Une université du coton verra bientôt le jour au Burkina Faso. C’était le souhait de l’Association des producteurs de coton africains (Aproca) qui défend les droits des cotonculteurs face, notamment, aux subventions américaines. Français Traoré, le président de l’Aproca, évoque ici les enjeux d’une lutte au quotidien pour sauver une industrie qui est un bouclier contre la misère.
L’Association des producteurs de coton africains (Aproca) existe
depuis 2005 et rassemble 13 pays africains. La crise que traverse l’industrie cotonnière africaine « qui affecte plus de 10 millions de personnes en Afrique de l’Ouest et du Centre » a rendu nécessaire la création de cette association qui défend les intérêts des producteurs africains. Le Burkinabè François Traoré préside l’Aproca depuis sa création.
Afrik.com : Comment se porte l’industrie cotonnière africaine compte tenu de l’épée de Damoclès qui pèse sur elle ? A savoir le traitement inéquitable dont elle fait l’objet dans le commerce international parce que les Etats-Unis subventionnent leur coton.
François Traoré : L’industrie cotonnière est malade des ces règles inéquitables qui ont provoqué la baisse des revenus des filières africaines. Ce qui est devenu un handicap financier et économique dans les sociétés cotonnières. Elles sont obligées de baisser leur prix aux producteurs tout en sachant que les intrants utilisés augmentent de 30% par an. Ces sociétés sont donc endettées et certaines n’arrivent même plus à payer les producteurs qui se découragent. Cela est d’autant plus grave que l’impact positif du coton, en termes de revenus, dans le maintien de la jeunesse au sein de ses familles d’agriculteurs et dans la valorisation de leur énergie est avéré. Par conséquent, nous ne baissons pas les bras, nous continuons de crier et, de plus en plus, nous arrivons à nous faire relayer par des partenaires en Occident. La presse est aussi un relai important. Nous avons l’espoir que ces filières ne disparaîtront pas.
Afrik.com : Le président français Jacques Chirac vous a réitéré son soutien tout en précisant qu’aucun résultat concret n’avait été encore obtenu. Cependant la situation a évolué depuis Cancun…
François Traoré : De Cancun à Hong Kong, les choses ont effectivement évolué. A Cancun, nos revendications ont été balayées d’un revers de la main, à Hong Kong, on est passé à » Comment on fait ? « . Cela démontre que la société civile peut être une force de proposition. Par ailleurs, pour une fois, nous avons vu les négociateurs africains s’unir sur une question.
Afrik.com : Le coton burkinabè est en crise…
François Traoré : Le problème du Burkina est perceptible depuis 2001, date à laquelle nous avons lancé un appel qui a été ensuite rallié par les autres pays.
Afrik.com : Comment cette industrie, la première du continent, fait face à cette situation ?
François Traoré : Le gouvernement burkinabè a pris ses responsabilités en régularisant la situation de la Sofitex (la plus importante entreprise cotonnière du pays, ndlr), en acceptant la recapitalisation et en prenant l’engagement de payer sa part et celle des producteurs. Cela a été une bouffée d’oxygène pour cette entreprise. La Sofitex prend aussi ses responsabilités en contactant ses partenaires afin que les trois sociétés cotonnières burkinabè surmontent le manque à gagner accumulé sur les campagnes passées et notamment celle de 2004-2005. Même s’ils ont pu payer intégralement les producteurs pour 2005-2006, il reste des trous dans les firmes que l’Etat s’attelle à boucher. Nous avons également mis en place de nouvelles règles qui permettront désormais d’épargner lorsque les cours sont à la hausse afin que lorsqu’ils chutent, les producteurs soient protégés. Nous l’avons dénommé fonds de lissage.
Afrik.com : Quelle est la part de la production africaine dans la production mondiale ?
François Traoré : Deux millions de tonnes sur 20 à 25 millions de tonnes par an, soit environ 10% de la production mondiale. Mais il est important de souligner que dans la lutte contre la pauvreté, le coton occupe une place déterminante, comme cela l’a été dans d’autres pays. Les Etats-Unis connaissent la place du coton dans leur économie. Si aujourd’hui, ils ont été obligés de délocaliser leurs usines de textile au Mexique, par exemple, à cause du coût de la main d’œuvre devenue trop cher et qui influe sur le prix du coton, ils doivent aussi pouvoir envisager de se reconvertir. C’est pour cela que j’ai apprécié l’idée avancée par George Bush qui a affirmé que les Américains gagneraient à s’investir dans la culture du carburant biodégradable. S’il encourageait les producteurs de coton à aller dans ce sens, il n’aurait pas à les subventionner et son pays disposerait, par la même occasion, du carburant dont les Américains ont tant besoin.
Afrik.com : Quel est le cours du coton et quel pourcentage est reversé aux producteurs ?
François Traoré : Au Burkina Faso, 60% du prix de vente du coton est reversé aux agriculteurs. Le coton est vendu égrené, ce qui nécessite un encadrement technique et du matériel adapté qui coûte cher et, en dépit de tout cela, c’est ce qui nous est reversé. Le cours du coton se situe actuellement entre 165 et 175 F CFA selon la forme et la façon de vendre. Il nous est arrivé de percevoir 210 F CFA selon les cours. Je rajoute que la parité euro/dollar nous fait perdre entre 300 et 400 F CFA par kilo de coton fibre à cause de cet euro fort auquel le F CFA est lié par une parité fixe. Sur le site de l’Aproca, j’interpelle sur cette question. Qui gagne ? Si ce n’est les grands capitalistes. L’économie s’oppose ainsi à la cause de l’Homme.
Afrik.com : Quelle attitude doivent adopter les responsables africains pour relayer votre combat ?
François Traoré : Les Chefs d’Etat africains ne doivent pas cesser de rappeler à leurs homologues des pays industrialisés qu’ils ne respectent pas les règles qu’ils ont eux-mêmes érigées et qu’ils sont en contradiction avec la lutte contre la pauvreté dont ils disent avoir fait leur priorité. Aucun des pays riches ne retombera dans la pauvreté s’ils s’emploient à faire de ce message une réalité parce qu’ils ont, tout simplement, plus d’opportunités d’adaptation que les pays pauvres. Rien ne les empêche de continuer à fabriquer des armes toujours plus sophistiquées même si on ne sait pas qui ils vont détruire avec ça. Tous ces grands pays détiennent l’arme nucléaire alors qu’on ne peut détruire qu’une seule fois la Terre. Ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on ne peut pas se tromper, je pense que les grandes économies se sont trompées en ne mettant pas l’économie au service de Homme, mais à celui d’un nombre limité d’individus.
Afrik.com : La création d’une université du coton basée à Bobo-Dioulasso, la capitale du coton nurkinbè, a été annoncée lors du sommet Afrique-France qui s’est achevé la semaine dernière. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
François Traoré : C’est un projet que nous avons initié et qui nous tient à cœur dans la mesure où pour continuer à vivre de notre métier, à le perpétuer, la formation et les échanges sont indispensables. Cette université, qui devrait ouvrir ses portes courant 2007, en sera le lieu.