Gata Nder : « l’Arche de Zoé a trompé tout le monde »


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Après la grâce par le président Idriss Déby des six Français de l’Arche de Zoé, la justice tchadienne, « désavouée », a dû ravaler son orgueil, tandis que les familles des enfants attendent toujours d’être indemnisées. Néanmoins, l’affaire de l’Arche de Zoé fait paradoxalement moins de bruit au Tchad, où les enfants ont été enlevés, qu’en France. La population est davantage préoccupée par la guerre.

L’affaire de l’Arche de Zoé n’en finit plus de rebondir. Après la condamnation des six Français, en décembre dernier, pour enlèvement d’enfants, le président tchadien Idriss Déby les a finalement graciés, le 31 mars, sacrifiant la rigueur de la justice sur l’autel de la raison d’Etat : le soutien militaire de la France lors de la bataille de Ndjamena, début février, ne serait pas sans rapport avec la clémence du chef de l’Etat tchadien. Et cette semaine, à peine libre, le président de l’association « humanitaire » Eric Breteau se fait remarquer, en assurant que son opération au Tchad a été encouragée par le gouvernement français, ce que Bernard Kouchner, Rachida Dati et Rama Yade, mis en cause, ont aussitôt démenti. En France, l’affaire fait couler beaucoup d’encre. Et au Tchad ? Afrik.com a joint à Ndjamena Gata Nder, le directeur de publication de L’Observateur, pour faire le point avec lui sur les réactions suscitées dans le pays du délit par les derniers développements de l’affaire de l’Arche de Zoé.

Afrik.com : Que pensez-vous des récentes déclarations du président de l’association Eric Breteau, selon lesquelles des membres du gouvernement français étaient au courant des actes de l’association et, dans une certaine mesure, les cautionnaient ?

Gata Nder :
C’est vrai qu’il y a eu une certaine instrumentalisation de l’affaire par le gouvernement tchadien pour avoir le soutien de la France, et que d’une certaine manière l’Etat français est mêlé à tout cela. Mais il ne faut pas oublier que, bien avant les interférences politiques, il y a tout de même un délit au départ ! Je crois que dès le départ, les membres de l’Arche de Zoé ont trompé tout le monde.

Afrik.com : Comment l’opinion publique tchadienne a-t-elle réagi à la grâce par Idriss Déby des Français de l’Arche de Zoé ?

Gata Nder :
Si vous aviez les journaux de Ndjamena sous les yeux, vous vous rendriez compte que l’affaire de l’Arche de Zoé ne fait pas tellement de bruit au Tchad. Ce qui préoccupe les Tchadiens, c’est plutôt le quotidien, la guerre, la campagne de déguerpissement (le fait d’être forcé de quitter son domicile et de voir sa maison rasée par les autorités, ndlr)… Cette affaire n’est pas vraiment un sujet de conversation pour la population, il n’y a pas eu de mouvement, pas de manifestation, simplement quelques commentaires de-ci de-là. De plus, personne ne prend cette histoire au sérieux : tout le monde voit bien qu’Idriss Déby a bénéficié du soutien militaire de la France de Nicolas Sarkozy lors des attaques rebelles sur Ndjamena, donc la question du pourquoi de cette grâce ne se pose pas.

Afrik.com : Cette décision ne discrédite-t-elle pas la justice tchadienne ?

Gata Nder :
Non, de son côté la justice tchadienne a fait son travail. Les six Français de l’Arche de Zoé ont été condamnés à huit ans de travaux forcés au Tchad (peine commuée à huit ans de prison en France, avant la grâce du président tchadien). Donc la décision d’Idriss Déby est un peu une façon de désavouer le travail des juges, c’est démoralisant pour eux.

Afrik.com : Quelle a été la réaction des familles des enfants enlevés ?

Gata Nder :
Il n’y a eu aucun écho des réactions des familles à Ndjamena, car les enfants enlevés venaient de l’Est du pays, à la frontière avec le Soudan. Mais ce qui est sûr, c’est que les familles attendent des réparations, elles attendent de l’argent. A mon avis, c’est plutôt aux membres de l’association de payer (les 6,3 millions d’euros d’indemnisation, ndlr). Ce sont des individus qui ont été condamnés dans cette affaire, et pas l’Etat français.

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