Le conflit entre les artisans boulangers algériens et les pouvoirs publics s’intensifie. Durant ces dernières 48h, les rideaux de fer de nombreuses boulangeries sont restés baissés. Le mouvement de protestation contre l’interdiction d’augmentation unilatérale du prix du pain n’a été suivi que de manière diffuse dans le pays. Retour sur l’origine de la grogne des boulangers algériens.
Par Sandrine Desroses, avec la participation de Akli Rezouali, journaliste à El Watan.
48h sans pain en Algérie. Face à l’augmentation du prix des matières premières entrant dans la fabrication du pain, les syndicats de boulangers algériens tentent, depuis fin 2003, de faire entendre raison au gouvernement afin qu’il autorise une légère augmentation du prix du pain. D’où le mouvement de grève lancé, en fin de semaine dernière, dans quelques villes algériennes. Il s’agit pour les professionnels du secteur de trouver une solution adéquate pour tous : augmenter le prix du pain à l’achat pour que les artisans boulangers puissent dégager une marge de bénéfices d’une part, et d’autre part faire en sorte que cette denrée primordiale reste accessible à l’ensemble de la population. Les négociations sont en cours.
Pendant ces deux derniers jours, de nombreuses boulangeries algériennes sont restées fermées en signe de protestation contre le refus du gouvernement d’augmenter le prix du pain. Depuis fin 2003, les artisans boulangers algériens sont pris entre le marteau et l’enclume : d’un côté la flambée des prix du blé tendre, et ainsi celle de la farine panifiable essentielle à la fabrication du pain, d’un autre, les autorités qui se refusent à entendre les revendications des boulangers, ne souhaitant pas faire peser le poids de la crise de la meunerie sur le consommateur, selon les mots du chef du gouvernement.
C’est pourquoi les boulangers mènent une action auprès des pouvoirs publics afin d’obtenir une augmentation unilatérale du prix du pain, fixé de manière quasi définitive par le décret de loi du 13 avril 1996. Actuellement, la baguette de 250 grammes s’achète au prix de 7.5 dinars (soient 0.08 €). Un tel tarif empêche les artisans boulangers de faire face à l’augmentation du prix du blé, maillon de la chaîne de fabrication essentiel à la production de farine panifiable, et donc de pain. Tout s’enchaîne, sauf pour les boulangers qui, face à toutes leurs charges professionnelles, se retrouvent quasiment à travailler à perte.
Dialogue de sourds
Entre les boulangers qui souhaitent dégager une marge bénéficiaire de leur activité et l’Etat qui empêche, par le décret loi du 13 avril 1996, toute augmentation du prix du pain, on a l’impression d’être en plein dialogue de sourds. En Algérie, le prix du blé est fixé librement par les professionnels du secteur qui dépendent du marché international. L’Office Algérien Interprofessionnel des Céréales (OAIC) importe le blé tendre avec lequel il approvisionne les minoteries. Parmi eux, certains ont augmenté le prix du blé, d’autres se sont simplement retirés du marché.
« Les moulins (meuniers) et les boulangers ne sont pas en mesure de revoir les prix à la hausse : ils sont obligés de vendre au prix réglementaire. Les moulins ont spéculé sur le prix de la farine et voulaient qu’elle soit vendue plus que 2 000 dinars. Les boulangers n’ont pas pu s’adapter à cette augmentation.» En 2004, le prix du blé s’est stabilisé. L’Etat est intervenu en faveur de la stabilisation du prix de la farine par l’intermédiaire de l’OAIC pour permettre l’introduction d’un tarif réglementé du pain.
Le problème ne réside pas seulement dans le prix de la farine, mais également dans celui du gasoil revu à la hausse depuis la loi de finance de 2005, sachant que l’intérieur du pays fabrique le pain à l’aide de fours à mazout. A cela s’ajoute une nouvelle charge concernant le prix de l’eau qui entre, elle aussi, dans la composition du pain. Plus de charges, donc de moins en moins de gains pour les boulangers. L’Etat reconnaît volontiers la légitimité des revendications formulées par les boulangers, mais quelle solution adopter dans un tel contexte ?
Un début de solution ?
Les coûts de fabrication du pain ont augmenté, entraînant avec eux des conditions de travail de plus en plus précaires pour les boulangers qui produisent quasiment à perte. Les Algériens consomment énormément de pain qui constitue l’aliment de base de leur alimentation. L’Etat se refuse à toucher au tarif du prix du pain, qui demeure un produit stratégique dans la mesure où il n’est pas question d’appauvrir d’avantage la population en augmentant le prix de cette denrée au profit des artisans boulangers. Les syndicats de boulangers proposent une solution qui serait d’obtenir une marge bénéficiaire dans le but de rentabiliser leur activité, mais l’Etat s’y oppose fermement. La solution semble incomber aux seuls pouvoirs publics. Un abattement fiscal en faveur des boulangers pourrait en être un début de solution… Mais pour l’heure, les professionnels de la filière et les pouvoirs publics ont encore du pain sur la planche avant de trouver définitivement une solution.