Les zones d’attente et de » rétention administrative » où sont entassés, avant leur départ de France, les étrangers qui se sont vus refuser l’accès dans le pays, viennent de faire l’objet d’un rapport parlementaire sans concessions. Le député Louis Mermaz, bien qu’appartenant à la majorité actuelle, n’omet aucun détail de ce » spectacle horrifiant « .
Douce France ? » Il conviendrait que la France continue à se montrer aussi accueillante que par le passé pour qu’elle reste une grande nation rayonnante « . Ces mots sont prononcés sans ironie, par un homme politique de premier plan, qui applique un idéalisme sincère à son pays en tout ce qu’il incarne – symboliquement – de respect de la dignité et des libertés humaines. Cet homme, Louis Mermaz, député socialiste et ancien président de l’Assemblée nationale, conclut ainsi son » rapport pour avis de la Commission des Lois sur le budget de la police pour 2001 « : un document presque entièrement consacré au » spectacle horrifiant « qu’il a vu dans les zones d’attente, centres de rétention administrative et autres centres de rétention locaux qu’il a visités.
Les souffrances morales et le délabrement matériel y sont le lot quotidien de milliers d’hommes et de femmes de toutes origines, que toute la misère du monde a jetés, pour un jour ou un mois, aux lisières de la » patrie des droits de l’Homme « .
» Service hôtelier » dans des prisons miteuses
En jargon administratif, les 122 » zones d’attente » françaises accueillent les personnes » qui se sont vu refuser l’accès au territoire national » dans l’attente de leur » reconduite à la frontière « . Les 11 » centres de rétention administrative » et les » dizaines « de » centres de rétention locaux » reçoivent, sans autres précisions, des » personnes en voie de départ » – notamment des prisonniers étrangers en fin de peine, mais dont la condamnation pénale avait été assortie d’une peine d’expulsion. Pour ceux-là, le terme de » prisons pour étrangers « employé par Louis Mermaz à propos des centres de rétention prend tout son sens, bien que l’objectif théorique de ces structures d’accueil soit tout différent.
Près de 90 % des personnes en zone d’attente en France sont à Roissy, sur le site de l’aéroport parisien Charles-de-Gaulle ou dans ses environs immédiats. Cela concernait 9 300 personnes en 1999, et déjà 9 980 au premier semestre 2000. Une partie de la » zone » est constituée par deux étages réquisitionnés de l’hôtel Ibis de Roissy. L’administration judiciaire et policière affirme y assurer » un service de type hôtelier « . Illustration en deux exemples : le jour de la visite du député, une femme enceinte de cinq mois s’est plainte d’avoir été privée de sous-vêtements de rechange depuis quatre jours. Dans le hall, un tableau d’affichage portait cette inscription : » A nettoyer : sang et cafards « .
L’espoir d’aller en Angleterre
A Roissy, en juillet dernier, une Sierra-Léonaise enceinte de huit mois a perdu l’enfant qu’elle portait. En octobre, c’est un enfant qu’on a placé seul dans la zone d’attente. Qui se préoccupe de ces drames quotidiens, et pour tout dire banals ? Seule la Cimade, une association caritative, semble parfois autorisée à intervenir de façon indépendante dans ces structures indignes d’une démocratie moderne et d’un pays riche.
La visite des centres de rétention, effectuée entre la fin d’octobre et le début de novembre, devait réserver d’autres surprises à Louis Mermaz. Celui de Calais, à l’entrée du tunnel reliant la France au Royaume-Uni accueille chaque jour entre 600 et 800 personnes alors qu’il a été conçu pour en recevoir deux cent. Ces réfugiés en quête d’avenir cherchent tous à parvenir de l’autre côté de la Manche, dans l’espoir d’y trouver, note le député, » un marché du travail (…) totalement déréglementé. « Les conditions ne sont pas dramatiques à Calais, en tous cas pas si on les compare à ce que ces réfugiés ont enduré avant ce stade de leur épuisant périple.
Le cas de Calais est sans rapport avec la situation observée à Bobigny (banlieue nord-est de Paris). » Implanté dans l’entresol du commissariat, [le centre de rétention] est sombre, confiné. Il n’y a pas d’espace de promenade, aucune antenne médicale, la Cimade est absente. L’ensemble est très dégradé. L’insalubrité et la promiscuité des » cellules » sont intolérables. Les murs sont couverts de graffitis. On entend, en permanence, les aboiements des chiens de la brigade canine… «
A qui la faute ?
L’impression du rapporteur » d’une autre époque, et d’un autre régime « est également ressentie au centre d’Arenc, qui occupe la partie supérieure d’un ancien hangar désaffecté dans le port de Marseille : » c’est un véritable blockhaus (…). Dans certaines chambres, dix-huit personnes peuvent coexister. C’est une prison, très dégradée. La literie est dans un état déplorable. Les personnes retenues n’ont rien d’autre à faire que d’attendre, et de tenter de plaider leur cause auprès de ceux qui passent dans le couloir. « Arenc, implanté sur un site datant de 1917, est dans un tel état qu’il faut le détruire : même le ministère de l’Intérieur en convient.
Le pire est sans doute à Paris, au sein même du Palais de justice. Louis Mermaz a d’abord découvert la zone d’attente, au rez-de-chaussée de ce monument historique prestigieux : » une geôle obscure, sans fenêtres ou presque, sans mobilier, si ce n’est quelques bancs le long du mur. Le sol est recouvert d’une eau stagnante, des plateaux repas inachevés traînent de ci de là… (…) Le centre de rétention, quant à lui, a tout d’une prison. « La cohabitation de » retenus » travestis ou transsexuels avec d’autres sortant de prison entraîne des brimades et des violences quotidiennes.
Et maintenant ?
Le député a avancé plusieurs propositions, à l’issue de son hallucinante odyssée dans une France de l’an 2000 que les Français se gardent bien de connaître. Parmi celles-ci figure la fixation d’une durée maximale de rétention de 24 ou 48 heures, ainsi que la mise en conformité des locaux dans un délai très bref. On ne sait pas encore ce qu’il en adviendra.
Quant à désigner des responsables à la situation actuelle… Louis Mermaz, en présentant son rapport au ministre français de l’Intérieur Daniel Vaillant, a été fort poli : » Monsieur le Ministre, vous n’êtes pas responsable de cela puisque vous venez d’arriver. « Autrement dit : je vous pardonne parce que vous ne saviez pas. Mais maintenant, monsieur le Ministre ?