Profitant de la campagne municipale, le Cran (Conseil représentatif des associations noires), annonçait lundi qu’il voulait mobiliser les politiques sur l’avenir menacé de la Maison des Etudiants des Etats d’Afrique de l’Ouest, à Paris, en présentant un projet d’université numérique pour l’Afrique. L’effet d’annonce n’a pas vraiment fonctionné. La presse n’a pas relayé l’information. Et sur le terrain, ni les politiques, ni les résidents ne sont au courant. De plus, la situation juridique complexe de la Maison ne semble pas pouvoir permettre, à court ou moyen terme, au projet de voir le jour. Reportage.
L’avenir de l’ancienne Maison des Etudiants des Etats de l’Afrique de l’Ouest (MEEAO), dans le 12ème arrondissement de Paris, intéresse le Conseil Représentatif des Associations Noires. Le Cran a organisé, lundi 3 mars, une « conférence de presse [ayant] pour but d’interpeller les candidats à la mairie de Paris, de faire en sorte qu’ils s’engagent sur la préservation de ce patrimoine, et qu’ils donnent aux étudiants l’Université numérique que ceux-ci appellent de leurs vœux ». Louis-Georges Tin, porte-parole du Cran, a pourtant organisé l’événement « dans un lieu symbolique, à quelques encablures de la Maison et de la cité de l’histoire de l’immigration. » Belle initiative a priori, mais voilà, les principaux intéressés n’ont pas été prévenus.
Ni les résidents, ni la mairie d’arrondissement et encore moins les candidats à la mairie du XIIème n’y ont été conviés. A une exception près : Aimé Segla, résident et président du comité de gestion de la maison des étudiants. Il a reçu un coup de fil, dimanche, d’Albéric Mayaki, le président de l’association de l’Université Numérique pour l’Afrique et membre du Cran. Cet ancien résident de la MEEAD, n’a donc prévenu Aimé Segla que la veille de la tenue de la conférence. « J’étais mis devant le fait accompli, ce projet a été élaboré sans tenir compte de notre avis ni de nos propres projets ! » nous a confié M. Segla.
Un projet encore mal défini qui surfe sur la vague des municipales
Mais il reste que la proposition n’est pas encore bien définie. Si Louis-Georges Tin expose les deux axes de l’initiative : « La réhabilitation de la Maison des Etudiants, et la création, en son sein, du siège social de l’université », Albéric Mayaki, précise lui-même que : « L’université numérique n’est encore qu’un projet ! Nous l’avions en tête depuis un moment. Aujourd’hui, les choses s’accélèrent compte tenu du contexte politique des municipales. Si on arrive à le valider, on aimerait qu’il soit intégrer à la MEEAO. »
Louis-Georges Tin cherche, de son côté, des appuis politiques et institutionnels de haut niveau : « Nous avons envoyé un dossier à Rama Yade et au ministère de la Coopération, à monsieur Bockel, ainsi qu’à l’UNESCO, nous n’avons pas encore de réponse. »
Il a aussi contacté les deux principaux candidats à la Mairie de Paris, Hôtel de Ville. Il relate « Nous n’avons pas eu de réponse de Mme de Panafieu, qui semblait pourtant s’intéresser au projet au début. Je pense qu’elle considère le XIIème arrondissement comme perdu, et que, du coup, elle sombre dans une forme de morbidité. En revanche, Bertrand Delanoë nous a donné son accord de principe. »
Anne Le Strat, conseillère à la Mairie de Paris et porte-parole de Bertrand Delanoë chargé des questions de discrimination pour la campagne des municipales 2008, se déclare solidaire : « En ce qui concerne la Mairie de Paris, oui, nous sommes ouverts à l’étude du projet. Il peut-être intéressant d’ajouter une université numérique dans la résidence sociale que nous avons prévu d’installer dans ces locaux si cela devient possible, et de conserver ainsi la mémoire de l’histoire de cette maison.»
le XIIème, terra incognita de la communication du Cran
Sur le terrain, aucun des trois principaux candidats du XIIème arrondissement n’est au courant des démarches du Cran. Voire, pour certains, de l’existence même de la Maison !
En l’absence de Jean-Marie Cavada, c’est le directeur de campagne du candidat UMP qui s’exprime en son nom : « Ce dossier, j’aimerais le voir, on est prêt à tout sauver. On est d’autant plus d’accord avec l’université numérique que, du côté du Frigo, il y a des artistes numériques. Et puis, cela permettrait d’associer l’image de l’Afrique de l’Ouest à la modernité. Il est comment ce bâtiment ? Très délabré ? »
Si l’UMP cherche à cacher sa méconnaissance du dossier, Christophe Nojdowski, candidat Les Verts affirme qu’il n’a pas été saisi du projet. « Il m’est donc difficile d’en parler, à priori, si le projet du Cran tient la route, il n’y a pas de raison de le rejeter. Mais il y a d’autres choses à résoudre ! La Maison est dans un état de délabrement avancé. La ville de Paris doit réhabiliter le bâtiment le plus tôt possible sinon, il risque d’y avoir un arrêt de péril de la part de la Préfecture de Paris qui obligerait les occupants à quitter l’endroit sur intervention de la puissance publique. Il vaut mieux anticiper ».
Même discours de la part de François Blouvac, directeur de cabinet du maire PS sortant, Michèle Blumenthal, pour lui, le plus préoccupant est l’état de la Maison, mais il ne rejette pas le projet à priori : « La proposition du Cran n’a pas été transmise à la mairie d’arrondissement mais à l’Hôtel de ville, mais je pense que le projet mérite d’être étudié. C’est un peu court comme info, une dépêche de l’AFP reprenant les propos de Manu Dibango (Ndlr : le musicien a été résident de la Maison et soutien l’initiative du Cran). Mais encore une fois, ce qui nous importe, c’est de réhabiliter rapidement la maison pour évider l’incident. »
Un sac de nœuds juridiques
Avant de réfléchir à admettre, ou non, en ce lieu, une université numérique, il faut restaurer le bâtiment, et pour ce faire, il reste à résoudre un problème juridique majeur. Aimé Segla, qui vit dans la Maison depuis 1989, raconte : « La maison appartient depuis 1958 à sept Etats d’Afrique de l’Ouest, ancien membres de l’AOF (Afrique Occidentale Française) pendant la période coloniale. Elle a d’abord hébergé des députés africains en séjour en France, puis exclusivement des étudiants ouest-africains. Dans les années 60, les Etats se dégagent de leurs obligations, notamment de financement, et de l’entretien du bâtiment. Mais ils en restent légalement propriétaires ! » Et c’est bien ce qui pose problème, la Maison est un territoire africain en France. Ni les collectivités locales, ni l’Etat ne peuvent intervenir ou débloquer des subventions.
Alors, depuis 1973, un système d’autogestion s’est mis en place. « Les résidents paient tous une participation, mais cela suffit juste à couvrir les charges d’eau et d’électricité » affirme une résidente, « nous avons déjà fait des travaux de réfection, mais cela ne suffit pas, il faudrait ravaler la façade. Sans argent, c’est impossible ». Un incendie en 2003 met le feu aux poudres et alerte les autorités françaises sur la menace d’incidents. Depuis, chacun cherche des solutions pour obtenir des fonds. Aimé Segla précise : « Nous avons créé un comité de défense. Nous essayons, de contacter les pays propriétaires, et nous sommes actuellement en relation avec eux, pour résoudre les problèmes de la réhabilitation et de son financement. En partenariat, notamment, avec la mairie du XIIème arrondissement. »
La Mairie a lancé une procédure de bien sans maître : « Si les propriétaires ne se manifestent pas dans un délai assez long, six mois à deux ans, au terme de la procédure, la ville se porte acquéreur du bien. Et nous pourrons alors obtenir les subventions pour la réhabilitation » explique François Blouvac.
Un sujet dont Le Cran se préoccupe. « Nous souhaitons mettre tous les partenaires autour d’une table et aborder le problème du financement et de la rénovation » annonce Georges-Louis Tin. Le comité de gestion de la Maison estime que le porte-parole du Cran reprend à son compte les initiatives conjointes de la Mairie de Paris et du comité. Aimé Segla s’insurge contre le procédé : « Le Cran, qui nous a d’ailleurs aidés quand nous leur avons demandé, à prendre contact avec les collectivités locales, et avec lequel nous sommes régulièrement en contact, monte un projet qui nous concerne sans nous en parler, c’est dommage. Nous préférerions qu’ils soient présents quand nous nous battons, avec le comité de défense que nous avons créé, pour obtenir le dénouement juridique de la situation. Là, il tire un peu profit d’une situation pour laquelle nous nous battons. Les ambassadeurs des sept pays avec lesquels je suis en contact s’étonnent d’avoir depuis quelque temps un autre interlocuteur, ils m’appellent pour obtenir des explications. »
Les résidents sont préoccupés
Les locataires de la Maison des Etudiants des Etats de l’Afrique de l’Ouest, ne sont pas au courant du projet d’université numérique. Ce qu’ils savent c’est que la Maison devra inéluctablement subir des travaux et qu’ils devront la quitter un jour ou l’autre. Certains attendent cela avec impatience, comme Bonko. Elle vit dans l’une des chambres, de neuf mètres carré, du bâtiment : « Je suis venu rejoindre mon mari, qui vivait déjà ici, je me suis installée avec lui, ça fait sept ans que j’attends de partir d’ici. Tous les ans ont fait un dossier de demande de logement, mais pour l’instant, on n’a pas de réponse. Pourtant, vous avez vu, avec un enfant de 5 mois et un autre de six ans, vivre dans une pièce comme ça, c’est pas possible ! » D’autres soupçonnent des magouilles politiques. « On est autogéré. A la mairie, ils disent que c’est insalubre, mais c’est pas vrai, c’est pour récupérer l’immeuble ! » affirme un père de famille. Moussa, sans papier, est persuadé, lui, que « si l’ambassadeur de Côte d’Ivoire veut reprendre son bien, c’est pour se le mettre dans la poche ! (…) Ce qui est sûr, c’est que les gens ont peur. Ils ne savent pas ce qui va leur arriver ! »
Comme les résidents, le Cran sait pertinemment que la réhabilitation devrait être difficile et compliquée. « La réhabilitation de la maison ne se fera pas vite. Il y a beaucoup de travaux à entreprendre, et les devis sont en cours d’étude » avoue Louis-Georges Tin. Mais il ne cesse d’affirmer que l’université numérique devrait tout de même voir le jour à la rentrée prochaine, en octobre 2008. « On ne sait pas encore où, mais on trouvera » déclare son porte-parole, optimiste. Quant à Aimé Segla, il pense que « ce serait en Afrique qu’il faudrait la monter, c’est là bas que les étudiants ont besoin d’infrastructure ! ». Et il retourne auprès des résidents pour mener, à leurs côtés, les combats juridiques qui sauveront peut-être la Maison qui a autrefois accueilli Abdou Diouf et Léopold Sedar Senghor.