La méthode Sarkozy/Clément de lutte contre les étrangers en situation irrégulière a du mal à passer. Dans une circulaire datée du 21 février dernier, les ministres français de l’Intérieur et de la Justice avaient légitimé et standardisé des procédures d’interpellation à la limite de la moralité, déjà pratiquées par les forces de l’ordre. Le Syndicat de la magistrature et ses partenaires du collectif « Unies contre une immigration jetable » comptent demander son annulation, cette semaine, devant le Conseil d’Etat.
Guet-apens. Le 27 février dernier, un ressortissant marocain est arrêté sur ordres du préfet de Seine-Maritime dans le palais de justice de Rouen. Il avait été convoqué devant le juge aux affaires familiales, à la demande de sa femme, avec laquelle il était en instance de divorce. C’est ce type de pratiques peu soucieuses de la morale que la circulaire du 21 février 2006 sur « les conditions de l’interpellation et la garde à vue d’un étranger en situation irrégulière», cosignée par le ministre de la Justice, Nicolas Sarkozy, et le Garde des Sceaux, Pascal Clément, veut rendre ordinaires.
Les 17 pages, adressées aux parquets, préfets et préfets de police, appellent à la collaboration de tous les services dans le domaine de la lutte contre les étrangers en situation irrégulière et indiquent la marche à suivre pour éviter « tout risque d’annulation de procédure ». En s’appuyant sur les arrêts de la Cour de cassation, le texte veut également marquer les limites de la légalité de l’interpellation des étrangers. Ces limites, l’interprétation des arrêts et la « conception même de la justice » n’est pas celle du Syndicat de la magistrature (gauche) et du collectif Unies contre une immigration jetable, qui souhaitent engager, cette semaine, un recours devant le Conseil d’Etat pour l’annulation de la circulaire.
« L’interpellation au guichet d’une préfecture est légale »
L’annexe 1 sur « les interpellations aux guichets des préfectures » avait particulièrement choqué lors de la parution du document. « L’interpellation au guichet d’une préfecture, y est-il indiqué, est légale pour autant qu’elle demeure ‘loyale’. Ce n’est pas le lieu d’interpellation qui pose une difficulté mais la rédaction des motifs de la convocation adressée à l’intéresser. Ce type d’interpellation n’a donc pas vocation à demeurer exceptionnelle mais doit respecter quelques règles bien précises ». Suis un modèle type, qu’il est suggéré de respecter, où l’étranger faisant une nouvelle demande de régularisation, après avoir été visé par un APRF (Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière), est simplement « invité » à se présenter avec sa convocation, sa carte d’identité et son passeport « pour examen de [sa] demande ». La pratique de l’interpellation aux guichets n’est pas nouvelle, mais elle est ici légitimée.
Outre ces conseils pratiques, la circulaire invite « les parquets à investir pleinement [leur] champ d’action » dans la lutte contre le séjour irrégulier, en collaboration directe avec les préfets. « Nous estimons qu’il y a un détournement de procédure car la justice est utilisée pour mettre en œuvre les mesures d’éloignement, proteste Aïda Chouk, présidente du Syndicat de la magistrature. La fonction de la justice, qui est d’établir et de sanctionner des infractions, est détournée à des fins administratives puisque les gardes à vues servent à notifier des mesures d’éloignement. Il est par ailleurs demandé aux parquets de requérir automatiquement contre les étrangers des peines d’emprisonnement fermes, ce qui va contre la liberté du magistrat ».
Jusque dans les foyers d’hébergement
Par ailleurs, la circulaire précise, dans l’annexe 2, les conditions de « contrôles d’identité visant les occupants des logements-foyers et des centres d’hébergement ». Elle poursuit un mouvement enclenché depuis plusieurs années et invite plus clairement que jamais les gérants de ces foyers à collaborer avec les autorités. Or, coupe Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’Asile, « nous travaillons avec les pouvoirs publics depuis toujours. Nous rencontrons des préfets tous les jours et leur préoccupation est celle de l’ordre public. S’ils demandent des interventions dans les centres d’accueil, celles-ci iront vers le désordre public. Nous avons déjà dit avant cette circulaire qu’en tant que personne morale responsable, il est hors de question que les forces de l’ordre pénètrent dans nos centres. »
Hormis le cas de ce Marocain interpellé dans le palais de justice de Rouen, et d’ailleurs rapidement relâché, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de la circulaire sur les forces de police. En revanche, regrette Aïda Chouk, « il est sûr que la circulaire va influencer les magistrats du parquet. Il y a déjà des retours, aux échelles inférieures, jusqu’aux substituts ». Quant aux étrangers en situation irrégulière, ils avaient déjà senti le vent tourner avec la loi Sarkozy sur l’immigration de 2003, la réforme du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), à venir, et savent désormais que pour l’Intérieur et la Justice, l’objectif des « 25 000 reconduites à la frontière en 20 justifie les moyens.
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