Le Gabon est encore sous le choc du vaste scandale de fraude aux cartes Visa prépayées de BGFI Bank. Dans cette sombre affaire d’escroquerie, les soupçons se concentrent de plus en plus sur Edgard Théophile Anon, le directeur général de la principale filiale du groupe, BGFI Gabon. A Libreville, mais aussi à Brazzaville où la banque est également très présente, nombreux sont ceux qui réclament sa tête. « L’affaire BGFI » devient le «scandale Anon».
L’affaire, qui relève du détournement de fonds, semble être le fruit de malversations commises en interne. Des employés de BGFI Gabon auraient crédité par voie informatique des cartes bancaires prépayées sans que l’argent n’ait été préalablement versé au guichet ou dans les distributeurs automatiques de billets. L’alerte a fini par être donnée, non par BGFI, mais par Visa International, la multinationale ayant constaté de nombreux retraits suspects, aux montants particulièrement élevés, à partir de trois pays européens, dont la Suisse et la Belgique.
Mais, même si le pire a été évité, le mal est fait. L’ampleur de la fraude est conséquente. Pour l’heure, le préjudice avéré s’élève à 1,9 milliard de FCFA. Mais le périmètre de la zone infectée est, lui, beaucoup plus large : 13 milliards de FCFA. De sources proches du dossier, les dégâts pourraient au total se chiffrer à 6 milliards de FCFA. Car sur les 100 cartes Visa prépayées qui ont frauduleusement été créditées, 40 seulement ont pu être identifiées comme ayant effectivement servi à des opérations malveillantes. Il en reste donc 60 dans la nature.
L’accusé
Depuis l’éclatement de l’affaire, une quinzaine de personnes, dont une majorité d’employés de BGFI Bank, ont été interpellées avant d’être – pour certaines – relâchées. Parmi eux, Martin Réténo (l’un des responsables de la monétique), Kery Bouckat Bou Nziengui (directeur du département informatique et petit frère de Richard Bouckat Bou Nziengui, le directeur général de BGFI Business School), Pierre Pearce Bouyou (responsable produits) sont, à l’heure actuelle, toujours interrogés dans les locaux de la police judiciaire. Mais un nom en particulier concentre toute l’attention : celui d’Edgard Théophile Anon, le directeur général de la filiale gabonaise de BGFI.
Après avoir intégré le groupe BGFIBank en 2011 comme directeur de la stratégie et du développement de BGFI Holding Corporation, après un passage par City Bank Gabon, il se voit confier un an plus tard la direction générale de BGFIBank Cameroun, avant d’être nommé en mars 2015 par le conseil d’administration du groupe directeur général de la filiale gabonaise, à la suite de la démission de Patricia Danielle Manon. Un parcours météorique… jusqu’aujourd’hui.
« Soupçonné d’avoir fomenté le coup ou d’en avoir discrètement supervisé la réalisation, l’ivoirien Edgard Anon a été interpellé à l’aéroport de Libreville alors qu’il rentrait d’un voyage (à Madagascar en transit depuis Paris), le dimanche 12 février dernier », indique le site d’information Gabon Review. Un fait jette le trouble : Edgard Anon a quitté Libreville 24h00 après avoir été alerté de ces malversations par Visa International. « A sa place, je serais resté au pays pour gérer la crise », commente un responsable d’une grande banque en Afrique centrale.
Il lui serait à tout le moins reproché d’avoir conduit le projet de cartes Visa prépayées lancé par BGFI, en écartant les services de sécurité et de vérification proposés par Visa International. Par surcroît, il a, au même moment, mis de côté les procédures de sécurité habituellement utilisées par la banque (en contravention des normes ISO 9001), ainsi que les personnes chargées de les mettre en œuvre. Autrement dit, BGFIBank devait assurer elle-même la sécurité du système et supporter ainsi tous les risques potentiels. Cette « imprudence » vaut aujourd’hui à la Banque une perte sèche de 1,9 milliard de francs CFA.
Le mobile
Y a-t-il eu enrichissement personnel au bénéfice d’Edgar Anon ? Difficile pour l’instant de l’établir, l’enquête judiciaire suivant son cours. En attendant, de forts soupçons de conflits d’intérêt se portent sur sa personne. Toujours selon le site d’information Gabon Review, « il lui serait reproché d’avoir externalisé la sécurisation des cartes Visa prépayées de BGFIBank, la confiant à Chaka Card Systems, une entreprise spécialisée dans les plateformes de personnalisation de cartes et des solutions d’identification et de sécurité, n’ayant fait ses preuves qu’en Afrique l’Ouest. » Des allégations formellement démenties depuis par Chaka Card Systems.
Autre fait troublant : selon des sources policières concordantes, la femme incriminée dans ce dossier, arrivée il y a quelque temps à Libreville et qui a procédé à l’acquisition de plusieurs dizaines de ces cartes Visa prépayées avant de quitter le Gabon avec sa cargaison à l’origine de tous les retraits frauduleux, est de nationalité ivoirienne. Tout comme le directeur général, Edgard Anon. Un fait qui ne manque pas d’être relevé et commenté dans la presse locale. En attendant d’y voir plus clair et à titre de mesure conservatoire, tous les contrats passés par Edgard Anon avec des prestataires extérieurs ont été dénoncés.
Le préjudice
Cette affaire est de nature à entacher la réputation et la crédibilité du groupe bancaire leader en Afrique central, déjà mises à mal en octobre dernier (lire à ce sujet l’article publié le 29 octobre 2016 dans La Libre Belgique : « BGFI, la banque des chefs ») et au capital de laquelle on retrouverait indirectement les familles Bongo, Sassou Nguesso et Kabila.
Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur de la fraude, certains analystes pointent du doigt un éventuel risque systémique sur le secteur bancaire au Gabon. Sachant que BGFI possède 47 % de parts de marché dans le pays, l’inquiétude est réelle. Des craintes qui s’expriment également au Congo-Brazzaville et en RDC où BGFI est très présente.
La (possible) peine
De tels méfaits ne sauraient restés impunis. A Libreville, nombreux sont ceux à réclamer la tête de celui qu’il considère comme le principal coupable : Edgard Anon. Un conseiller proche du Président Ali Bongo Ondimba n’hésite pas à pointer la responsabilité du Directeur général de BGFI Gabon dans cette affaire. Quant à ce chef d’entreprise influent à Libreville et Franceville, « il est impensable qu’Edgar Théophile Anon puisse se maintenir à son poste. » A Brazzaville, la grogne monte également et on réclame sans plus attendre « des sanctions à l’encontre du principal intéressé ».
« L’affaire BGFI » se mue ainsi peu à peu en « scandale Anon ». Désormais, nombreuses sont les voix influentes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Groupe BGFI, à exiger le débarquement d’Edgard Anon, dont la fulgurante ascension vient de connaître un coup d’arrêt brutal.