Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République française. C’est le premier socialiste à être porté à la magistrature suprême par les Français. Beaucoup d’Africains espèrent alors qu’il rendra la politique de la France vis-à-vis de leurs pays plus transparente. Un espoir déçu.
Trente ans déjà : ce mardi, les socialistes français fêtent ce mardi la première élection d’un des leurs, à la tête de l’Etat. C’était le 10 mai 1981. En Afrique, l’événement avait suscité des réactions contrastées. Les peuples maintenus à l’étroit dans les systèmes liberticides du parti unique alors en vigueur y avaient vu dans cette élection du premier président socialiste de la cinquième république française, l’occasion d’accéder à la démocratie. A l’opposée, les chefs d’Etats appréhendaient. Héritiers de la vague d’indépendance, la plupart d’entre eux ont érigé des systèmes autocratiques qui ont perduré avec la bénédiction de la droite française.
Trente ans après, le bilan de la politique africaine de François Mitterrand demeure contrasté dans les esprits. Il y a d’un côté ceux certes qui apprécient son action en faveur des anciennes colonies françaises, qui pour la plupart ont proclamé leur indépendance au début des années 1960.
Ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, aujourd’hui Secrétaire général de la Francophonie, signait ainsi, il y a cinq ans, un vibrant hommage à François Mitterrand. « L’action politique de François Mitterrand restera marquée dans la durée par cette attention particulière qu’il a toujours portée aux pays du Sud et, dans ce contexte, par son attachement à l’Afrique », écrit Abdou Diouf. Et de poursuivre : « Excellent connaisseur des réalités de l’Afrique, lucide et réaliste, il a défendu avec détermination une approche généreuse, et toujours montré son souci de l’efficacité. Un trait marquant sur lequel je veux insister : sa capacité à tenir ses promesses, même quand l’administration française était trop lente à les exécuter ». Et l’ancien président de raconter la sollicitude constante du François Mitterrand, vis-à-vis du Sénégal traversé par de grandes difficultés économiques.
Les amis africains de François Mitterrand lui reconnaissent également avoir grandement contribué dans les années 50, à désamorcer les tensions liées à la montée des mouvements indépendantistes sur le continent. En charge du ministère de la France d’outre-mer entre juillet 1950 et juillet 1951, il est confronté aux nationalistes africains, regroupés au sein du rassemblement des démocrates africains (RDA), sous la houlette de Félix Houphouët Boigny. Alors qu’un dispositif de répression a déjà été prévu, Mitterrand opte pour la négociation avec les Africains alors en lutte contre le système colonial. Il obtient ainsi d’Houphouët Boigny, une déclaration d’allégeance à l’Union française qui regroupe la métropole et ses colonies et fait libérer plusieurs membres du RDA incarcérés. Une action qui selon de nombreux analystes a contribué à préserver plusieurs Etats africains de la guerre quelques années avant leur émancipation.
Statut quo
A l’opposée, il y a ceux qui reprochent à François Mitterrand d’avoir dans les faits, tout au long de ses deux mandats maintenu le même système clientéliste reproché à la droite gaulliste, connu sous le nom de françafrique. Il s’accommode ainsi avec des régimes jugés peu fréquentables, en raison de leur caractère corrompu et liberticide. Le président est avant tout soucieux de maintenir l’influence de la France dans son « pré-carré » africain. Comme sous ses prédécesseurs, la politique africaine de la France restera du domaine réservé de l’Elysée, à travers la « cellule africaine » que François Mitterrand ne consent pas à démanteler. Il entretient avec les dirigeants du continent une relation dominée par l’affect, « qui conduit dans certains cas à un lien tellement étroit qu’il ressemble plutôt à une liaison », note Philippe Marchesin. « Il n’y a pas de hiatus dans la politique africaine de la France avant mai 1981 et après. Si la méthode a Changé l’objectif est resté. II consiste à préserver le rôle et les intérêts de la France en Afrique. (…)L’audience de la France en Afrique, c’est ce qu’elle a de meilleur dans sa continuité (…) Je suis porteur de plus qu’une tradition, d’intérêts légitimes, de grands intérêts. Je ne peux pas signer je m’y refuserai- la disparition de la France de la surface du globe, en dehors de son pré carré », déclare-t-il dans un discours cité par Philippe Marchesin.
La Baule fait des bulles
Lors du sommet franco-africain de la Baule, en 1990, François Mitterrand déclare que la France « liera (désormais) ses efforts de contribution à tous les efforts faits pour aller vers plus de liberté ». Sur le continent, les peuples épris de liberté croient entendre que l’heure de la démocratie est arrivée : si les dirigeants ne cèdent pas au vent du changement, Paris fermera les vannes de l’aide économique. Cependant, la France restera muette face à la résistance des dictateurs, qui torpillent la transition démocratique dans leurs pays.
Ardent défenseur de Mitterrand, Abdou Diouf estime que celui-ci n’a pas été compris. « François Mitterrand était trop conscient des nécessités d’adaptation de nos pays à leurs situations culturelles et historiques, et à leur contexte. Le vrai message qu’il nous a adressé était : « Vous devez aller vers la démocratie, qui est un principe universel, mais chacun selon son rythme», écrit-il, dans son hommage au disparu. « Le maintien du statu quo peut-il constituer une politique en soi lorsqu’il y a péril en la demeure? Les deux septennats mitterrandiens, malgré la durée et de timides tentatives, n’auront pas changé la grammaire des relations franco-africaines », analyse Philippe Marchesin. Une vue juste des choses.