudra d’abord stabiliser la situation sécuritaire. La province de Cabo Delgado est en effet le théâtre d’attaques armées depuis 2017, qui ont conduit à une dramatique crise humanitaire et sécuritaire. Ces attaques ont déjà fait plus de 4.500 morts dont plus de 2.000 civils, selon l’ONG Acled, et déplacé un million de personnes selon l’ONU.

Cette insurrection, soutenue par Daech, a atteint son point culminant fin mars 2021 avec la prise temporaire de la ville de Palma. Un événement qui a contraint les opérateurs des projets gaziers à réorganiser ou à suspendre leurs activités. TotalEnergies a ainsi dû invoquer la force majeure en avril 2021 et conditionne la reprise de ses activités à la stabilisation de la situation. Dans ce contexte difficile, Eni a pu tirer parti de son choix préalable de liquéfier le gaz naturel offshore, limitant la vulnérabilité du projet à la menace terroriste, et franchir une étape symbolique le 13 novembre 2022, avec l’exportation de la première cargaison de GNL.

Grâce aux efforts de formation de l’UE, à la mobilisation d’officiers américains et portugais, à l’intervention d’un contingent de l’armée rwandaise, et de troupes de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), issues des pays voisins (Botswana, Zimbabwe, Tanzanie et Afrique du Sud), les djihadistes ont pu être contenus puis repoussés dans un premier temps des principales localités de la façade maritime de la province. Début février 2023, le PDG de TotalEnergies s’est rendu au Mozambique pour apprécier l’amélioration de la sécurité. Six mois plus tard, la perspective d’une reprise est toujours d’actualité même si aucune date précise n’est fixée.

Un élément de réponse à la crise énergétique mondiale

Outre son importance cruciale pour le Mozambique, ces projets gaziers constituent aussi une réponse significative à la crise énergétique mondiale. Une partie du gaz sera destinée au marché intérieur, afin de contribuer au développement économique du pays, ainsi qu’aux pays voisins. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Banque africaine de développement (BAD) cofinance à hauteur de 400 M$ le projet de Mozambique LNG. Mais l’essentiel de la production future est destinée à l’exportation.

La totalité du gaz d’ENI a d’ores et déjà été acquise par l’Anglais BP, tandis que 90% de la production future de de Mozambique LNG a déjà été commandée par des clients asiatiques et européens. Les réserves du Mozambique intéressent en effet à la fois l’Europe, privée du gaz russe bon marché par la guerre en Ukraine, et l’Asie, où de grands pays, comme l’Inde et la Chine, s’efforcent de remplacer le charbon pour produire leur électricité, afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Selon l’Ifri (Institut français des relations internationales), la situation sécuritaire actuelle ne fait ainsi que retarder un développement inéluctable en raison de la combinaison des ressources gazières, de l’accès à la mer et de la position stratégique du pays entre l’Asie et l’Europe. Ainsi, si les projets, à l’exception de l’offshore aux capacités limitées, n’ont pas pleinement démarré, les perspectives sont telles qu’elles devraient mobiliser durablement les acteurs évoqués ici, et que la seule question dont on ignore à ce stade la réponse n’est donc pas « si » cela va se faire, mais « quand ».

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