La photographe Leïla Bousnina explore depuis plus de 15 ans la vie quotidienne des populations d’origine immigrée en France, des adolescentes musulmanes à Marseille aux jeunes à Lille en passant par les femmes au foyer en banlieue parisienne. Elle s’est penchée sur la vie quotidienne des vieux travailleurs immigrés qui vivent en foyer, et a réalisé une longue enquête de plusieurs mois dans le foyer « Calmette & Guérin », à Aulnay-sous-Bois, près de Paris.
Essentiellement Maghrébins et Africains, ces hommes se sont confiés à elle à cœur ouvert, comme à une petite sœur : Leïla ayant grandi en France, de parents algéro-tunisiens… Leïla Bousnina expose ses photographies, accompagnées des récits de ces anciens travailleurs, au Centre Social Albatros à Aulnay-sous-Bois, dans le cadre du festival « Le Printemps de la Mémoire » qui se tient jusqu’à la fin du mois de mai.
Pour illustrer ces photographies, AFRIK.COM a choisi deux témoignages parmi les récits recueillis : celui de Moussa, venu du Mali, et d’Abdelkader, venu d’Algérie.
Moussa, Malien
« La première fois que je suis venu ici, j’étais sans papiers, je n’avais rien. Donc si tu n’as pas de papiers tu n’as pas de logement, si tu n’as pas de papiers, tu n’as pas de travail. Je me suis débrouillé comme ça jusqu’à ce que la situation ait changé. Maintenant, j’ai du travail, j’ai eu mes papiers, mais il y a eu des moments où c’était très dur. Au-début, quand je suis arrivé, je dormais en-dessous des lits… Quand j’étais au Mali j’entendais beaucoup parler de la France. Et en arrivant en France, je dors sous les lits ! Il y a combien de personnes dans la chambre ? Plus de 4 personnes, je trouve que ce n’est pas facile. Pendant que certains dorment, d’autres attendent qu’ils se réveillent pour se coucher à leur tour. Ce n’est pas une prison, mais ça l’est presque pour moi : je ne peux pas allumer la télé comme je veux, c’est dur ! Je faisais des cours du soir, et quand j’arrivais dans la chambre, pour réfléchir un peu, réviser, je n’arrive pas ! C’est dur ! Mais je fais quoi ? J’ai fini par m’habituer ».
« Cette période a duré longtemps parce que je suis arrivé en 2004 et j’ai eu mes papiers en 2011. Mais il suffit de regarder ma situation pour se rendre compte c’est difficile. Ma famille vit au Mali et des fois j’aimerais vivre dans un logement plutôt que de vivre dans un foyer, mais si je prends un logement je vais payer 700 euros par mois. Tous les mois, j’envoie de l’argent à mes parents. Maintenant que je suis parti me marier, il y a ma femme et tout à entretenir, ça va être compliqué… Quand j’étais enfant, j’entendais un griot qui chantait : « Pour aller en France c’est facile, mais trouver un endroit où dormir c’est dur ! »
Abdelkader, Algérien
« Je suis venu en France en 1969 pour chercher du pain. J’avais 24 ou 25 ans. J’ai vécu ici plus qu’en Algérie… Qu’est-ce que tu veux que je te dise sur l’exil ? Ah tu vois bien notre situation comment elle est ! Moi j’ai passé toute ma vie dans l’exil… Depuis le jour où je suis venu et travaillé dans le bâtiment, dans le terrassement, jusqu’au jour où j’ai arrêté, parce que j’étais fatigué ! Oui, on a vieilli et on est fatigué. Quand quelqu’un arrive à la retraite, c’est fini ! Ce n’est pas un « hayet » (vie) ça ! Mais comme tu cherches ton pain, c’est comme ça ! Avant de venir dans le foyer, j’habitais dans un bungalow sur le chantier. Lorsque le patron embauchait un ouvrier, il lui offrait l’hébergement en même temps. Il y avait des Algériens, des Marocains, des Portugais, tous habitaient à côté du chantier (les bidonvilles). On habitait dans la forêt comme les animaux !