Le Premier ministre français a annoncé lundi l’entrée en vigueur d’une loi datant de 1955 pour rétablir l’ordre dans les banlieues. Elle permet d’instaurer l’état d’urgence et de mettre en place un couvre-feu dans les villes les plus touchées, depuis une dizaine de jours, par les insurrections spontanées de jeunes. A partir de mercredi 9 novembre, et pour une période de 12 jours, il incombera aux préfectures désignées par le Premier ministre d’appliquer aux heures de leur choix ce décret.
Par Floréal Sotto
Un couvre-feu pour rétablir le calme. Telle sera la principale mesure applicable par les autorités à partir du mercredi 9 novembre au soir pour maîtriser la crise des banlieues. Le Premier ministre français Dominique de Villepin a annoncé l’entrée en vigueur d’une loi créée en 1955 et qui « instituait à l’époque l’état d’urgence en Algérie, alors française, en proie aux troubles indépendantistes ». Le décret, prévu pour une durée de 12 jours, pourra être prorogé en cas de nécessité. Cette initiative vient alimenter un débat déjà très chaud autour des évènements de ces dix derniers jours. Certains la perçoivent comme une escalade abusive de la répression, d’autres comme un sursaut du colonialisme français ou comme les prémices d’une guérilla des banlieues.
La loi du 3 avril 1955
Face à une crise, le gouvernement peut se servir de la loi 55- 385 instituant un état d’urgence. Cette loi a été créée le 3 avril 1955 pour permettre au gouvernement de disposer de mesures exceptionnelles « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Le gouvernement peut alors délimiter des zones, dans lesquelles les préfets des départements concernés se voient conférer des « compétences renforcées pour assurer le maintien de l’ordre ».
Cette loi a été appliquée par deux fois en France : en 1955 en Algérie et en Nouvelle-Calédonie en 1985. Elle est le premier recours pour réagir à une situation de crise intense (il existe aussi l’article 16 de la constitution qui défère au Président des pouvoirs extraordinaires). Pendant les douze premiers jours, elle fait l’objet d’un décret qui ne nécessite que l’accord du gouvernement et du chef de l’Etat. Après cette période, elle doit être saisie devant le parlement et ne peut donc être prorogée que si elle devient une loi.
Cette loi est composée de plusieurs articles qui permettent notamment d’« interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté » (article 5), d’« ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion » (article 8), de « conférer aux autorités administratives le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit » (article 11) et d’« habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales » (article 11). Toute infraction à ces articles peut-être punie de 3 750 euros d’amende et de deux mois de prison. A noter néanmoins que le gouvernement doit préciser avant l’entrée en vigueur du décret quels aspects de la loi pourront être utilisés par les préfets, et éventuellement en limiter le champ d’application.
Les réactions politiques
La mise en application de ce décret suscite de nombreuses réactions et semble diviser d’avantage les politiciens sur les mesures à suivre pour un retour au calme. Si l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle, droite, au pouvoir) s’est félicitée modestement lundi soir de ces « mesures nécessaires et adaptées », certains voient dans le couvre-feu la seule réponse efficace aux troubles. « Au point où nous en sommes, le moindre faux pas, la moindre bavure pourrait nous faire basculer dans une guérilla urbaine. C’est pourquoi il était nécessaire que le gouvernement mette en place un plan d’urgence sévère » prévient Louis Aliot, Secrétaire Général du Front Nationnal, joint par Afrik. « Mais il faut bien dire que ce n’est qu’un habillage juridique pour rendre plus efficace le travail de la police sur le terrain, cela va permettre d’élargir leur champ d’action », précise-t-il. A l’autre extrême, Cécile Duflot, porte-parole des Verts, nous a expliqué que « le recours à l’état d’urgence fera plus de mal que de bien car elle découle d’une logique sécuritaire aux ressorts colonialistes. C’est un geste précipité et démesuré ».
Si pour tous le retour au calme est une priorité, la méthode du Premier ministre suscite donc des réactions très opposées qui dévoilent le faussé qui scinde la France depuis 10 jours. Ainsi Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France (droite) a précisé au quotidien français Le Monde que « Dominique de Villepin n’a jamais évoqué l’envoi de l’armée, qui seule peut rétablir l’ordre ». Tandis que Cécile Duflot décrit à Afrik l’état d’urgence comme « un instrument de la peur qui vise à accroître les tensions entre les Français ». Et de conclure : « Il vaudrait bien mieux que le gouvernement règle les problèmes de fond, finance des initiatives locales, des polices de proximités, des aides scolaires… ».