Dramaturge, écrivaine, scénariste, réalisatrice, peintre… Gaël Octavia n’oppose nulle limite à sa créativité. Sa pièce de théâtre, Congre et homard, à l’humour décalé et grinçant, se joue ce vendredi, au festival de théâtre Cap excellence, en Guadeloupe. L’année dernière, une autre de ses pièces, Le voyage, était publiée, à New York, par les éditions Rivarticollection. Courts-métrages, romans, expositions, la jeune artiste martiniquaise déborde de projets. Un talent à découvrir sans tarder.
« Tout m’intéresse. Et dès que quelque chose m’intéresse, je ne m’interdis pas d’y toucher. » Ainsi résume Gaël Octavia l’élan qui la porte à expérimenter tous les arts. D’une gourmandise et d’une curiosité insatiables, elle pratique la peinture, l’écriture, la réalisation, la cuisine – qu’elle est loin de considérer comme un art mineur –, et comme si cela ne suffisait pas, elle s’est offert il y a peu un piano électrique, histoire d’explorer encore d’autres possibles. L’exposé d’un tel profil laisserait à croire qu’il s’agit là d’une artiste marginale et bohême, l’archétype même de la créatrice éthérée allergique à toute forme de rationalité… Ingénieure en télécommunication, journaliste scientifique, Gaël Octavia a l’esprit on ne peut plus cartésien. L’ancienne première de la classe, abonnée aux prix d’excellence, a troqué ses épaisses lunettes à écailles contre de trompeuses lentilles de contact.
Au-delà de la résolution des équations à 36 inconnues et des problèmes de physique quantique, elle se passionne pour le monde tel qu’il va et les insignifiants tourments des humains. Au premier rang desquels, bien sûr, l’amour. Et c’est d’amour qu’il s’agit, en dépit des apparences, dans le face-à-face entre C et H, les personnages de sa pièce Congre et homard, mise en scène par Dominik Bernard, au festival Cap excellence, en Guadeloupe. Un dialogue d’abord courtois puis tranchant, dans un restaurant désert, entre un homme d’âge mûr, pêcheur de son état, et un autre plus jeune, chômeur, respectivement mari et amant d’une même femme. Une histoire qui lui a été, entre autres, inspirée par un pêcheur de Catalogne après qu’il lui eut raconté comment, dans les profondeurs marines, « le congre et le homard marchent ensemble contre le poulpe dont ils sont le prédateur et la proie ».
Ruses, infidélités et vengeance sont aussi la matière de Cocktail, son dernier court-métrage. Un film muet, en noir et blanc, dans lequel une femme tente d’empoisonner son mari en lui concoctant un mystérieux breuvage. Un exercice dans lequel l’auteur exerce, avec délectation, son sens de la dérision et de l’absurde. Parmi ses maîtres, Copi, Brecht, Gogol…
Voyages intérieurs
Autodidacte, Gaël Octavia est en quête perpétuelle. De toutes ses expériences, celle de l’écriture théâtrale était l’une des plus improbables. « Mes premières tentatives d’écriture, c’étaient de la poésie, du roman, confie-t-elle. J’avais beaucoup joué et un peu mis en scène, mais je considérais l’écriture théâtrale hors de ma portée. » Parce que ce genre littéraire lui « semble avoir un rapport plus intraitable à la vérité » que les autres. Dans Le voyage, sa première pièce, publiée en avril 2009 aux éditions Rivarticollection, elle s’est attaquée à une réalité douloureuse. Celle des émigrés, à travers les aventures d’un homme qui embarque sur un navire et franchit un océan à fond de cale, à la recherche d’une vie meilleure. Une pièce, âpre, qui lui a valu plusieurs récompenses (aux concours d’écriture théâtrale Textes en paroles et Etc Caraïbe), et dont lecture a été faite au Festival d’Avignon, en 2003.
« Les exilés de nécessité m’ont toujours fascinée. Pour moi, ce sont les héros du monde moderne », affirme la dramaturge martiniquaise, installée à Paris depuis 15 ans. « Quelque part je suis une exilée. Mais une exilée volontaire, une exilée heureuse, une exilée optimiste, et surtout une exilée légale. Pourtant, malgré ces conditions favorables, il y a toujours quelque chose d’effrayant dans le fait de partir », estime-t-elle. Ses voyages à elle sont d’abord imaginaires. A travers l’écriture, la peinture, la vidéo, elle entrouvre, pour qui veut bien les franchir, des portes sur un monde singulier, passionnant.
Congre et homard, le 14 mai à 20h au centre SONIS (les Abymes, Guadeloupe), dans le cadre du festival Cap excellence en théâtre. Mise en scène : Dominik Bernard. Avec Dominik Bernard et Joël Jernidier.