Actrice de la société civile et porte-parole du COPIL Citoyen, Joanna Boussamba a été, à l’occasion de la campagne pour le référendum sur la nouvelle Constitution au Gabon, l’un des fers de lance de la Coordination provinciale pour le Oui dans l’Estuaire, province qui concentre plus des deux-tiers de l’électorat du pays. Interview.
Interview par Marc Marlière
AFRIK.COM : Le référendum qui s’est tenu le 16 novembre au Gabon a livré ses résultats officiels provisoires et a donné le Oui à la Constitution vainqueur avec 91,8 %. Un score important que l’on pourrait qualifier de « stalinien » et qui suscite des interrogations auprès de certains observateurs. Que leur répondez vous ?
Joanna Boussamba : Le Oui donné à 91,8 % est avant tout le reflet de l’adhésion franche et massive des Gabonais à ce texte et à l’esprit du 30 août 2023 qui le porte. Ces chiffres sont certes importants. Pour autant, ils correspondent à ce que nous avons ressenti sur le terrain pendant ces dix jours de campagne. Le peuple gabonais a souhaité tourner la page du régime précédent en adoptant cette nouvelle Constitution, pierre angulaire de la future République. Le peuple s’est exprimé d’une voix claire et forte. Il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet !
AFRIK.COM: Avec plus de 46 % de taux d’abstention lors de ce scrutin referendaire, la légitimité de la victoire du Oui n’est-elle pas à relativiser ?
Joanna Boussamba : Absolument pas. Le taux de participation est très satisfaisant si l’on tient compte de l’historique réel (et non des chiffres officiels) lors des précédents scrutins, de la nature du scrutin lui-même (le taux de participation est traditionnellement plus faible pour un référendum que pour une présidentielle), ainsi que des divers facteurs qui pu décourager certains électeurs de se déplacer. Je pense notamment aux délais courts pour l’organisation de l’élection, le calendrier spécifique avec un vote en pleine période scolaire et la forte pluviométrie qui a entravé les déplacements notamment en province pour se rendre sur son lieu de vote. Ensuite, j’observe que des élections législatives viennent de se dérouler au Sénégal et que le taux de participation (de moins de 50 %, NDLR) y est plus faible qu’au Gabon sans que l’on remette en cause, à juste titre, la légitimité du scrutin.
AFRIK.COM : L’ancien premier ministre Alain Claude Bilie-By Nze a déclaré au cours d’une conférence de presse que les résultats du scrutin sont truqués notamment en raison de la disparité entre le taux de participation annoncé à la mi-journée de 70 % et celui annoncé 24 heures après et qui n’était plus que de 54,3 %. Que lui répondez-vous ?
Joanna Boussamba : Monsieur Bilie-by-Nze n’a pas l’habitude des élections libres, transparentes et démocratiques c’est pour cela qu’il a du mal à les reconnaître quand elles le sont réellement. Je note par ailleurs qu’il concentre sa critique sur le taux de participation pour tenter de décridibiliser ce scrutin. Serait-ce pour occulter le fait que, dans la zone de Makokou dont il est originaire, le Oui l’a emporté très largement avec 90,28 % des voix ? Il faut être sérieux et honnête. Le vote s’est tenu en présence de 30 missions d’observation qui ont déployé pas moins de 600 observateurs aux quatre coins du pays. L’Union européenne était présente, de même que le Commonwealth, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Union africaine, la CEEAC, etc. Voilà pour la transparence. Et tous les Gabonais ont constaté que, pour une fois, un scrutin a été parfaitement organisé.
AFRIK.COM : Tout au long de la campagne de nombreuses critiques dénonçant l’hyper-presidence consacré dans ce texte constitutionnel ont émergé. La campagne a-t-elle vraiment permis de faire pièce de ces critiques ?
Joanna Boussamba : Ces critiques bien qu’infondées ont été au cœur de la stratégie des tenants du Non qui n’ont pas réussi à en démontrer la réalité. Les Gabonais ont bien compris que cette nouvelle constitution les faisait entrer dans une nouvelle ère démocratique avec l’affirmation de valeurs primordiales en accord avec ce nouvel idéal républicain que l’on a tous longtemps appelé de nos vœux. Grâce à cette nouvelle Constitution, notre démocratie ressort renforcée comme le montrent la limitation à deux mandats pour le président, une disposition non révisable, et l’impossibilité faite à sa famille nucléaire de lui succéder. Dans le même temps, cette nouvelle République est sociale, juste et moderne. Cela correspond à la volonté du peuple souverain.
AFRIK.COM : On parle de plus en plus d’une élection présidentielle avant le mois d’août 2025…
Joanna Boussamba : Le calendrier de la transition a été annoncé de longue date et il comporte des étapes que nous connaissons tous. Au nombre d’entre elles, il y a l’élection présidentielle qui vient clore la Transition et verra la mise en application de la nouvelle Constitution. La période fixée à titre indicatif est celle du mois d’août 2025. Jusqu’ici les autorités de la transition, à commencer par le Président lui-même, ont indiqué clairement leur volonté de ne pas aller au-delà de cette limite et il faut s’en féliciter. Il est évident que plus tôt nous sortirons de la période de transition, mieux ce sera pour le pays qui pourra mettre en place les institutions qu’il vient d’adopter par référendum et faire son retour dans le concert des nations. Ce n’est désormais plus qu’une question de mois.
AFRIK.COM : Que retenez-vous, au final, de cette séquence ? Pensez-vous que le Gabon s’est réconcilié avec les élections après les exercices électoraux de 2009, 2016 et 2023 que l’on pourrait qualifier de « douteux » ?
Joanna Boussamba : Cette séquence électorale a apporté la preuve que nous sommes capables de créer, au Gabon, les conditions d’un débat contradictoire, libre, sans tabou et inclusif en garantissant l’accès de toutes les opinions et de tous les acteurs aux médias publics et privés.D’organiser des opérations de vote dans le calme et la sérénité sur toute l’étendue du territoire comme à l’étranger. D’annoncer des résultats, les vrais résultats, 24 heures seulement après la clôture des bureaux de vote, ce qui élimine les suspiscions de tripatouillage. Ce référendum du 16 novembre 2024 est sans conteste le premier scrutin transparent et apaisé depuis longtemps dans notre pays. Vous n’avez entendu ni vu aucun trouble, aucune mesure d’interdiction ou de réduction mise en place pour restreindre l’accès à Internet tout au long du processus. Il n’y a eu aucun blessé, aucun mort. C’est une grande victoire pour le Gabon. Et, oui, cette consultation marque une forme de réconciliation des Gabonais avec les élections. Pour autant, nous devons collectivement rester vigilant et travailler à la consolidation de cet acquis, gouvernants et citoyens main dans la main et non plus face à face comme par le passé. C’est important car la démocratie est l’affaire de tous.
Interview par Marc Marlière