Le dernier livre de François Durpaire, France blanche, colère noire, publié aux éditions Odile Jacob, est une réflexion musclée de par ses arguments et ses illustrations sur une France multiraciale. L’historien ne se contente pas de faire un excellent diagnostic de cette France ambivalente qui a du mal à assumer sa seconde peau, il propose également des solutions. La plus impérative étant une volonté politique, traduite sur le plan législatif, qui force les portes de l’égalité en faveur des populations d’ascendance africaine.
« Regarder en face la vérité pour éradiquer les discriminations racistes de l’horizon de notre avenir commun », c’est en ces termes que Stéphane Pocrain décrit France blanche, colère noire dans la préface du dernier essai de François Durpaire. Un excellent résumé en définitive de ce qu’est la réflexion novatrice et pleine de perspectives que nous offre l’historien. Les problèmes sont clairement posés dont celui qui rend nécessaire l’existence d’un tel ouvrage : être Français noir. A peine ne se frappe-t-on pas la tête en se disant : « Mais c’est évident ! » en voyant clairement écrit noir sur blanc (sans mauvais jeu de mots) des réflexions qui viennent à l’esprit de toute personne « noire » et plus précisément d’ascendance africaine vivant dans l’Hexagone. Comprendre que « s’il n’y a pas une spécificité française du racisme, il y a bien une spécificité de sa négation », c’est un prérequis qui permet d’appréhender le propos de Durpaire qui compare derechef la France aux Etats-Unis.
Le mérite de clarifier les choses
Pour lui, l’exemple américain qui généralise les cas particuliers au lieu d’ériger une règle générale pour tous, au nom de la sacro-sainte République, est à suivre. Et quand il évoque les trois phases par lesquelles les Etats-Unis sont passées pour se constituer comme un modèle de « démocratie post-raciale (…) qui banalise l’idée de métissage et de mixité », on se demande quand la France parviendra à cette troisième phase. Phase au cours de laquelle, elle deviendra une nation où « les discriminations étant neutralisées par des dispositifs publics puissants, un nombre croissant d’individus, dont beaucoup de métis (…) se réclame[ront] au-delà du Noir et du Blanc ». Elle n’en est encore, semble-t-il, qu’aux balbutiements d’une deuxième étape où « les personnes discriminées (…) sont finalement acculées à des solidarités collectives qui leur permettent d’obtenir l’égalité des droits ». En bon historien, il nous fait néanmoins constater, à juste titre, que plus généralement le « mouvement noir français » qui cherche à se constituer aujourd’hui, parfois dans une certaine cacophonie, avait commencé à se structurer avant les années 60. Malheureusement au moment où il n’y avait pas beaucoup de « Noirs » dans l’Hexagone.
Le combat nécessite en effet de s’organiser, au risque d’être taxés de « communautarime » par tous ceux qui interprètent toute différence comme la volonté manifeste de se différencier, afin que la société française évolue vers plus d’égalité. Elle n’est pas prête de relever ce défi et François Durpaire nous le prouve. Les principaux aspects de la question noire, du moins le malaise qu’il fait naître au niveau culturel, économique et social sont traités dans France blanche, colère noire. L’enseignant ne manque pas, entre autres, de dénoncer cette discrimination subie par les plus jeunes au sein du système éducatif. L’auteur le rappelle encore une fois : il n’est pas facile pour un « banlieusard » surdoué qui a la « tare » d’être Noir, d’accéder à la crème des institutions éducatives françaises.
La loi forcera les gens à ouvrir leurs esprits
Seuls les gens du marketing – l’appât du gain peut rendre clairvoyant – ont compris que les populations d’origine africaine étaient des individus comme les autres, alors que la société française les marginalise encore. Le carnaval antillais de Londres, qui s’est tenu le week-end dernier, est devenu une tradition britannique alors que celui de Paris est à peine connu. Le sport est le seul domaine où les Noirs trouvent grâce, à condition qu’ «ils » gagnent. Comme s’ils devaient mériter d’être Français alors qu’ils le sont déjà pleinement. La célébrité, même d’un Lilian Thuram, champion du monde, si tant est qu’elle le doive, n’est pas une protection contre la bêtise des racistes. Durpaire est radical, le pouvoir législatif reste la seule arme, pour l’instant, contre ces multiples injustices. Il faut plus que de la bonne foi, il faut punir ceux qui discriminent. Surtout « si s’intégrer, c’est effacer ce qui distingue du groupe majoritaire, l’entreprise apparaît vaine pour tous ceux qui ne pourront jamais se fondre dans le paysage ». Cette réflexion de François Durpaire qui s’appliquait au monde entrepreneurial convient tout aussi bien à la sphère sociale.
Entre les lignes, François Durpaire, ne fait que nous rappeler que le noir n’est qu’une couleur. Par conséquent, il ne peut suffire à résumer la machine complexe que peut-être un être humain, encore moins ceux issus d’un continent, l’Afrique, que l’on a dispersés aux quatre coins de la planète. Y compris ces Africains-Américains dont l’accent anglophone impressionne quelque fois le plus borné des racistes. France blanche, colère noire est une petite révolution dans une France perclue de préjugés, qui ont la vie dure et c’est rien de le dire. Nul ne peut renier son passé et ses enfants, la nation française en fait au quotidien l’expérience. Pour ceux qui s’intéressent à l’aspect multiracial de cette dernière, le livre de François Durpaire s’avère incontournable.
François Durpaire est historien et enseigne l’histoire nord-américaine à l’université Paris I. Il est, entre autres, l’auteur de Nos ancêtres ne sont pas Gaulois.