Près de 800.000 Gambiens sont appelés aux urnes ce jeudi 24 novembre pour un scrutin à un seul tour dont l’issue ne fait aucun doute. Porté au pouvoir il y a 17 ans suite à un coup d’état mené sans effusion de sang, Yahya Jammeh règne sans partage sur le plus petit état du continent africain. Portrait
« Que cela vous plaise ou non, aucun coup d’Etat, aucune élection ne mettra fin à mon gouvernement, a prévenu Yahya Jammeh le 22 juillet dernier, à l’occasion du 17e anniversaire de son accession au sommet de l’Etat. Je dirigerai ce pays par la grâce de Dieu aussi longtemps que je le voudrai et choisirai mon successeur. » L’élection présidentielle de ce jeudi 24 novembre n’y changera donc rien et verra une nouvelle fois triompher l’homme fort de Banjul. Interrogé récemment par la presse, l’intéressé juge « prématuré » d’annoncer qu’il l’emportera haut la main et assure que le scrutin sera « libre, honnête et transparent ».
Issu d’une famille de paysans, Yahya Jammeh est originaire du village de Kanilai, situé à l’ouest de la Gambie. Après des études secondaires à Banjul, il intègre la gendarmerie en 1984 puis rejoint la grande muette en 1991. Trois ans plus tard, de retour d’un stage de formation à l’Ecole des officiers de police militaire de Port McClellan aux Etats-Unis, le lutteur devenu lieutenant de l’armée de terre prend la tête de la junte qui renverse Dawda Jawara. Regroupés au sein d’un comité de salut militaire, de jeunes officiers décident d’évincer le « père de la nation » pour disent-ils mettre un terme à la gabegie et à la corruption. Alors qu’ils sont en route vers la Présidence, Jawara saute dans un canot à moteur et se réfugie au Sénégal voisin. À 29 ans, Jammeh s’empare du pouvoir. Sommé par la communauté internationale d’organiser des élections, il prend sa retraite militaire en 1996 avec le grade de colonel et créé son parti, l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC). Élu dès le premier tour avec 53% des voix lors d’un scrutin qualifié de truqué par les observateurs du Commonwealth, il est facilement réélu en 2001 puis en 2006.
Aujourd’hui âgé de 46 ans, Yahya Jammeh a rangé le treillis au placard. Le chef de l’Etat n’arbore plus que le boubou traditionnel, généralement blanc, avec chéchia, écharpe, chapelet et sceptre à la main, entretenant ainsi l’image d’un homme pieux. Célèbre pour ses Ray-Ban et ses virées en Hummer, le Gambien cultive également un petit côté bling-bling. Certains de ses compatriotes le comparent d’ailleurs au rappeur 50 Cent… Mais, derrière ces apparences trompeuses, se cache un personnage sombre. Autocrate mégalomane, Yahya Jammeh dirige cette ancienne colonie britannique d’une main de fer.
« Paranoïaque, il voit des coups d’Etat partout »
« Devenu paranoïaque, le président Yahya Jammeh voit des coups d’Etat partout », souligne la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho). « Depuis qu’il est au pouvoir, plus de deux cents coups d’Etat ont été recensés dans un pays » où « règnent l’intimidation et la terreur », ajoute l’association basée à Dakar. En juillet 2010, huit personnes suspectées d’avoir conspiré pour faire tomber son régime sont condamnées à mort. Parmi elles, l’ancien patron de l’armée, Lang Tombong Tamba, l’ex-chef des services de renseignements, Lamin Badjie, l’ancien chef adjoint de la police, Modou Gaye, ainsi que deux hommes d’affaires. Onze autres personnes avaient déjà été condamnées à des peines allant de 20 ans de prison à la perpétuité pour une présumée tentative de putsch en 2006.
Soucieux de verrouiller le système, Yahya Jammeh ne s’entoure que de ses parents Diolas (ethnie minoritaire qui représente environ 8% de la population). Complots et remaniements rythment régulièrement l’actualité gambienne. Le dictateur contrôle d’ailleurs en personne plusieurs ministères stratégiques dont la Défense depuis 1997, le Pétrole, les Ressources minières et l’Agriculture depuis 2008 et les Affaires religieuses depuis 2009. Traqués par les services secrets, la tristement célèbre National Intelligence Agency (NIA), opposants et journalistes disparaissent, croupissent dans les geôles de la sinistre prison de Miles 2 ou sont contraints à l’exil. Dans le viseur de nombreuses ONG, son régime est accusé de violations des droits humains, assassinats, disparitions forcées et actes de torture.
Un tyran aux pouvoirs mystiques
En 2007, Jammeh et la Gambie, le plus petit état du continent africain, font la une des médias internationaux… et deviennent la risée du monde. « L’Ubu de Banjul » prétend pouvoir guérir le sida, la stérilité, l’asthme ou l’épilepsie à l’aide de plantes traditionnelles et d’incantations mystiques. Ainsi, la télévision d’Etat le montre lors de séances collectives en train de soigner de prétendus séropositifs qui se confondent en remerciements devant les caméras. L’année suivante, Yahya Jammeh fait encore une fois parler de lui. En croisade contre l’homosexualité, une « déviance » importée selon lui par les blancs, il donne aux homosexuels quarante-huit heures pour quitter le pays sous peine de « se faire couper la tête ».
L’association Reporters sans frontières, qui le qualifie de « prédateur de la liberté de la presse », le décrit ainsi : « Guérisseur, « médecin » ayant percé le mystère du sida, de l’obésité et de l’érection, Yahya Jammeh a tout du dictateur délirant, imprévisible et violent. Il a promis de couper la tête aux homosexuels pour nettoyer la société gambienne. Paranoïaque, il se dit prêt à tuer quiconque chercherait à déstabiliser le pays, en premier lieu les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes. »
Malgré les promesses de développement, la Gambie, petit pays enclavé de 11.000 km2, « une banane qui s’enfonce dans la gueule du Sénégal » comme la décrit l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, végète toujours dans les profondeurs du classement de l’indice de développement humain (IDH) établi par les Nations Unies. Le sort du pays est pour l’instant entre les mains « guérisseuses » de Yahya Jammeh, seul maître à bord, et cela ne semble pas près de changer. À seulement 46 ans, dont déjà dix-sept passés à la tête du pays, son excellence Cheikh professeur alhadji Docteur Yahya Abdul-Aziz Jamus Junkun Jammeh, comme il aime à se faire appeler, pourrait bien s’éterniser au pouvoir.