Elle est sénégalaise de naissance, libanaise d’origine et parisienne d’adoption. Imane Farès a ouvert sa galerie, dans le cœur de Paris, pour accueillir des artistes d’Afrique et du Moyen-Orient et réconcilier ainsi ces deux cultures. A voir en ce moment : « No Limit », une exposition de trois artistes qui ont travaillé autour de la graine. Tout un symbole.
Toute la journée, les curieux s’arrêtent devant la vitrine de la galerie Imane Farès, intrigués. Certains rentrent et tentent d’interpeller l’artiste. D’autres se posent des questions à haute voix : c’est de l’art mais à quoi ça sert ? A l’intérieur de la galerie, l’artiste libanaise Nina Esber est installée à une table et trie des grains de maïs qu’elle pioche dans un immense tas (une tonne de graines !) déversé contre le mur… Sa performance, qui dure du 10 au 31 mars aux heures d’ouverture de la galerie, s’appelle « La bonne graine ». Grave, habillée de noir, concentrée, elle trie avec méticulosité les grains par couleur et met ceux qui ont une forme bizarre dans un autre tas. En ces temps de relents intégristes, racistes, sexistes et autres avatars inquiétants en -iste, cette performance prend tout son sens. Voilà l’artiste transformée en fonctionnaire chargée de séparer le bon grain de l’ivraie, « d’épurer » la récolte…
La vie en vidéo
« Depuis l’ouverture de la galerie, il y a deux ans, j’ai toujours suivi mes coups de cœur. Il y a peu d’espaces à Paris, qui montrent l’art contemporain issu d’Afrique et du Moyen-Orient. Quelques artistes – souvent les mêmes – sont mis en avant ponctuellement mais c’est tout. Les gens ne prennent pas de risque ! », Imane Farès, format poids plume et regard brillant, a toujours voulu ouvrir une galerie d’art. Une obsession née à Dakar, sa ville natale, au sein d’une famille libanaise nombreuse. Son diplôme de Business administration en poche, elle devient femme d’affaires tout en développant une activité de mécénat pour aider certains artistes sénégalais. Il y a 15 ans, elle installe sa société d’import-export de matières premières à Paris. Et lorsqu’une galerie se libère quasiment en face de chez elle, dans le 6e arrondissement, elle y voit un signe : ce sera son espace.
Un espace dans lequel elle mixe les genres et les supports, osant par exemple s’investir dans la vidéo, encore émergente en Afrique. En ce moment, on peut notamment voir « Habba » du Marocain Younès Rahmoun, qui raconte l’histoire d’une graine ressemblant étrangement à un œil. Enfin, pour clore l’exposition, l’œuvre du Béninois Gérard Quenum, « L’arbre de vie », fait, elle-aussi, intervenir des graines, de palmier cette fois, au pied d’étranges totems en bois piqués de têtes de poupées trouvées dans les rues de Porto-Novo.
« C’est une passion. J’aime les artistes, leur façon de voir le monde, de le décrire. La vérité sort de leur bouche… et de leurs mains ! Je veux que les artistes auxquels je crois éclatent », dit-elle. Parmi ses protégés : la Sud-africaine Billie Zangewa et ses étonnantes tapisseries, véritables tableaux en soie brodée, ou encore le talentueux Libanais Ali Cherri, repéré notamment pour ses excellentes vidéos. Ce dernier dit d’Imane qu’elle est « perfectionniste et qu’elle travaille par amour. C’est aussi ce qui fonde ses rapports avec nous. On n’est pas dans une relation de business. » Pour que ces jeunes pousses « éclatent » comme elle le souhaite, Imane a déjà planté une graine. Une bonne.