Après « L’appel du Tambour », le journaliste-écrivain Franck Salin propose un nouveau documentaire : « Sur un air de révolte », qui retrace la genèse et la tradition des chants de lutte en Guadeloupe, issus du Gwoka, nés durant l’esclavage. Il revient sur ce projet en trois questions.
Afrik.com : Pourquoi teniez-vous tant à faire un documentaire sur la place de la musique et des chants de révolte dans les luttes en Guadeloupe ?
Franck Salin : Avant février 2009, je n’avais pas ce projet en tête. L’idée m’est venue lorsque j’ai entendu, à Paris, des milliers de manifestants chanter « Lagwadloup sé tan nou, apa ta yo » pour soutenir les grévistes guadeloupéens. Etant à Paris lors des événements, j’avais découvert l’hymne de ce mouvement social dans les médias. Mais entendre la foule l’entonner dans les rues, si loin de l’île, m’a interpellé. Je me suis interrogé sur son succès, ainsi que sur la polémique qu’elle suscitait. Etait-ce une chanson raciste, stigmatisant les Blancs, l’Etat, les patrons ? Exprimait-elle un mal-être, une espérance ? En réfléchissant au sujet, je me suis rappelé qu’en Guadeloupe, lors de chaque grande tension sociale et politique, des chansons avaient émergé. C’est ainsi que j’ai décidé de faire un film sur la tradition de ces chants de lutte, qui partirait de la grande grève de 2009 pour remonter jusqu’aux années 60, qui retracerait un pan de l’histoire de la Guadeloupe en musique.
Afrik.com : Comment expliquez-vous que l’hymne des manifestations de 2009 ait eu tant de succès et fait le tour du monde ?
Franck Salin : Je pense que la chanson créée par Jacky Richard a été reprise par les manifestants parce qu’elle exprimait, à la fois, une colère, un malaise et une aspiration. Le sentiment qu’ont beaucoup de Guadeloupéens de ne pas être maîtres de leur destin et d’être dirigés par une petite élite économique et administrative qui ne se soucie pas de leur développement réel et s’enrichit à leur détriment. Cette chanson exprimait le désir de la population de dénoncer les injustices et de se prendre en main. Elle a fait le tour du monde parce que d’Al Jazeera à la BBC, de CNN à la NHK, des reporters du monde entier sont venus filmer la grève menée par le LKP. D’autre part, le mouvement de protestation qui a agité la Guadeloupe et les départements d’Outre-mer français en 2009 rejoignait une colère plus largement partagée. Celle des classes moyennes et défavorisées qui, dans nombre de pays, voient leurs conditions de vie se dégrader et leur avenir s’assombrir.
Afrik.com : Dans le film, vous retracez aussi l’histoire de la Guadeloupe à travers la musique traditionnelle Gwoka, née durant la période de l’esclavage. Que représente le Gwoka aujourd’hui pour les Guadeloupéens? Comment a-t-il évolué ?
Franck Salin : Le Gwoka est de plus en plus pratiqué. Depuis les années 70, le mouvement indépendantiste a remis cette musique au goût du jour, alors qu’elle était dénigrée par la bonne société. Il en a fait l’expression de l’identité guadeloupéenne. A tel point que dans les années 80 et 90, beaucoup de personnes disaient que c’était « la musique des indépendantistes ». Aujourd’hui, cette connotation politique est beaucoup moins forte. Le Gwoka est essentiellement une musique à travers laquelle les Guadeloupéens expriment leurs colères, leurs joies, leurs espérances.
Sur un air de révolte (Palaviré productions, Trace, 2013. 88 minutes) sera diffusé lors du Festival « L’œil sur les mondes créoles » dans le Val-de-Marne. Plus d’informations sur le site du Festival.