Chef du gouvernement gabonais depuis le 12 janvier 2019, Julien Nkoghé Békalé s’apprête à fêter le premier anniversaire de son arrivée à la Primature. Pourtant peu d’observateurs avaient remarqué cette arrivée, au plus fort du trouble politique inédit créé par les premières semaines qui suivirent l’accident vasculaire traversé par le Président Ali Bongo.Un an après, le couple institutionnel formé par le Président et son Premier ministre paraît plus solide que jamais. Quel est le secret de cette réussite ?
Le secret réside sans doute dans la personnalité même de Julien Nkoghé Békalé. A presque 58 ans (il les atteindra en janvier prochain), c’est un nouveau visage dans la galerie de portraits qu’offre le paysage politique gabonais : il est devenu Premier ministre moins de dix ans après avoir fait son entrée dans le Landerneau politique ! Éclairage.
Forgé par une solide formation de juriste et d’économiste à la fois, ce fils d’instituteur né à Kango, à 95 kilomètres de Libreville, dans la province de l’Estuaire, a d’abord été étudiant en Droit à l’Université Omar Bongo, avant d’obtenir un Diplôme d’études judiciaires délivré conjointement par l’ENM du Gabon et l’ENM de Bordeaux, où sont formés tous les magistrats français. Une formation complétée par le diplôme du Centre d’Etudes Financières, Economiques et Bancaires et un DESS en Administration des Entreprises de l’IAE de Paris 1, Université Panthéon-Sorbonne. Double cursus qui lui permet à la fois d’être un magistrat compétent et un excellent analyste économique.
Le Droit, il l’a exercé personnellement, ayant été Substitut du Procureur, puis Juge dans les juridictions de Franceville, Oyem et Libreville. De cette pratique directe et concrète de la Justice, Julien Nkoghé Békalé tire un sens profond de l’équité, et une connaissance pragmatique de la société gabonaise : c’est devant les tribunaux que se retrouvent les litiges les plus éclairants sur ce que vivent dans leur quotidien les citoyens d’un pays. Expérience irremplaçable, qui incite à écouter, et à comprendre la complexité des situations humaines. Juger ce n’est pas condamner, c’est analyser et trouver le bon remède…
L’économie, ensuite, Julien Nkoghé Békalé en a eu l’expérience à travers les postes ministériels auxquels la méritocratie gabonaise lui a très vite permis d’accéder : en charge de Mines, du Pétrole et des Hydrocarbures, de juillet 2009 à janvier 2011, il acquiert une connaissance approfondie des ressources qui sont au cœur de la vie économique gabonaise et des enjeux particuliers qui les placent au cœur de la nécessaire diversification industrielle du pays.
Puis ministre de l’Agriculture, de l’Elevage, de la Pêche et du Développement rural, de février 2012 à janvier 2014, il ajoute à son arc une nouvelle corde : celle de la proximité, et du terrain, touchant au plus près les besoins croissants de la population gabonaise. De ces expériences ministérielles réussies, l’actuel Premier ministre tire donc à la fois sa pratique du pouvoir et des institutions politiques, et une originalité : avoir su rester en prise directe sur les réalités économiques et sociales qui fondent le Gabon d’aujourd’hui.
Une « méthode » nouvelle : écoute et dialogue
C’est pourquoi la réussite de la première année de sa mandature s’est appuyée, plus que toute autre, sur l’écoute et la prise en compte des corps intermédiaires : aux membres du Conseil économique, social et environnemental, le Premier ministre déclare par exemple : « ce souci de dialogue participe d’une volonté de prise en compte effective de la nécessité d’associer pleinement le monde associatif, la société civile, et l’ensemble des corps intermédiaires à la décision en partageant avec eux la bonne information… ». Transparence, explication, écoute, prise en compte des points de vue des différents corps d’une société gabonaise saisie dans sa diversité.
Une « méthode » que saluent plusieurs élus, tels que le sénateur Christophe Bouango : « cette posture constructive » du Premier ministre est en effet pour lui « une bonne intuition ». Ce que Julien Nkoghé Békalé résume ainsi devant les Parlementaires de la majorité à l’Assemblée nationale : « Aucune mesure forte ne peut être mise en œuvre de manière satisfaisante si elle n’a pas fait l’objet d’une explication patiente et d’une réelle compréhension ». Une manière de gouverner qui pourrait aujourd’hui inspirer utilement d’autres chefs de gouvernement dans le monde, à commencer par le Premier ministre français, Edouard Philippe, confronté à des grèves massives et à une opposition syndicale totale, au moment où il dévoile « d’en haut » une réforme des retraites insuffisamment négociée !
Président et Premier ministre : un duo de choc pour faire avancer le Gabon !
Pour autant, écoute et négociation ne sont pas synonymes d’immobilisme : et c’est là que le couple Ali Bongo – Julien Nkoghé Békalé apparaît comme un duo de choc. Car l’année écoulée a permis de mettre en œuvre plusieurs réformes importantes, et une véritable marche en avant politique et administrative : les sujets qui suscitaient le plus d’impatience, état de la voirie des grandes villes, fonctionnement de l’enseignement, formation dans les filières professionnelles, santé, école, habitat.
Le président de la République, Ali Bongo, a en effet demandé à son Premier ministre de traiter tous les thèmes prioritaires qui répondent aux attentes des Gabonais, et Julien Nkoghé Békalé a transcrit cette volonté présidentielle dans les feuilles de route détaillées qu’il a données aux membres de son gouvernement. Les ministres sont ainsi évalués régulièrement sur les avancées des points qui leur ont été confiés, portant la responsabilité directe de la gestion des budgets alloués à chacune de ces actions. Ainsi l’évaluation des résultats obtenus permet d’ajuster au fur et à mesure la composition du gouvernement et d’améliorer l’efficacité des administrations concernées.
C’est donc bien sa méthode et son pragmatisme qui ont récemment conduit le Président Ali Bongo à renouveler dans ses responsabilités, en décembre 2019, Julien Nkoghé Békalé. Confronté à de lourdes désillusions quant à la loyauté et à l’intégrité de certains de ses proches, en qui il avait placé sa confiance, comme l’a montré le feuilleton judiciaire automnal qui a affecté son ancien directeur de Cabinet, Brice Laccruche Alihanga, le Président du Gabon a pu mesurer, à l’inverse, l’investissement personnel et désintéressé de son Premier ministre dans la gestion des affaires publiques.
Colbert plutôt que Fouquet !
Car ce n’est pas pour se servir, mais bien pour servir, que l’ancien magistrat a accepté cette responsabilité. Premier ministre, il l’est pour mettre en œuvre et faire réussir l’action impulsée par le Président, et non pour se faire valoir lui-même. La seule préoccupation qui est la sienne est qu’on le juge aux résultats, et qu’on le laisse travailler. L’ambition de Julien Nkoghé Békalé n’est donc pas personnelle, elle n’est pas de faire des éclats pour lui-même, mais d’agir au quotidien pour le Président et pour le Gabon. Il n’est pas là pour battre l’estrade, mais pour être le chef d’orchestre précis et pointilleux, celui qui met en musique la partition politique pour laquelle Ali Bongo a été élu, et que ce deuxième mandat doit permettre de traduire dans les faits.
Comme Louis XIV écartant le fuligineux et onéreux Fouquet, pour confier la prospérité de la France au plus modeste Colbert, Ali Bongo a fait le tri entre ceux qui avaient mission de le seconder à la tête du Gabon. C’est à la gestion rationnelle et pragmatique de Colbert que la France dut ses premières manufactures, et la croissance économique équilibrée qui en fit, au dix-septième siècle, le premier royaume européen. Nul doute qu’en choisissant son Colbert, le Président gabonais a fait le bon choix, et c’est de bon augure pour le Gabon.