Plus de 150 mal-logés, pour la plupart africains et maghrébins, ont installé mercredi un campement au cœur de Paris. Ils revendiquent, avec l’association Droit au logement (Dal), une demeure décente. Après une première nuit passée dans le froid, les forces sont amoindries mais la motivation reste intacte. Reportage.
A peine sorti du métro Bourse, une voix éraillée crève le brouhaha de la circulation. « Un toit, c’est la loi ! » lance-t-elle, portée par un vent insidieux et soutenue par un chœur de manifestants et de sifflets. Au bout du mégaphone, Samia, un petit bout de militante de l’association Droit au logement (Dal). Elle s’égosille devant les familles qui ont installé, dans la nuit de mercredi, des dizaines de tentes rouges dans la rue de la Banque. Tout un symbole. C’est en effet au numéro 24 que le Dal a établi les locaux de son « ministère de la Crise du logement ».
Derrière le symbole, il y a le ras-le-bol. Celui de 130 adultes et trente enfants, majoritairement africains et maghrébins, qui n’en peuvent plus d’habiter des logements précaires. « Les familles vivent en hôtel depuis quatre-cinq ans, voire sept ans, dénonce Hocine, militant du Dal depuis une dizaine d’années. D’autres sont en foyers, sans domicile fixe, hébergées… Alors, elles n’ont plus rien à perdre à rester ici ! »
Tout à gagner
Elles sont prêtes à camper le temps qu’il faudra pour obtenir gain de cause. « Ça peut être un ou deux jours, deux ou trois semaines… Tant que nous n’aurons pas de réponse positive », indique, serein, Mohamed, un charpentier intérimaire de 37 ans. « On entend toujours de belles paroles. On ne bougera pas d’ici, même si on doit crever ici avec nos enfants », ajoute avec fougue Néné, une Malienne de 27 ans en congé maternité.
Cet avertissement, elle l’adresse notamment à la dizaine de camions de CRS – agacés par la présence des journalistes – qui bouclent le tronçon de la rue qu’ils occupent. « Il faut que la force qu’ils utilisent s’arrête », peste-elle. Une allusion à ce qui s’est passé mercredi matin. A l’occasion de la Journée internationale du travail du logement, quelque 300 âmes se sont données rendez-vous au métro Riquet, tente en main, afin d’installer un campement. C’était sans compter les CRS, prévenus on ne sait comment, qui attendaient le pied ferme. « Ils ont arrêté des femmes, des enfants, des femmes enceintes… Ils n’ont même pas cherché à comprendre. Un femme a eu l’épaule déboîtée », raconte Néné, complètement outrée.
« 500 relogements tout de suite »
Bilan de l’intervention : 62 personnes interpellées. Elles ont été relâchées quelques heures plus tard parce qu’en situation régulière, comme les autres manifestants. C’est suite à ces événements que les mal-logés se sont rendus rue de la Banque. Après une réunion avec le Dal, ils ont opté pour le campement devant le ministère de la Crise du logement. La nuit a été courte et éprouvante. En témoignent ces femmes assises qui somnolent dehors sur des chaises. « J’ai dormi deux heures, confie Samia, elle-même mal logée. Dans une tente, il fait froid. Même avec les couvertures. On espère une solution rapide pour tout le monde. »
Tout repose sur les épaules de la ministre du Logement, Christine Boutin, dont ils ont rencontré une conseillère mercredi. « On demande 500 relogements tout de suite, 100 000 dans le mois et un million très vite. Pour cela, il y a trois solutions : réquisitionner les immeubles vides d’Etat, geler les loyers, libérer et mettre en location les logements sociaux vides et louer aux familles des habitations dans le parc privé – ce que Paris a commencé à faire mais que le gouvernement refuse », résume Hocine, dont la chemise courte contraste avec les sacs de couchage dans lesquels sont emmitouflés les campeurs.
« Boutin aura notre mort sur la conscience »
À l’approche de l’hiver, certains militants craignent le pire. D’autant que deux femmes enceintes pratiquement à terme vivent dans les tentes. « Si elle ne fait rien, Boutin aura notre mort sur la conscience », lance Samia, les yeux cernés de fatigue. Quant à Hocine, il ne manque pas de dénoncer les pratiques des hôteliers en cette Coupe du monde de rugby. « Ils ne pensent qu’à faire fructifier leurs affaires et ont mis des familles dehors pour louer les chambres plus cher », regrette-t-il.
Malgré les désillusions du passé, certains nourrissent des espoirs. Comme Mohamed : « Il y en a qui ont eu un logement hier. Aujourd’hui, ça sera peut être notre tour ». Néné n’est pas moins combative : « Plus tu luttes, plus tu peux gagner. Rester les bras croisés, ça ne fait pas avancer ».
Photos : Habibou Bangré